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Les supporters nîmois racontent leur déplacement infernal à Marseille

Propos recueillis par Clément Gavard
Les supporters nîmois racontent leur déplacement infernal à Marseille

Ils voulaient supporter leur équipe au Vélodrome, ils ont vécu une journée cauchemardesque. Samedi, près de 450 Nîmois ont été bloqués par les forces de l'ordre sur la route de Marseille, avant d'être contraints à faire demi-tour. Puis, les choses ont dégénéré sur l'autoroute et à l'arrivée aux Costières : usage de gaz, de grenades lacrymogènes, matraquage... Les supporters des Crocodiles dénoncent un excès de zèle incompréhensible de la part des forces de l'ordre en présence. Trois d'entre eux racontent.

Ils étaient venus voir un match de foot au Vélodrome, ils n’auront même pas pu suivre leur équipe préférée à la télé. Plusieurs groupes de supporters nîmois, des ultras aux familles, ont été bloqués par la police sur la route de Marseille, samedi après-midi. Depuis, ils déplorent tous le comportement des forces de l’ordre et les violences en présence d’enfants apeurés. Au lendemain des évènements, Embarek (19 ans), Théo (18 ans) et Lucas*, préférant rester anonyme, livrent leur récit d’une journée infernale.

Racontez-nous ce qui s’est passé sur l’aire de Lançon de Provence samedi après-midi sur la route du match entre Marseille et Nîmes ? Théo : Déjà de base, on s’est fait arrêter quelques kilomètres avant sans trop savoir pourquoi, les policiers prenaient des photos ou je ne sais quoi. Puis, on a été parqués sur l’aire de Lançon pendant plus de 2h30. On n’avait pas le droit de pisser, pas le droit d’aller manger un bout. On crevait de chaud là-dedans, on ne savait pas si on allait partir ou faire demi-tour, c’était le flou total. Embarek : On est restés bloqués dans les bus, à être traités comme des animaux. Dans l’arrêté, on nous dit qu’il n’y a pas assez de forces de l’ordre pour encadrer le match, mais quand on voit l’accueil qu’on a eu sur l’aire… À un moment, on a eu le droit d’aller deux par deux aux toilettes – enfin dans la nature, car on n’avait pas le droit d’aller dans celles de l’aire -, mais sinon on ne pouvait même pas se dégourdir les jambes. On a dû rester plus de deux heures, pendant que ça négociait entre les leaders des groupes et le préfet. Ça fait clairement monter la pression, mais il n’y a eu aucun signe de violence ou de mécontentement. Des personnes auraient pu péter un câble, mais tout le monde est resté calme. On se disait que c’était en faisant profil bas qu’on avait une chance de repartir. Lucas : Les Nîmois n’ont posé aucun problème à Lançon. Les policiers présents pourront le confirmer, l’ambiance était même cordiale, tout le monde discutait normalement, même avec les forces de l’ordre. Sauf que personne ne nous a indiqué quel sort allait nous être réservé. Et à 20h45, après trois heures d’attente, on a compris que l’on ne verrait jamais le match.

L’arrêté préfectoral publié par la préfecture des Bouches-du-Rhône avait limité le déplacement des supporters nîmois à Marseille à 200 individus. Vous êtes arrivés à huit bus et près de 450 personnes sur l’aire de Lançon. N’était-ce pas un peu risqué ?Lucas : Bien sûr, tout le monde était conscient qu’il y avait un risque. Embarek : On savait très bien qu’il y avait des chances qu’on n’aille pas au bout, mais les groupes de supporters ont voulu tenter le coup pour faire bouger les choses, ne pas leur donner raison.

On savait très bien qu’il y avait des chances qu’on n’aille pas au bout, mais les groupes de supporters ont voulu tenter le coup pour faire bouger les choses, ne pas leur donner raison.

