- Ligue 2
- J19
- Laval-Auxerre (1-3)
« Laval quatrième à la trêve ? Je n’aurais pas osé le parier »
Miraculé au printemps dernier en se sauvant à la dernière minute du dernier exercice, Laval a traversé la première partie de saison de Ligue 2 sur les hauteurs du championnat. Il passera les fêtes dans le top 5, malgré une défaite subie mardi soir, à Le Basser, face à Auxerre, nettement supérieur. Mais comment expliquer cette secousse en Mayenne ?
Combien étaient-ils ? Neuf mille ? Dix mille ? Plus encore ? Olivier Frapolli, plus de 50 mois passés en Mayenne accrochés à la ceinture, n’en a absolument aucune idée. La seule certitude est qu’ils attendaient tous ce moment depuis un paquet d’années, et qu’à l’heure de discuter de la place du foot à Laval en 2023, c’est cette photo que le coach des Tango choisit de sortir instinctivement des tiroirs de sa mémoire. Date et lieu du cliché : 6 mai 2022, stade Francis-Le Basser. Un repère pour le technicien. « Cette journée est celle de notre match nul face au Red Star qui nous permet d’être sacrés champions de N1, justifie-t-il. Autour de nous, il y a une liesse totale, le terrain est envahi, les gens courent partout… Puis on part du stade en car jusqu’à l’hôtel de ville et, sur place, on mesure l’ampleur du bonheur généré. C’est un curseur, et je dresse sur le moment un parallèle dans ma tête. Je me dis que c’est le premier titre de l’histoire du club, mais surtout que ce titre va devenir la référence d’une nouvelle génération, comme la victoire de l’équipe de France au Mondial 2018 est devenue celle d’une génération qui avait grandi dans le récit de 1998 et non dans le vécu de 1998. À Laval, toute une génération n’avait qu’entendu parler des heures glorieuses du club, des années 1980… On a enfin réussi à leur construire leur moment. » C’était il y a maintenant plus de deux ans, à la fois une éternité et si peu de choses dans le sport de haut niveau.
Preuve par les faits : mardi soir, à Le Basser, il n’était plus vraiment question de souvenirs ni de nostalgie. Il n’était pas non plus question d’envahissement de terrain. On y est plutôt venu parler moment présent lors d’une soirée d’avant-bûche où le Stade lavallois, emmené au coup d’envoi par la meilleure défense de son championnat, recevait un autre mythe de l’histoire du foot français – l’AJ Auxerre – pour un sommet entre deux membres du podium de Ligue 2 et, bien que certains locaux n’acceptent de le dire qu’en se pinçant, deux aspirants à la montée en Ligue 1. Quelque chose se passe dans le coin. Mais quoi, au juste ?
Tango Unchained
Puisqu’un classement ne ment pas, ou peu, il se passe d’abord quelque chose sous le nez des habitués de ce vaisseau hors du temps qu’est Le Basser. Soit sur le gazon. Comment un club qui a sauvé sa couenne en Ligue 2 au printemps dernier grâce à cinq succès grattés au cours des sept dernières journées, mais aussi et surtout à un coup de casque de Djibril Diaw à la toute dernière seconde de la toute dernière minute du tout dernier match de la dernière saison, peut-il se retrouver quelques mois plus tard dans les hautes sphères du même championnat ? Mystère, mystère. « C’est évidemment aussi une surprise pour nous de se retrouver aussi haut. Je ne vais pas le nier, mais je pense que ce qu’on a vécu en fin de saison dernière avec ce sauvetage in extremis a donné une énergie incroyable au groupe, concède le coach Olivier Frapolli, qui a eu la douleur de perdre son père au cœur de la bataille pour le maintien de sa troupe et avoue avoir traversé la période la plus riche sur le plan émotionnel de sa carrière d’entraîneur. Je crois que ceux qui sont restés avec nous se sont tous dit qu’ils ne voulaient pas revivre ça. » Derrière, l’été du Stade lavallois a tout de même été agité, avec quatorze départs – dont ceux de tous les attaquants du club – et douze arrivées, mais aussi la pose de nouveaux boulons pour solidifier la structure interne (recrutement d’un deuxième adjoint, d’un second préparateur physique, d’un podologue et d’un kiné supplémentaire, renforcement de la cellule d’analyse…) et lui permettre de rattraper « les standards des exigences du championnat ».
