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« Les stades sont rénovés et on jette les ultras avec les débris »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov & Antoine Aubry
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Voici quelques semaines, le New-York Times publiait un article sur les supporters que la MLS trouvait un brin trop vulgaire dans leurs chants. Il est vrai qu'en Amérique du Nord, le soccer reste toujours une curiosité, très loin du cœur de l'americana sportive (football américain / base-ball / hockey sur glace). Les petits codes culturels importés du Vieux Continent doivent laisser quelque peu interdits des Américains ou des Canadiens davantage habitués à imposer leur conception du loisir au reste du monde. Parmi tous les clubs, l'Impact de Montréal, tout jeune débarqué dans cette ligue fermée, possède la singularité de pouvoir compter le mouvement ultra le plus structuré et proche des canons européens. Notamment les Ultras Montréal, très actifs en tribune et sur le net. Éric, un de ses capos, explique le particularisme de la MLS, les longs déplacements continentaux, la répression envers les ultras, la rivalité avec Toronto, Twitter et même les dissolutions de groupes en France...

Comment le « soccer » est-il perçu aujourd’hui au Canada et au Québec ? On ne se le cachera pas, même si les gens impliqués dans le sport ici claironnent sur tous les toits depuis des années que c’est la discipline le plus pratiquée chez les jeunes, il reste qu’il n’y a presque aucune culture foot au Québec. Le gens ne sont pas encore entièrement à l’aise avec le ballon rond. Ça se sent dans les médias autant que dans la population. Mais les choses changent, rapidement. Surtout depuis l’entrée de l’Impact en MLS.

Dans ce cadre, comment décrivez-vous votre club, l’Impact de Montréal ? Sa situation sportive ?Dans l’immédiat, ça va très bien. Nous sommes en voie de nous qualifier pour les playoffs, pour notre seconde saison en MLS. À titre comparatif, notre rival, Toronto, n’a jamais réussi à se qualifier depuis 2007. Et ça nous amuse, évidemment. Avec un peu plus de régularité sur la route, nous serions en tête, mais j’imagine qu’on ne peut pas tout avoir. Aussi, l’équipe a remporté la Coupe des Voyageurs – la Coupe du Canada, si vous voulez – qui nous a donné accès à la Ligue des champions. C’est une très bonne saison pour nous.

Peux-tu nous présenter maintenant les Ultras Montréal ? Le groupe a vu le jour en 2002. Le stade était entièrement dépourvu d’ambiance à l’époque et nos cofondateurs ont décidé d’y remédier. Les débuts ont été difficiles, mais le championnat remporté en 2004 a contribué à solidifier les bases. Ensuite, le nouveau stade inauguré en 2008 nous a permis une solide expansion. La première saison en MLS en 2012 nous a aussi largement aidé à grandir.

Justement, en face, quelle serait la spécificité des supporters en MLS ?La spécificité du mouvement des supporters en MLS est qu’il n’y a pas réellement de spécificité. C’est assez complexe à décrire. La majorité des groupes de supporters se disent indépendants, mais ce sont en fait de gros fan clubs, au sein desquels les gens de tous les horizons se retrouvent. Ils n’affichent pas de personnalité propre. Ça ressemble en fait aux kops anglais en version bon-enfant, familiale et improvisée, et sans la puissance vocale. Pour notre part, nous nous revendiquons du mouvement ultra. Bien entendu, nous sommes parfaitement conscients que le contexte se révèle différent de l’Europe, mais nous nous efforçons de respecter les principes du mouvement le plus possible, même s’il faut parfois faire des compromis. Il nous est impossible d’être présent à chaque match à l’extérieur en raison des distances, par exemple.

Quels seraient vos « rivaux » dans le championnat ? Peut-on parler de « Clásico » ?Nous n’avons qu’un seul rival à proprement parler : Toronto. Nous ne manquons pas une occasion de les chambrer, notamment dans nos tifos. Mais ils ne semblent pas avoir la capacité ou l’envie de répliquer. Pour nous, chaque match contre Toronto doit être gagné. C’est pourquoi nous avons mal réagi cette saison quand l’entraîneur y a envoyé l’équipe réserve en Coupe du Canada. Pour nous, c’est inacceptable.

