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- Pays de Galles-Iran (0-2)
Les sentiments contradictoires de l’Iran après avoir battu le pays de Galles
Tombeur avec panache d’une sélection galloise miniaturisée de bout en bout ce vendredi (2-0), l’Iran a en ligne de mire le premier huitième de finale de Coupe du monde de son histoire. Un exploit qui convoque auprès de ses joueurs comme de ses supporters une tornade de sentiments contradictoires, alors que leur pays est toujours en proie à des manifestations qui contestent le régime autoritaire qui dirige le pays depuis 1979.
Tout a commencé pendant l’hymne national. Cet hymne que les joueurs iraniens avaient refusé d’entonner face à l’Angleterre, mais ont chanté à gorge déployée ce vendredi. Certains y verront une forme de renoncement, dans le sillage d’un régime islamique qui continue de tuer et emprisonner les manifestants qui défient sa légitimité, depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier. D’autres, un désir de faire passer le football au premier plan, alors que les joueurs perses auront fort logiquement bien davantage parlé politique que de football, ces dernières semaines. Il fallait bien jouer, pourtant, même si le pays, à l’image des supporters perses présents au Qatar, reste éminemment divisé. À Doha, certains fans confiaient ainsi avant cette rencontre face aux Dragons vouloir voir la Team Melli perdre. Tout simplement pour éviter que la victoire des leurs soit instrumentalisée par le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi, comme par le tout puissant guide de la révolution, Ali Khamenei.
Melli et merveilles
Mais comment ne pas gueuler, lever les yeux au ciel comme pour entrevoir un signe céleste, avoir le cœur qui s’embrase et les tripes qui se tordent quand on aperçoit Sardar Azmoun cavaler en contre, pour voir son tir échouer sur le poteau ? Comment ne pas attraper l’épaule de son voisin, jurer contre Madame la chance, l’injustice du sport, le destin qui nous retient par la manche, quand on voit Ali Gholizadeh enrouler une superbe frappe du gauche, qui vient encore taper le montant gallois ? Comment ne pas exploser d’un bonheur total quand Rouzbeh Cheshmi vient aligner Danny Ward, le portier britannique, d’un tir aux 20 mètres limpide, à la 90e+8 minute de jeu ? Comment ne pas se fondre dans la masse des corps qui suintent du bonheur de vivre ensemble ce second but de Ramin Rezaeian trois minutes plus tard – un piqué aussi malin que libérateur – venu récompenser une Team Melli dominatrice en tous points ? Impossible de rester insensible face à cette extase-là, cette ivresse du football, élémentaire, infantile, hors du temps, cette jubilation qui magnifie l’esthétisme de ce sport parfois si joli, où la danse de corps symétriquement réglés accompagne si merveilleusement celle du ballon.
Au bout, c’est l’Amérique
C’est avec cette contradiction que les supporters et les joueurs iraniens vont devoir vivre tout le long de ce Mondial, alors que les footballeurs de l’État perse sont aussi, malgré eux, les représentants d’un régime aussi violent qu’autocratique. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Le football est une chose étrange, et il appartiendra en définitive aux Iraniens de déterminer si cette formation-là doit être perçue comme l’avatar du pouvoir en place, ou comme la représentation d’un peuple qui peut s’autoriser à rêver à la fois de grandeur footballistique et démocratique. En attendant, le 29 novembre, l’Iran jouera sa place en huitièmes de finale, face aux États-Unis. Difficile de faire plus politique que ce duel-ci. Au bout du compte, en cas de victoire, on parierait bien qu’on devrait revoir cette communion des cœurs et des corps, cette transe collective, quasi mystique et inexplicable, que seul le football peut décidément provoquer.
Par Adrien Candau