Bien anticipé, le mercato estival n’a cependant rien coûté au club et a vu le board tango faire plusieurs bons coups en pariant sur des éléments à la relance (Ouaneh, Samassa, Tchokounté, Vargas), prometteur (Cherni) ou sportivement coincés (Kadile, Thomas). « Le club a réussi à glisser les bons joueurs dans les bonnes cases, note l’historique Jimmy Roye, qui vit sa troisième saison dans le 53. Dès qu’on a repris, les recrues étaient déjà toutes là. Le ton a été vite donné, tout le monde s’est bien fondu dans l’ambiance familiale du groupe. C’est assez décontracté, on rigole pas mal, mais quand il faut charbonner, mettre le bleu de chauffe, on sait basculer. Le président et le coach tiennent énormément au côté humain, et si tu es un bon mec, c’est bien plus facile de t’intégrer. Ça fait gagner du temps. » Le temps était d’ailleurs une cible prioritaire pour Frapolli et son staff, qui avaient fait d’août, un mois où les autres clubs fignolent souvent les contours de leur projet, un potentiel tremplin pour rapidement enclencher une dynamique positive. Le coach, qui a vu sa clique rafler huit victoires lors de ses dix premières représentations de la saison, parle de pragmatisme et assume d’avoir construit un Stade lavallois « quasiment à l’opposé » de celui de la saison 2022-2023. Ce choix a été le résultat de plusieurs constats : « On a gardé la même base avec une défense avec trois centraux, mais cette saison, on est davantage dans un 3-4-3 qui devient un 5-4-1 sans le ballon. La saison dernière, on a marqué pas mal de buts (44, NDLR), gagné beaucoup de matchs (14, NDLR), mais on n’a fait que quatre nuls. Personne n’en a fait moins sur la saison que nous, et on a fini avec la quatrième plus mauvaise défense (55 buts encaissés, NDLR). Avec nous, c’était chaud ou froid, jamais tiède. On avait une philosophie similaire à l’année de notre titre en N1 : “On y va et si on prend trois buts, on essaiera d’en mettre quatre.” On a tiré les leçons de ce sauvetage à la dernière minute, j’ai les intérêts d’un club à défendre, donc on a misé sur davantage de solidité et d’efficacité. J’aime le jeu vertical, l’intensité… Les joueurs ont adhéré, et ça a été la clé. »
Dix-neuvième taux de possession de Ligue 2, le Stade lavallois s’est alors construit au cours de cette première partie de saison une étiquette de navire solide avec 17 buts encaissés, moins de 9 tirs concédés par match en moyenne (8,79) et un meilleur buteur, Malik Tchokounté, 35 ans, qui avoue prendre, lui aussi, du plaisir à « défendre le steak » de son clan. « Dès la prépa, on a vu qu’on pouvait faire quelque chose, embraye le piston droit Thibaut Vargas, comeilleur passeur de Ligue 2 et plus gros centreur du championnat cette saison. Quand je dis faire quelque chose, c’était vivre une année plus tranquille, faire des beaux matchs à domicile… Puis les résultats nous ont amené de la confiance, ont renforcé nos repères et notre rigueur défensive, notre plaisir de s’arracher les uns pour les autres. Le coach nous a aussi toujours donné la liberté de nous projeter à la récupération et on a vite amené le public avec nous. On a été réalistes, avec une belle série à domicile, la victoire contre Caen où on les renverse dans les arrêts de jeu, celle sur la fin contre Guingamp, le succès au mental à Bordeaux… À la fin de la saison, on pourra se dire : “Putain, tu te souviens de ces matchs-là ?” » On ne sait pas encore la place qu’occupera dans les discussions ce choc de fin d’année face à l’AJ Auxerre, qui a vu Laval entrer tous crocs dehors dans la rencontre jusqu’à ouvrir le score, puis se faire ensuite trop vite rejoindre et se faire secouer le cocotier (1-3) par un adversaire nettement supérieur qui a planté 40 buts sur cette phase aller. Ce qu’on sait, c’est que, comme l’a dit le jeune Junior Kadile mardi soir, ces Tango ont mis « la barre très, très haut. Laval 4e à la trêve ? Je n’aurais pas osé le parier. » Relance de Jimmy Roye après la défaite face au rouleau bourguignon : « Je pense que tout le monde aurait signé pour qu’on ait 34 points après 19 journées. Ce qui est frustrant, c’est qu’on a mieux commencé cette phase aller qu’on ne l’a finie. Certains vont se dire que l’on ne va pas tenir sur la durée. À nous de montrer qu’on peut le faire. »