En France, les groupes de supporters ont souvent du mal à communiquer avec leurs dirigeants, quelle est votre expérience à ce sujet ? Les relations avec la direction de l’Impact se révèlent relativement bonnes et les discussions sont généralement ouvertes et franches. Le gros point de discorde réside dans l’utilisation de fumigènes et de torches. Concernant les autorités, elles sont peu présentes dans les stades de ce côté-ci de l’Atlantique et agissent généralement à la demande des clubs, s’il y a lieu.

Puisque tu évoques la pyrotechnie, on peut trouver de nombreuses photos avec des torches, cela ne doit pas vraiment correspondre à la culture locale non ?Pas du tout, non, en effet ! Notre stade est le seul au Canada où il est possible de voir régulièrement des fumigènes dans la tribune. Peut-être un peu à Toronto, et rien à Vancouver. Ailleurs en MLS, c’est assez parsemé. Certains clubs les interdisent, d’autres les permettent de façon contrôlée. Chez nous, c’est prohibé, mais on en voit davantage que n’importe où ailleurs. Cependant, ça commence à se répandre de plus en plus dans les niveaux inférieurs (NASL, USL Pro, l’équivalent des D2 et D3, ndlr).

Et suite logique, peut-on devenir interdit de stade au Canada ?Concernant les IDS, se faire coincer en possession d’un fumigène équivaut à un minimum de 10 matchs d’interdiction. L’an dernier, après l’utilisation de torches, deux personnes proches des UM ont écopé de 12 et 17 matchs. Chaque club possède ses propres règles. Par exemple, à Philadelphie, vous êtes foutus dehors jusqu’à ce que vous écriviez une lettre au club afin d’expliquer pourquoi il devrait vous autoriser à retourner au stade, sans oublier de devoir obligatoirement suivre une formation bidon de la MLS sur la bonne conduite dans un stade. Et ça ne garantit pas qu’ils vont vous laisser revenir. La surveillance est accrue, la MLS se permettant même d’espionner certains supporters en ligne.

« Facebook et Twitter pourraient servir à démystifier le mouvement ultra »

Vous êtes très actifs sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, chose plutôt impensable en France ou même en Europe pour la plupart des groupes. Pensez-vous qu’Internet puisse être bénéfique pour le mouvement des supporters ?Pour nous, Facebook s’avère très utile pour joindre les gens et passer de l’information. Par exemple, comme nous ne sommes pas assez nombreux dans le groupe pour remplir un autobus, nous organisons des déplacements ouverts à l’ensemble des supporters, donc Facebook et Twitter nous permettent de les annoncer à grande échelle, et d’amener un petit kop sur la route chaque fois, plutôt que de nous limiter à 10, 15 ou 20 ultras. Ces outils ne doivent pas selon nous être rejetés du revers de la main par les groupes en Europe. Le contexte est différent et la surveillance accrue, oui, mais Facebook et Twitter pourraient servir à démystifier le mouvement ultra. En ce moment, de nombreux groupes décrient la façon dont ils sont dépeints dans les médias, et rétorquent avec des communiqués cryptiques qui ne touchent en fin de compte que les gens qui y sont déjà impliqués. C’est un peu se tirer une balle dans le pied que de rejeter d’office des outils qui permettent à notre message d’atteindre des milliers de personnes…

Tu en as parlé plus haut, comment se déroulent les déplacements quand il s’agit de se rendre aux USA ? En matière de logistique, de coût, de problèmes administratifs? Ce n’est pas beaucoup plus compliqué quand on doit se rendre à Toronto. Évidemment, la distance joue un rôle non négligeable. Notre déplacement le plus court est à 5 h 30 de route. C’est Boston, et encore, de là, il faut emprunter un bus durant 45 minutes en direction du stade. Pour nous, en raison de l’éloignement et de la réglementation dans les transports, impossible d’arriver directement et de repartir tout de suite après le match. Notre chauffeur doit obligatoirement se reposer 8 heures avant de reprendre la route. Nous devons donc partir tard la veille pour arriver tôt le matin afin de pouvoir redémarrer tout de suite après le match. Ça nous fait à tous les coups deux nuits consécutives dans le bus et très peu de sommeil. Nous faisons donc beaucoup de tourisme. Ce qui n’est pas plus mal, dans certains cas. Une journée à New York avant un match, c’est quand même pas dégueulasse.

