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Les supporters français servent-ils encore à quelque chose ?
La L1 a-t-elle encore besoin en 2013 de supporters ? La question n'est finalement plus si abstraite, alors que la répression se durcit, que les menaces de dissolution ou de suspension touchent désormais les associations les plus établies, et que la violence est loin d'avoir disparue. En retour, on serait tenté de répondre : le foot français vaut-il encore quelque chose sans ses supporters ?
Le foot français n’est toujours pas à l’aise avec ses tribunes. Le diagnostic que dressait déjà Philippe Broussard en 1990 dans son livreGénération Supporter ne semble pas avoir beaucoup évolué. Dans un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Solar – Ligue 1 : 80 ans de foot professionnelpar Arnaud Ramsay et Paul Dietschy – et qui sert un peu de livre d’or officieux du foot tricolore, si les ultras et autres fans apparaissent dès qu’il s’agit d’illustrer la « fête » et la célébration d’un « titre » , les supporters ne sont clairement pas reconnus comme un membre à part entière de la grande famille du foot, contrairement par exemple aux présidents ou aux journalistes sportifs. Aussi anecdotique qu’il puisse paraître, ce petit fait éditorial révèle une des facettes de notre « identité nationale » footballistique : le stade demeure davantage un théâtre, avec ses spectateurs, que le fameux 12e homme dont se gargarisent de temps à autre les chroniqueurs de plateaux télé.
Le monopole du PSG
Le rapport que vient de sortir l’UCPF (dont le président Jean-Pierre Louvel défraie la chronique en ce moment, suspendu 6 mois pour avoir contrarié un contrôle anti-dopage, et également en raison de ses déclarations à l’emporte-pièce sur les quotas dans le livre de Daniel Riolo) atteste ainsi pour le moins d’un désir inavoué de réduire au minimum le rôle des enfants terribles des stades. Confronté à la baisse régulière de la fréquentation des gradins (ce qui n’arrange pas la santé fragile des pensionnaires de L1 et de L2 et leur dépendance anxiogène envers les droits télés ou le marché des transferts), et alors que les enceintes démesurées qui se construisent pour le moment en perspective de l’Euro 2016 vont considérablement augmenter la jauge à remplir, le foot français doit de toute urgence « inventer » le moyen d’attirer « in the real life » , c’est-à-dire sur les sièges des anciens virages, de nouveaux « consommateurs » . Puis prier qu’eux aussi ne se transforment pas en association réclamant le respect des conditions générale de vente, ou le syndrome « Que choisir ? » s’invitant au TAS.
Pour cela, il semble que l’expérience, pour le moins exceptionnelle, du PSG post-plan Leproux nourrisse de nombreux et faux espoirs. Le club parisien vient en effet d’annoncer un record d’abonnements (au-delà des 31 000, contre un peu moins de 19 000 la saison passée), qui confirme le très bon taux de remplissage de 2012-2013. De fait, le club parisien a parfaitement réussi à troquer un public contre un autre, surfant sur le rejet de la violence. Le club qatari bénéficie en outre de sa situation de quasi-monopole sur un bassin de dix millions de clients potentiels (ce n’est pas faire injure au Red Star et à Créteil que de le dire) et offre, évidemment, le spectacle d’une équipe de rêve avec de grosses stars bankables au-delà du simple critère sportif (le cas Beckham). Se fonder sur ce modèle, et ses tarifs, pour imaginer l’avenir de l’ensemble de la L1 serait aussi illusoire que de construire l’économie d’un club en se fondant sur la situation fiscale extraterritoriale de l’AS Monaco. Un club qui se moque par ailleurs éperdument, et depuis toujours, de savoir combien de gens se massent, ou non, dans les travées de Louis II.
Pas d’avenir commercial sans supporters ?
Car commençons par rappeler les fondamentaux : le principal problème chez nous, et particulièrement quand il s’agit de compter les sous et de transformer la passion sportive en monnaie sonnante et trébuchante, se situe dans la faible intensité de la culture footballistique dans l’Hexagone. Si vous y ajoutez la qualité pour le moins discutable du spectacle proposé, plus besoin de commander d’enquête onéreuse pour saisir le malaise. Que l’une des raisons avancées par nombre de personnes sondées pour ne pas se rendre au stade soit le prix des places, plutôt modeste en France par rapport aux autres pays européens, illustre à quel point le fossé demeure béant entre le « peuple » et son « foot » (cela dit en Angleterre, les supporters de Liverpool, Manchester United, Arsenal et Tottenham s’unissent désormais pour protester contre les tarifs des abonnements – du Brésil à la perfide Albion, le temps de l’amour aveugle semble révolu). Or les supporters sont peut-être les seuls à essayer de ramer contre cette malédiction française, à tenter de construire une véritable culture foot dans certaines villes, ce que les anciens de virages parisiens avaient partiellement réussi, ainsi qu’à Marseille, Bordeaux Nice ou à Lyon.
La saison qui vient de passer fut dominée par les enjeux sécuritaires : la multiplication des interdictions de déplacements, le problème des violences qui ont aussi concerné des groupes ultras (comme les South Winners et les Bad Gones, ou bien les Lyonnais entre eux), sans oublier la continuité d’un hooliganisme parisien toujours bien vivace. Avec naturellement l’apothéose médiatique du Trocadéro, même si les supporters parisiens n’en étaient pas les principaux fautifs. De fait, toute autre forme de réflexion a presque disparu. Or les clubs auraient intérêt à réfléchir avant de jeter l’enfant avec l’eau du bain. D’une manière un peu cynique, on serait tenté d’expliquer que sans eux, sans le travail bénévole des associations, la valeur financière (en mettant toujours Paris hors catégorie) des clubs français sombrerait encore un peu plus. On ne peut s’inventer un destin de Premier League sans l’histoire qui va avec, ni un public allemand sans le sens du service commercial qui le permet.
Par Nicolas Kssis-Martov