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Les supporters lyonnais ont la gueule de bois
Ils sont jeunes, ingénus, élevés à la victoire, et croient dur comme fer au retour de leur club au premier plan. Peut-être pas pour ce soir, mais dans un ou deux ans. Trop habitués au caviar ces dernières années, les supporters lyonnais doivent se contenter désormais du plat du jour de la cantine. En attendant mieux ?
Pour la deuxième fois de leur histoire, les Lyonnais viennent d’échouer au terrible Phillips Stadion d’Eindhoven. Le piège s’est refermé, comme prévu, et Barthélémy, sonné, a les yeux dans le vague. Il y a cru jusqu’au bout, à cette folle remontée, à cette victoire qui lui tendait les bras, jusqu’à ce rush solitaire de Farfán et cette frappe aussi brutale que soudaine dans la lucarne. Victorieux 3-2 au terme d’un match maîtrisé, les Bataves sont tout à leur joie sur le terrain, tandis que Barthélémy, manette de PS2 toujours en main, peine à feindre l’indifférence. Entre deux remarques acerbes, il s’énerve même carrément quand on pointe le fait, totalement objectif, que la rencontre n’était pas si différente de l’original d’avril 2005, à condition bien sûr de remplacer le penalty raté d’Abidal par le CSC de Cláudio Caçapa.
« Je me souviens bien du « Abidal Bordel » lâché par mon grand-père, qui est resté célèbre dans la famille. Le revers de ce soir sera un souvenir marquant dans la défaite pas méritée, comme notre élimination contre le PSV, c’est un beau parallèle » , peine-t-il à articuler, avant de se plaindre sans raison valable de « questions à charge » lorsqu’on lui demande d’expliciter son sentiment : « Tu t’en souviens sans doute pas, mais on a mis 7-2 contre le Werder, on a mis 3-0 au Real Madrid. Et il y a aussi le 7-1 contre le Dinamo Zagreb. » Rassuré par un mensonge apaisant, il confesse finalement sous le poids du souvenir : « J’avais 13 ans, et ce match retour contre le PSV, c’est de loin la défaite la plus douloureuse que l’OL ait connu, c’était vraiment l’année où on était au top, le PSV était hyper bon, mais ce n’était pas non plus un grand d’Europe. Quand je repense à la faute de Gómez sur Nilmar, et à ce but chanceux de Cocu au match aller… C’était encore plus frustrant que contre le Milan AC, même si c’était dur aussi. »
« On est redevenus une équipe normale »
Vexé par quelques louanges sur le but plein d’intelligence de Pipo Inzaghi, Barthélémy se mure dans le silence pendant de longues minutes. Il faut donc se tourner vers Théo, 14 ans, pour mieux comprendre la réalité des supporters de l’OL, et les changements liés à leur vie partisane depuis le déclin du club. Confortablement installé dans le canapé de la rédaction, le stagiaire sent monter la pression quand on lui demande en préambule s’il regrette les années Claude Puel. « C’est vrai que la demi-finale de Ligue des champions était un beau moment, mais je n’ai pas de souvenirs particulier » , avoue-t-il le regard gêné, avant d’ajouter : « Je me souviens plus globalement d’une période dorée, où on raflait tout ce qui passait. » S’il n’a aucune origine lyonnaise, Théo s’est pris d’amour pour le club suite à ses succès répétés : « Je n’avais aucune raison de les soutenir à part le fait qu’ils n’arrêtent pas de gagner quand j’étais petit. J’ai commencé à les suivre et, maintenant, je me suis grave attaché au club et je suis juste fan de Lyon, je regarde tous les matchs avec attention. » Gavé de beau jeu et de triomphes nationaux, Théo a senti le vent tourner il y a quelques années. Aujourd’hui, Guimarães a remplacé le Real Madrid et Clément Grenier a pris la place de Juninho. Une triste réalité que le jeune garçon n’occulte pas : « Forcément, je suis un peu déçu, mais ce n’est pas pour ça que je les aime moins. Je ne leur en veux pas, on s’en sort plutôt bien par rapport à notre situation financière. »