Pour revenir à votre activité en tribune, vous positionnez-vous par rapport à la question québécoise ? À la politique ? Vous arrive-t-il de bâcher sur des questions autres que le foot ?Nous sommes apolitiques. Nous ne bâchons sur rien d’autre que le foot et les questions qui nous touchent directement : messages au club ou à la ligue. La politique ici est plutôt complexe et suscite beaucoup trop de passions mal placées. On veut donc éviter. Ça ne nous servirait pas, loin de là. Par contre, d’autres groupes au sein de la tribune s’affichent ouvertement anticapitalistes et/ou antifa/antiraciste.

Et vis-à-vis de la violence…?Il se manifeste très peu d’agressivité dans les stades ici. Les accrochages ont surtout lieu avec les stadiers zélés qui agissent parfois comme des brutes. Autrement, il demeure toujours un risque lorsque nous nous déplaçons à Toronto, mais comme ils se sont surtout inspirés du film Green Street Hooligans, ça reste folklorique la plupart du temps. Il existe bien des vols d’écharpe, mais nous sommes très loin du hooliganisme.

Sinon, entretenez-vous des relations avec des acteurs de la société québécoise ? La scène musicale, punk-rock, etc ?L’an dernier, nous avons enregistré un de nos chants avec le groupe punk East End Radicals, dont certains membres assistent au match dans le kop avec nous. Nous avons de très bonnes relations avec eux. Autrement, rien à signaler.

Et avec d’autres groupes de supporters ? Canadiens ou européens ?Pas officiellement, non, toutefois certains membres sont proches de groupes dans divers pays, notamment en France et en Belgique, voire aussi en Corée. Nous avons en outre quelques membres qui étaient autrefois dans des groupes français.

La répression touche de plein fouet le mouvement ultra français. Craignez-vous de subir le même sort de l’autre côté de l’Atlantique ? Ou, au contraire, le mouvement ultra pourrait-il véritablement s’implanter au Canada et aux USA ? En ce qui nous concerne, la ligue et les clubs ont encore besoin de groupes comme le nôtre pour solidifier le statut de la MLS. L’ambiance que nous amenons ne se retrouve dans aucun autre sport ici et cela apporte au soccer un pouvoir attractif certain, en plus d’en faciliter la promotion en utilisant des images de nos tifos, gestuelles, drapeaux et autres. Par contre, la tendance demeure davantage au fan club, à l’instar de Seattle. De bons petits élèves, qui respectent bien les règles, suivent bien les directives et font des petits bisous à la ligue. C’est loin d’être notre style. Très peu de groupes se revendiquent ultras, et étrangement, cette saison, tous ceux qui se réclament du mouvement subissent des pressions ou des sanctions pour diverses raisons plus ou moins valides. Nous sommes surveillés de près, c’est une évidence ; filmés, photographiés, etc. Il y a quelques matchs, j’ai encore aperçu un responsable de la ligue qui prenait des photos des bâches des différents groupes présents en tribune. À Montréal, les ultras sont indésirables, mais indispensables. Ça plonge la ligue et le club dans un profond dilemme. Comment nous contrôler sans trop nous bousculer ? Nous ne ferons aucun compromis. Le club avait une occasion à saisir l’an dernier quand nous avons entrepris des démarches pour travailler ensemble sur un projet de pyro encadrée, inspiré de ce qu’on retrouve dans certains clubs en Norvège, mais son manque de sérieux dans le dossier et ses menaces subséquentes de sanctions – alors que nous attendions qu’ils donnent suite au projet – nous ont fait comprendre que cela ne servait à rien.

Dernière question, comment percevez-vous la situation du mouvement ultra français ?Le mouvement ultra français a toujours été une inspiration pour nous, mais il se meurt, malheureusement. Récemment, les Green Angels on annoncé leur dissolution. Ça s’en va dans la mauvaise direction. C’est dommage, mais la chasse aux ultras est ouverte et le mouvement n’en sortira pas vivant si ses acteurs continuent à réaliser des coups d’éclat négatifs, alors que les autorités les ont plus que jamais dans leur ligne de mire. Il suffit de se rappeler les attaques sur les bus de supporters adverses qu’on a pu voir récemment. Mais bon, qui sommes-nous pour juger, nous, les Canadiens ? Reste que les piliers du mouvement français tombent les uns après les autres : Paris, Sainté… Si ça continue ainsi, ils seront tous par terre avant l’Euro 2016, ce qui semble être l’objectif des autorités. Les stades sont rénovés et on jette les ultras avec les débris. Il serait peut-être temps de revoir les bases et de se serrer les coudes pour assurer la pérennité du mouvement au lieu de se lancer des bouteilles sur la gueule.

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Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov & Antoine Aubry

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