RSSEE, triple R et tête froide
Autre élément qui ne ment pas : l’affluence. Oui, il se passe indéniablement aussi quelque chose dans les tribunes d’un stade Le Basser qui s’est progressivement repeuplé depuis le printemps 2021, date de l’arrivée à la présidence du club de l’homme qui a tout fait pour ce rafraîchissement. Mardi soir, l’arène sans tribune derrière les buts, où l’on peut encore venir se masser derrière une rambarde en aluminium à quelques mètres du gazon, était de nouveau blindée malgré la pluie fine tombant sur les visages locaux. Le patron du Stade lavallois, Laurent Lairy, était évidemment présent, calé calmement au fond de son siège, lui qui a fait sa réputation en Mayenne en montant la société Protecthoms, une entreprise spécialisée dans les équipements de protection individuelle au travail. Dans le décor du foot français, Lairy, ancien attaquant qui a joué jusqu’en DRH malgré des pieds qu’il jurait être « un peu carrés », est un président à part, qui se sait parfois « chahuté », mais qui détonne par sa rare positivité. Ce qui l’a amené à prendre un tel rôle après 17 années passées à être un actionnaire actif ? « J’ai vécu les nuits européennes à Laval, où on arrivait au stade avec notre tabouret pour pouvoir être au-dessus de la première rangée et voir à peu près le match, dit-il. J’ai vécu cette vibration, et en 2021, l’instabilité du club m’est devenue insupportable. J’étais malheureux de voir le Stade lavallois s’éteindre, enchaîner les joueurs, les coachs, avancer sans vision à long terme. Il fallait un arrosoir, mettre de l’eau dedans et arroser de nouveau les racines. »
Sa première mission a d’abord été de convaincre Olivier Frapolli, arrivé à Laval avec un sac d’enthousiasme, mais vite douché par la réalité d’un club obligé de fermer son centre de formation après la perte de son statut pro, d’avancer avec un budget divisé par deux et fracturé à tous les niveaux, de ne pas faire ses valises, lui qui était alors en négociations avec un autre club de N1. La seconde a été de dérouler petit à petit les fils d’une approche RSSEE (Responsabilité sociale, sociétale, environnementale et économique). En d’autres termes, Lairy a souhaité faire du Stade lavallois un club incarnant le « savoir-vivre et savoir-être », sain économiquement, sain écologiquement et sain dans son fonctionnement. « J’ai simplement voulu refaire de ce club un club accueillant, capable d’intégrer des joueurs sur le long terme, d’avoir un staff sur le long terme. Je voulais un foot où l’on ne passe pas notre temps à prendre et à jeter, où l’on cherche à performer via la stabilité. Je voulais un projet humain, partagé. Il y avait des moyens mis, mais pas aux bons endroits. Aujourd’hui, je crois qu’on est bien la preuve que quand on met les ingrédients, on peut rivaliser. Laval, ça respire football. Ça ne pouvait pas s’arrêter comme ça. » Laurent Lairy, qui avance sans directeur sportif – il gère le recrutement avec Olivier Frapolli (« il manage les joueurs tous les jours, c’est à lui de les choisir ») et son bras droit, José Ferreira –, a parfois intrigué, comme lorsqu’il a annoncé il y a quelques mois vouloir faire participer les parents des futurs pensionnaires du centre de formation tango à hauteur de 5% du total de la prise en charge, mais a toujours tenu son cap. Il a aussi développé l’expérience des supporters visiteurs en faisant déployer des banderoles de bienvenue et en améliorant leur espace d’accueil à Le Basser. Sur le sportif, il complète : « On est vraiment dans l’humain. On n’est pas à la recherche du produit exceptionnel comme beaucoup d’autres clubs. Je ne fais pas de trading et j’avance selon nos valeurs. Maintenant, je ne critique pas ce qu’il se passe ailleurs. J’ai une offre, mais je ne l’oppose pas. »