Plutôt bien ? Septième au classement, comme son nombre de titres, l’Olympique lyonnais alterne l’encourageant et le mauvais depuis le début de la saison. Le 5-1 contre Montpellier a laissé des traces. Surtout chez Barthélémy, qui n’a rien oublié de cette triste journée. « C’était horrible, je matais le match avec des collègues et je me suis enflammé devant tout le monde sur le but de Lacazette. On en a pris trois autres derrière, on était à la rue, c’était un désastre. » Pas beaucoup plus heureux, Théo reprend : « J’ai regardé le match jusqu’au bout, mais j’ai eu du mal. On a fait une prestation déplorable. Avant, on était clairement au-dessus du lot, mais avec cette défaite, j’ai réalisé que l’on était redevenu une équipe normale. » Tandis que quelques gouttes de sueur perlent à son front, il avoue d’un air dépité : « Le pire souvenir de la saison reste néanmoins la Real Sociedad, surtout quand on voit ce qu’ils font derrière en Ligue des champions. » Autant de déceptions récentes qui ont entamé le moral de Clément, de dix ans son aîné : « Tu vas me prendre pour un footix, mais je ne les suis plus vraiment. Ils m’ont tellement déçu, et puis honnêtement je suis amoureux du beau jeu, je ne sais pas si tu as déjà vu un match de Lyon un dimanche après-midi à 14h, mais c’est limite si tu te mets pas la corde au cou. » Un sentiment partagé par son pote Camille, au caractère pourtant mesuré : « Je regarde encore 75% des matchs, mais parfois je sens que ça va être horrible et je n’ai pas envie de m’infliger un match pourri. »
« C’est vraiment avec Alain Perrin que le déclin a commencé »
La voix méfiante, mais impliquée à l’autre bout du téléphone, Clément détaille plus en profondeur les lacunes actuelles de l’équipe : « Il n’y a pas de justesse technique, pas d’enchaînement au milieu, une défense a la rue. Koné/Biševac, vraiment, ce n’est pas possible, Milan est censé être le patron, mais il est toujours à un poil de cul près. » Présente dans les travées de Gerland depuis son plus jeune âge, Gabrielle confirme en creux : « Gonalons, Grenier et Gourcuff ne représentent rien de spécial. Pour être honnête, Gourcuff, j’aime pas sa gueule et les autres me laissent indifférente. Grenier, il est cool, mais je n’ai pas confiance, je sens qu’il va se casser au bout d’un an et demi. » Il n’y a guère que le pauvre Bafé Gomis, « le chien fou au style peu orthodoxe » , pour trouver encore grâce à ses yeux. Aussi loin qu’elle s’en rappelle, « c’est vraiment avec Alain Perrin que le déclin a commencé » , même s’il a été renforcé par une longue série de transferts ratés. « Cela s’est étalé sur plusieurs années, de manière progressive » , à coups de Kader Keita, Yohan Gourcuff ou Miguel Lopez. « Moi, bizarrement, ça me fait penser à César Delgado. Je trouve que c’était un excellent joueur, trop mésestimé, on l’a vendu pour rien du tout. Avec son départ et celui de Pjanić, à partir de 2010-2011, on a vraiment plongé » , complète Clément dans un rare moment de lucidité.