On avait déjà été interdits la saison dernière, nous on voulait voir le Vélodrome, y soutenir notre club, surtout que c’est peut-être notre dernière saison en Ligue 1 s’il n’y a pas de maintien. Puis, il faut aussi dire qu’on avait aussi de l’espoir après l’épisode de Nice l’année dernière. Théo : Oui, l’an dernier on avait été limités à 150 pour le déplacement à Nice. Et on était le double ou le triple, c’était finalement passé après des négociations sur place.

Dans quelle mesure existe-t-il une rivalité entre supporters nîmois et marseillais ? Théo : Ils étaient venus à 900 en parcage la saison dernière… Il y a une rivalité régionale, c’est vrai, mais il n’y a jamais eu de très grosses tensions. Lucas : Il n’y a aucun antagonisme réel. Une toute petite rixe en amical il y a trois ans, mais rien de plus. Si ce n’est la saison passée : les Marseillais avaient déployé une bâche des Gladiators… qui avait plus de 25 ans. Tous les groupes marseillais avaient directement prévenus que nous étions « attendus » là-bas pour se faire caillasser en règle, mais c’est un rite à Marseille, les Bordelais pourraient dire pareil, c’est commun pour toutes les équipes.

Comment ça s’est terminé sur l’aire de Lançon ? Certains supporters ont-ils pu se rendre au Vélodrome ? Embarek : Il y a un bus qui a pu aller au stade, celui du Club Central, un groupe de supporters en tribune latérale. Ils ont décidé de partir plus tôt, ils devaient être 40 personnes, ils avaient le champ libre. Sur l’aire de repos, on a rien eu, pas de contremarques, ils voulaient qu’on fasse le tri mais depuis le départ c’était clair : c’est soit tout le monde peut y aller, soit personne. Du coup, on a fait demi-tour, l’escorte sur le chemin du retour était digne d’une personnalité politique, c’était vraiment incroyable. Théo : Puis, c’est parti en vrille sur l’autoroute. Déjà, on roulait à 50, les flics mettaient des coups de frein tout le temps. Soudain, on a vu que l’escorte s’était arrêtée. Lucas : Les compagnies de CRS de Marseille, et c’est important de le préciser, nous ont escorté pour revenir sur Nîmes, ce qui n’était pas prévu puisque la fin du cortège devait intervenir à Arles. Sur le trajet retour, le ton est en effet monté entre des supporters et des forces de l’ordre jusqu’au moment où ces derniers ont arrêté un bus nîmois en plein milieu de l’autoroute.

Que s’est-il passé précisément ? Théo : J’étais plus loin, mais j’ai vu une personne s’écrouler au sol, on a vite compris qu’il s’était passé quelque chose. Ils ont commencé à balancer du lacrymo et des grenades de désencerclement dans le car. Ils ont bloqué la circulation pendant un quart d’heure, sans raison apparente, on n’a rien compris. Lucas : J’étais dans le car en question. En fait, le truc est tout con : nous voulions nous arrêter dans un bar à Salon (une commune dans les Bouches-du-Rhône, N.D.L.R.) pour voir le match.

On nous a obligé à nous arrêter et là ça a été la totale : gazage dans le bus, pétards, matraquage du chauffeur, qui a été violemment frappé à la main. On ne voyait plus rien, c’était le chaos.

Et alors qu’on se dirigeait tranquillement vers la sortie, les flics nous ont arrêté au plein milieu de l’autoroute, ont tapé le bus et ont mis une pression énorme au chauffeur qui a été remarquable. Les forces de l’ordre refusaient qu’on s’arrête, même pour satisfaire nos besoins naturels sur une aire. Puis, le fourgon devant nous a ralenti obligeant le chauffeur à freiner sec… On nous a obligé à nous arrêter et là ça a été la totale : gazage dans le bus, pétards, matraquage du chauffeur, qui a été violemment frappé à la main. On ne voyait plus rien, c’était le chaos.