Cette offre, tournée autour de trois « R » – remonter, rester, rêver – et d’un slogan « Souriez, c’est du foot… c’est Laval », fait pour le moment mouche et a même fait revenir à la maison des anciens, comme Anthony Gonçalves, formé au club au début des années 2000. « Quand je suis parti en 2016, j’ai laissé un club plutôt sain, remet celui qui a été élu Lavallois de la décennie par les lecteurs d’Ouest-France début 2020 et qui est revenu en août 2022. Puis, derrière, il y a eu la descente, énormément de changements, et le club que j’ai connu stable a perdu toute sa stabilité. Je regardais les matchs, j’avais également l’impression qu’on avait perdu cette ferveur auprès de nos supporters. Le président Lairy a reconstruit le Laval que l’on aimait et l’a modernisé. Tout est revenu : les supporters, la flamme pour ce club, on a un coach stable, humain, ce qui n’est pas forcément évident dans ce milieu, un groupe sain… Dans un foot qui perd un peu de ses valeurs, où l’on consomme énormément sans se soucier des joueurs ou des employés, ça fait du bien. » Jimmy Roye, de son côté, met aussi en avant le fait qu’on lui parle de foot, matin, midi et soir, dans la rue, quand il va faire ses courses ou quand il va chercher son fils à l’école. « Forcément, les gens nous parlent un peu de la Ligue 1, souriait-il il y a quelques jours. On n’a rien volé, on mérite notre place, on se prend un petit peu au jeu, mais on sait aussi qu’il reste une demi-saison. On est mesurés, on a la tête froide, mais une carrière passe tellement vite qu’il faut aussi profiter de ces moments. »
Croisé avant la rencontre face à l’AJA au milieu des effluves de vin chaud, Christian, bonnet orange et noir sur la tête, un supporter présent au même endroit le 28 septembre 1983 quand les Tango faisaient valser le grand Dynamo Kiev en C3, abonde et affirme que les supporters ont également le crâne bien au frais : « On a tellement chassé les points la saison dernière qu’on ne va pas bouder ceux qu’on a déjà mis au chaud. Quoi qu’il se passe, cette première partie de saison, qui tombe pile poil 40 ans après l’exploit de Kiev et alors qu’on vient de perdre notre Mimi (Michel Le Milinaire, NDLR), aura été vraiment magnifique. Elle a aidé à finir de ramener pour de bon tout le monde au stade. Maintenant, la Ligue 1, pour moi, ça me semble trop tôt. Un top 5, déjà, on signe tout de suite. » Après la cinquième défaite de son groupe cette saison, Olivier Frapolli n’est pas venu dire autre chose, évoquant la nécessité pour ses hommes d’être « en permanence à 100% » et soulignant leur absence de marge, eux qui n’auront battu qu’un seul membre du top 5 sur la première partie de saison (Angers, lors de la première journée) et ont légèrement surperformé (21 buts marqués pour 19.2xG, 17 buts encaissés pour 19.2xGA*). Frapolli, toujours : « Pour certains, la fin de notre phase aller occultera peut-être le bilan, mais pas pour nous. L’objectif reste avant tout le maintien, on l’a toujours répété. On a vu ce soir ce qu’il fallait faire pour être dans les deux premiers de ce championnat, mais être 4e, ça reste très valorisant. On a onze millions d’euros de budget, on ne boxe pas dans la même catégorie, mais le Stade lavallois se bat, il est valeureux, il joue de plus en plus… Le bilan reste bon très bon. » Place à Noël et à la phase la plus dure du sport de haut niveau : confirmer toutes les attentes. Mais mardi soir, combien étaient-ils encore en tribune ? 8 793. C’est peut-être avant tout ça qu’il faut retenir : Laval s’est remis dans le bon sens.
Par Maxime Brigand, à Laval
Tous propos recueillis par MB.
* : nombre expected goals concédés. Pour information, Laval affiche le 16e bilan aux xG et le 5e aux xGA.