Spectateur impuissant de cette déliquescence, Hubert Jacquemet suit l’OL depuis 1983 et était là « quand Aulas est arrivé » . Bien installé dans sa maison de Viriville, petite commune de l’Isère, le président de l’association « Bièvre Gone » explique les conséquences concrètes de ce manque de résultats : « On a vécu le changement comme une surprise, c’est arrivé un peu vite en fait, c’était dur. Aujourd’hui, le club a décliné, et l’association aussi : on est passé de 250 à 50 adhérents. » « C’est sûr qu’on préfère toujours une équipe dans la victoire, c’est triste de voir notre stade qui n’est jamais rempli, même contre Marseille » , confirme Gabrielle, avant de dédramatiser : « Il y a un peu de nostalgie, mais bon, ce n’est pas non plus le grand désarroi. Je dirais que nous traversons une phase de stoïcisme un peu dépité. » Et la jeune femme d’expliquer plus en détail la sombre période dans laquelle elle est plongée : « Avant, je regardais l’OL et j’étais heureuse, car je savais qu’ils allaient gagner. Maintenant, je suis plus dans un rapport d’empathie par rapport à l’équipe. C’est plus du chauvinisme maintenant, alors qu’à l’époque, les regarder jouer, c’était vraiment une façon de se divertir. »
Aujourd’hui appelés à voir perdre une équipe qu’ils ont toujours vu gagner, ils sont nombreux à se réfugier encore derrière la puissance passée du club, qui s’est construit tout seul, contrairement au PSG et ses millions. « Notre histoire est liée au mérite et pas à l’argent » , explique Gabrielle en résumé : « Aujourd’hui, on est rentré dans le rang, mais il nous reste nos trophées. Pour en avoir parlé avec des Espagnols ou des Italiens, l’OL est toujours considéré comme un grand club à l’étranger. » De ces sept années de règne, la jeune femme se souvient en particulier des coups francs de Juninho, qui ont enchanté ses moments de supporterisme acharné : « À partir du moment où il y avait faute, j’avais le sourire. On savait dans les travées du stade que c’était l’heure du but. » « On régnait sur le football » , exulte carrément Clément, qui se souvient avec émotion du classement Eurosport, où l’OL était systématiquement reconnu numéro 1 pendant près d’un an et demi. « Je me rends compte juste maintenant, avec le déclin de l’équipe, à quel point on était une machine à gagner. On mettait des 4/0 à la pelle, on a écrasé tout le monde pendant quatre ou cinq ans. » Une « culture de la gagne » aujourd’hui évaporée selon Barthélémy : « Avant chaque match, j’étais très confiant, je savais qu’ils allaient gagner. Et puis ils envoyaient vraiment du beau jeu. Mais rien n’égalera jamais cette sensation du premier titre gagné à la dernière journée, sur un but de Sidney Govou. J’étais comme un dingue. » Autant de souvenirs heureux qui contrebalancent efficacement selon lui le triplé d’Ivica Olić, le coup franc de Gareth Bale et la défense d’Anthony Réveillère sur Mancini.
« Ils me font pas rêver, mais je les aime »
De manière générale, les supporters restent optimistes et veulent encore croire à la renaissance du club. Hubert est bien entendu de ceux-là : « On sent quelque chose de sain. Ce club, il va se relever, j’en ai aucun doute. Il est bien structuré, il y a de bons formateurs, de bons éducateurs, et puis c’est pas conduit par des étrangers, ce ne sont que des mecs qui connaissent la maison. Dans les coulisses du club, tout le monde y croit. » D’autant plus que le peuple lyonnais est prêt à se montrer patient, après avoir été couvert de trophées : « J’ai bon espoir depuis le derby, la troisième place va être difficile à obtenir, mais se qualifier pour la Ligue Europa, ça serait déjà pas mal. Avec notre nouveau stade, il s’agira de renouer avec le kiff et la Ligue des champions » , espère Camille d’une voix convaincue : « Là, on est en phase de reconstruction. On peut critiquer la gestion d’Aulas, mais il mise tout sur la formation pour nous maintenir à un niveau acceptable en attendant le stade. J’ai été comblé par beaucoup de titres dans ma jeunesse, donc maintenant je reste derrière mon équipe et j’ai bon espoir de les voir revenir dans quelques années. »
À l’heure d’aborder le PSG, à la courbe de progression inverse, ils sont cependant peu nombreux à y croire vraiment. « Je m’attends à ce qu’on attaque le match avec envie et solidarité, on y arrive pour les grands matchs » , explique Camille, avant de confesser : « J’ai peur qu’on prenne un but rapidement, après ça peut vite mal tourner en un gros match du PSG. Honnêtement, j’ai très peu d’espoir d’accrocher un résultat. » Théo est plus confiant et rêve de prendre le PSG « par surprise » , tout comme Clément, qui espère dans sa barbe « un improbable coup de poker, sur un corner ou un contre bien mené, même si ce n’est pas vraiment notre spécialité » . Quant à Barthélémy, il croit bien sûr en son équipe, mais refuse pourtant de parier cinq euros sur l’identité du vainqueur. Englué dans sa mauvaise foi, il justifie simplement sa démarche : « Ils ne me font pas rêver, mais je les aime. » Comme les quenelles.
Par Christophe Gleizes et Ibrahim Benaissa