Votre arrivée aux Costières a aussi été très tendue. Embarek : Ça a dégénéré sur le parking. On voulait tous rentrer chez nous et les CRS se sont mis à gazer tout le monde, frapper avec des matraques, ça a donné des scènes surréalistes. Il y a eu des dispersions, j’ai pu m’échapper, mais je sais qu’un groupe s’est fait encercler et des gens ont pris des balles de flashball. Théo : J’ai à peine eu le temps de sortir du bus que j’ai commencé à voir les projectiles voler dans tous les sens, je me suis pris du lacrymo sans rien avoir demandé avec mes collègues, c’est franchement honteux. Ils nous ont tendu un guet-apens quand on sortait des bus. Lucas : À la descente du bus, les CRS de Marseille nous attendaient. La police de Nîmes était présente à l’accueil aux Costières et ne comprenait pas la situation. Tout cela a été déclenché par un nombre de facteurs importants : fatigue, tension, énervement, frustration de la décision, générés par quatre longues heures d’attente. La tension s’est vraiment faite sur le chemin du retour et elle était palpable des deux côtés. Les supporters ont manifesté leur mécontentement sous la pluie une fois aux Costières, mais ça s’est limité à hausser le ton. Ensuite, un CRS a chargé un supporter nîmois véhément en solo, sauf que derrière ses collègues ont suivi et de là, ça a été une escalade honteuse et pitoyable. On le voit sur la vidéo qui tourne actuellement, les CRS ont chargé à l’aveugle et tout ceux qui se trouvaient devant eux devaient être chassés.

On voit également des enfants paniqués, en pleurs, sur ces vidéos. Il y avait des familles sur ce parking ? Embarek : Dans le déplacement, il y avait tout le monde : des ultras, mais aussi des familles, notamment avec le groupe Nemausus, plutôt familial. Il y avait des enfants, des personnes âgées. Ils ont gazé tout le monde à bout portant, des enfants étaient en pleurs après avoir perdu leurs parents. Ils vont être traumatisés à cause de ces personnes qui ont joué aux cowboys.

Il y avait des enfants, des personnes âgées. Ils ont gazé tout le monde à bout portant, des enfants étaient en pleurs après avoir perdu leurs parents. Ils vont être traumatisés à cause de ces personnes qui ont joué aux cowboys.

On était juste aux Costières, à Nîmes, il n’y avait rien de dangereux… C’est surréaliste. Théo : C’est ça le pire : voir des enfants de 7-8 ans qui font le déplacement et qui voient leurs parents se faire matraquer, roués de coups. Le père d’un collègue s’est fait passer à tabac par quatre flics alors qu’il n’avait rien fait. Lucas : Des parents étaient affolés, ils cherchaient leurs enfants, j’en ai vu pleurer. J’ai vu devant moi un CRS voulant prendre le sac à dos d’un supporter, ce dernier s’est logiquement débattu et ses collègues sont vite venus. Un supporter nîmois a essayé d’apaiser la situation très très calmement, mais s’en est suivi un matraquage totalement gratuit et de dos de la part d’un CRS en solitaire. Il faut noter que parmi les CRS, certains rigolaient et narguaient les blessés ; d’autres essayaient de prodiguer des conseils selon la blessure des supporters. Je n’ai pas pu tout voir, il faut recouper les témoignages, il s’est aussi passé des choses du côté de la tribune Nord que je n’ai pas pu voir.

Avez-vous eu peur ? Lucas : Non, même si ça a été très chaud et qu’il y avait très clairement de la tension. Mais après, c’est une question de sensibilité. Pour un gosse ou un parent, ça doit être sacrément flippant. Théo : Franchement, oui j’ai eu peur sur le parking. Quand tu vois qu’ils commencent à gazer tout le monde, qu’ils nous pointent en joue avec leurs flashball…

Je ne savais même plus où je marchais, mes yeux piquaient, j’avais du mal à respirer. J’avais peur de me prendre une balle perdue de flashball. On était là pour voir un match de foot, nous.

