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« Dépenser 100 millions juste parce qu’on les a, ce n’est pas l’âme de Strasbourg »

Propos recueillis par Quentin Ballue

Le rachat de Strasbourg par BlueCo en juin 2023 a heurté les supporters alsaciens, pas vraiment tous ravis d’entrer dans le monde avide de la multipropriété. Si l’équipe alsacienne a enthousiasmé la Meinau contre Rennes ce dimanche (3-1), les UB90 ont annoncé 15 minutes de silence à chaque match jusqu’au départ du consortium. On a donné la parole à ces amoureux du Racing qui s’interrogent sur le devenir de leur club.

« Dépenser 100 millions juste parce qu’on les a, ce n’est pas l’âme de Strasbourg<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le casting

  • Guillaume, 42 ans, membre des Ultra Boys 90, abonné depuis 2005
  • Cyril, 31 ans, abonné en tribune Est depuis 2011
  • Maxime, 37 ans, membre de la Fédération des Supporters du Racing Club de Strasbourg, abonné depuis 2006

La direction prise par le club depuis le rachat

Guillaume : Au début, j’ai eu peur que le club fasse n’importe quoi et devienne une machine à cash. Au bout d’un an, j’ai encore plus peur. Quelque chose me gêne, j’en viens à me demander si je suis vraiment sûr de vouloir qu’ils gagnent. Quand le Racing a été racheté par IMG-McCormack (en 1997), on a vécu un peu la même chose : un groupe américain est arrivé en promettant des moyens, des grands joueurs, de jouer l’Europe régulièrement, mais à part virer du monde et faire n’importe quoi… Ils ont vu que leur modèle de business ne marchait pas et ils se sont barrés en 2003. C’était ma première crainte quand BlueCo a repris le club, qu’ils nous jettent comme une chaussette une fois qu’ils auront vu qu’ils ne peuvent pas gagner d’argent.

On se retrouve en position de vassal, au service de Chelsea.

Maxime

Cyril : On a une identité forte. Être rattaché à des clubs qui ne nous connaissaient pas avant, ça m’embête. Je ne dis pas que je ne suis pas content qu’on puisse investir aussi massivement et qu’on échappe à la crise des droits TV par notre propriétaire, mais être affilié à Chelsea, ça me gêne beaucoup. Le jour où ça se passera peut-être un peu moins bien sportivement pour Strasbourg, que va-t-il advenir de notre club ? Est-ce qu’on sera laissé à l’abandon, à l’image de Troyes, qui est aussi victime de cette multipropriété ?

Maxime : C’est consternant. On supportait un club plus que centenaire, indépendant, ancré dans un territoire, et désormais on est un « club outil ». On se retrouve en position de vassal, au service de Chelsea. Aujourd’hui, le pouvoir est à Londres. Ce n’est plus le Racing. On n’est plus un club indépendant qui décide de sa propre destinée.


La construction de l’effectif

Cyril : Je suis assez hypé par le mercato, mais j’aurais aimé avoir un peu plus d’expérience. Il y a des recrues qui ont un bel avenir sur le papier, mais ça aurait plus de sens si on apportait un joueur plus expérimenté par ligne à cet effectif très jeune. On reste Strasbourg, c’est du jamais-vu d’avoir les moyens de dépenser 60 ou 70 millions sur une fenêtre de transferts. Il y a de quoi être emballé, mais il y a aussi la crainte de se dire que si la mayonnaise ne prend pas tout de suite, c’est un pari risqué sur l’avenir. C’est pour ça que j’aurais aimé ajouter des joueurs avec un peu plus de bagage, pour tirer ces jeunes vers le haut dans les moments plus difficiles.

On a déjà fait des trucs dégueulasses, mais virer un coach comme ça pendant la préparation, c’est une première.

Guillaume

Guillaume : J’aime bien le discours de Rosenior et il y a des jeunes intéressants, donc pourquoi pas. Si on avait gardé quelques cadres et qu’on avait recruté la moitié des jeunes joueurs qu’on a, on aurait une équipe qui pourrait jouer l’Europe. C’est presque du gâchis de dépenser autant d’argent en n’ayant pas conservé ce qui fonctionnait avant. J’ai l’impression qu’on fait un peu n’importe quoi. On a déjà fait des trucs dégueulasses, mais virer un coach comme ça pendant la préparation, c’est une première. On envoie au placard Perrin et Guilbert, des joueurs qui étaient titulaires toute la saison dernière. Dépenser 100 millions au mercato juste parce qu’on les a et acheter n’importe qui sans se préoccuper des ratés ou des victimes collatérales, ce n’est pas l’âme du club.

Maxime : On achète des joueurs partout, on les accumule, comme Chelsea. Ça symbolise toutes les dérives du football actuel. On achète une vingtaine de joueurs, ça fonctionne avec quelques-uns, on fait des bénéfices dessus et tant pis pour les autres. L’aspect humain est écarté de l’équation, on considère les joueurs comme des marchandises. L’investissement n’a pas de but sportif, l’objectif est de faire des plus-values. C’est difficile de s’enthousiasmer pour moi quand on sait ce qui se passe dans l’arrière-boutique.


La place de Marc Keller

Guillaume : Il a l’air d’avaler pas mal de couleuvres. Ce n’est plus lui qui décide sur plein de choses. Vieira, c’était le choix de Marc Keller et là, en une semaine, il disparaît, et un coach arrive d’Angleterre (Liam Rosenior). Je ne sais pas trop à quoi il sert. Des joueurs passent toute la saison dans le loft, il ne dit rien. Il fait de la com, mais je ne sais pas s’il a encore le pouvoir de changer les choses. À Noël, peut-être que c’est lui qui va sauter, on nous annoncera son départ d’un commun accord avec le club, sans plus d’explications…

En revendant le Racing presque au premier venu, Marc Keller passe de sauveur à fossoyeur, ou en tout cas, il est complice de ce qui se passe.

Cyril

Maxime : J’ai eu l’opportunité de le rencontrer en février. Il a du mal à assumer certaines contradictions entre les discours et les faits. On a l’impression que c’est un président fantoche, il n’a plus la main sur la politique sportive. On l’a vu lors du licenciement de Patrick Vieira. On sait que Rosenior est là parce qu’il connaît Laurence Stewart et Paul Willstanley, les deux directeurs sportifs de Chelsea qui sont dirigeants à Strasbourg. Il a presque tout bien fait pendant dix ans, on ne peut pas lui retirer ça. En revanche, avoir vendu à ce groupe d’investissement, ce n’est pas pardonnable.

Cyril : En revendant le Racing presque au premier venu, il passe de sauveur à fossoyeur, ou en tout cas, il est complice de ce qui se passe. C’est triste d’en arriver là. Je ne me reconnais plus dans ce qu’il dit. Quand il dit qu’il est toujours maître à bord, mais qu’on voit le traitement de Guilbert ou Perrin, je ne peux pas croire que Marc Keller puisse avoir cette attitude envers des joueurs qui ont toujours respecté l’identité de Strasbourg. C’est plutôt une décision qui vient d’en haut.


Comment faire bouger les choses ?

Guillaume : Moi le premier, la grève des chants, je trouve ça chiant. Mais justement : le but est de faire quelque chose qui emmerde tout le monde, que ça fasse réagir. Le match du week-end à la Meinau, ça doit être un moment de joie, on oublie le reste de la semaine, on chante, etc. Je me restreins, ça m’embête, mais je le fais pour une bonne raison. Il faut remuer les choses.

Maxime : Ça fait parler et c’est très bien, ça oblige chacun à s’interroger sur les causes de cette grève. C’est un petit pas. Évidemment, BlueCo ne va pas partir parce qu’il y a 15 minutes de silence à chaque match, mais c’est par ces petits pas qu’on y arrivera.