Des mecs ont pris des tirs sans rien demander, il fallait mettre les mains en l’air, ça fait peur. Dans quel pays vit-on ? Embarek : J’ai aussi eu peur. Surtout qu’avec les gaz, je ne savais même plus où je marchais, mes yeux piquaient, j’avais du mal à respirer. J’avais peur de me prendre une balle perdue de flashball, j’avais aussi peur pour mes amis que j’avais perdu. C’était une situation rocambolesque. On était là pour voir un match de foot, nous.

Le club vous-a-t-il apporté de l’aide ou a-t-il tout simplement réagi après avoir pris connaissance des évènements ? Lucas : Si tu vois quelque chose, tu nous dis. Et ça a toujours été comme ça… Le club met plus de volonté à balancer ses propres supporters pour deux ou trois fumigènes plutôt que de prendre leur défense, alors que les faits se sont déroulés devant le stade ! Théo : On a rien reçu de A à Z, c’est une honte ça aussi. Il paraît que Rani Assaf (le président de Nîmes, N.D.L.R.) aurait essayé de négocier avec la police pour qu’on puisse passer au moment de l’épisode sur l’aire de Lançon, mais ce ne sont que des rumeurs. On est déçus de ne rien avoir de la part du club, même pas un communiqué pour dénoncer les violences, il y a juste le directeur des opérations qui a fait une déclaration à un média local. Je trouve ça triste. Embarek : C’est bien ça le souci, une journée est passée et le club ne s’est toujours pas manifesté (le NO n’a toujours pas communiqué sur cette affaire ce lundi midi, N.D.L.R.). À chaque fois qu’il se passe quelque chose, il n’y a aucune réaction, ça me révolte. Je sais qu’il y a des supporters qui comptent poursuivre les forces de l’ordre, il va y avoir des plaintes déposées. L’affaire n’est pas terminée, j’espère que ces personnes seront punies.

Entre les nombreux arrêtés préfectoraux, les affaires chaque week-end, la France a-t-elle un problème avec ses supporters ? Lucas : La question se pose vraiment ? Le préfet est à l’origine de ce bordel, il a monté en l’air les supporters et ses hommes. Pour quel résultat ? On le voit aujourd’hui dans les médias, et il en est le premier responsable. Tout cela ne se serait jamais passé si nous avions été à Marseille et si le préfet avait donné son accord pour mener les supporters nîmois jusqu’au Vélodrome. Au lieu de ça, est née une frustration légitime chez tous les protagonistes.

Quand tu vois qu’en Allemagne, tu peux te déplacer à des milliers et qu’en France, tu ne peux pas déplacer plus de 200 supporters dans la deuxième plus grande ville, c’est vraiment qu’il y a un souci.

Théo : Quand tu vois qu’en Allemagne, tu peux te déplacer à des milliers et qu’en France, tu ne peux pas déplacer plus de 200 supporters dans la deuxième plus grande ville, c’est vraiment qu’il y a un souci. On est dans un autre monde. Et pourtant, Castaner avait demandé aux préfets d’arrêter de limiter les déplacements, ils n’en ont rien à faire. Embarek : Ça fait des années que ça dure et l’intervention du ministre de l’Intérieur prouve à quel point c’est devenu n’importe quoi. En fait, c’est devenu une solution de facilité pour tous les préfets, ils en abusent chaque week-end et ils empêchent les fans de foot d’aller supporter leur équipe. En France, on préfère ne pas résoudre le problème et quand on organise des grandes compétitions du type Euro 2016, ils se retrouvent débordés car ils n’ont pas l’habitude de gérer des déplacements. C’est de pire en pire, et on ne sait pas jusqu’où ça peut aller.

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Propos recueillis par Clément Gavard

* le prénom a été modifié à la demande de la personne

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