Cyril : Je ne suis pas forcément pour le premier quart d’heure sans chant. À l’heure actuelle, j’ai envie de laisser une chance au sportif. Les joueurs n’y sont pour rien, il faut les soutenir. Surtout que la Meinau est amputée d’une tribune avec les travaux, Strasbourg a besoin de son public. Je comprends l’idée, mais pour combattre BlueCo, je pense que ça aurait plus de sens de laisser la tribune vide. Là, les responsables de BlueCo verront que le stade est rempli au maximum de sa capacité. La grève aurait beaucoup plus d’impact si les supporters laissaient la tribune vide et arrivaient à partir de la 15e minute.

Guillaume : Je ne sais pas s’il y a une solution… Si les gens grondent un peu, peut-être que les instances ou les pouvoirs publics vont réfléchir à protéger les clubs. Une piste serait qu’on légifère en disant qu’un club de foot n’est pas une entreprise comme une autre, qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec. Peut-être qu’à long terme, si plusieurs clubs finissent comme Bordeaux, on réfléchira à protéger ces institutions et à éviter les rachats par des fonds d’investissement qui ne font que des calculs comptables.

Maxime : Je pense qu’il faut déjà informer. Le grand public n’a pas forcément conscience de ce qu’implique la multipropriété. Prenez le cas de Pape Diong : Chelsea ne pouvait pas le recruter en direct et donc l’a fait acheter par Strasbourg pour pouvoir le récupérer une fois qu’il aura le permis de travail britannique. On a mis en place un groupe de travail sur la multipropriété et toutes les semaines, sur nos réseaux sociaux, on documente ce qu’est le Racing depuis le rachat. C’est une petite brique. Pour le moment, les retours les plus visibles sont plutôt négatifs. Beaucoup de gens disent « s’il n’y avait pas eu BlueCo, c’était la mort », ce qui est faux. C’est un travail de pédagogie qui sera long à mener. On en a pour quelques mois, quelques années peut-être.


Pas d’autre issue qu’un départ de BlueCo ?

Cyril : C’est difficile, car tant que BlueCo sera là, Strasbourg restera affilié à Chelsea. Quand on pèse le pour et le contre, le départ de BlueCo pour éviter la multipropriété, c’est une chose, mais que deviendrait le club si BlueCo s’en allait demain ? Montpellier n’a pas pu faire de mercato, Lyon est dans un système de multipropriété, mais doit vendre des joueurs et donc accepter d’être moins compétitif pour entrer dans les clous de la DNCG, etc. Je n’aime pas l’idée d’être affilié à un autre club, mais à l’heure actuelle, je ne sais pas quel autre investisseur pourrait venir à Strasbourg avec l’ambition de jouer l’Europe assez régulièrement, d’autant plus avec la crise des droits TV.

Je ne vois pas d’avenir positif avec BlueCo. Même si on était champion de France avec BlueCo, ce n’est pas le Racing qui serait champion.

Maxime

Maxime : Je ne vois pas d’avenir positif avec BlueCo. Même si on était champion de France avec BlueCo, ce n’est pas le Racing qui serait champion. Ne serait-ce que pour me réabonner cet été, je me suis interrogé. Finalement je l’ai fait, pas pour l’aspect sportif, plus pour les amis, pour être ensemble. Avant, je ne m’étais jamais posé cette question. Je ne me reconnais plus dans la direction sportive de ce club. Il est géré pour d’autres intérêts que le sien. Quand on dit qu’il n’y a rien après BlueCo, non, il y a un autre modèle à construire. Un modèle où les clubs dépensent l’argent qu’ils génèrent naturellement et ne se mettent pas à la merci de capitaux extérieurs.

Guillaume : Je ne pense pas que BlueCo ait un projet à long terme au Racing. Pour moi, ce ne sera pas dans les prochaines saisons, mais ils vont partir. Je suis dans l’optique de se préparer à ce qu’ils partent proprement. Là, on peut avoir un rôle à jouer en sensibilisant le maximum de monde, en leur disant qu’on les attend au tournant, qu’ils ne peuvent pas saccager le club et partir comme si de rien n’était. Ma plus grosse peur, si le jouet est cassé, c’est qu’on soit liquidé, qu’on vende les meilleurs joueurs pour récupérer un peu d’argent et que le club soit laissé comme ça, un peu comme à Bordeaux.

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