- Foot et société
Les rythmes scolaires ralentissent-ils le foot français ?
Parmi les mesures adoptées par le nouveau gouvernement d'Emmanuel Macron, la décision de laisser les communes choisir l'organisation des rythmes scolaires, c'est-à-dire de revenir à la semaine de quatre jours, semble pour le moins éloigné du foot. Pourtant, cette question provoque quelques influences directes sur la vie des clubs amateurs, et par ricochet de notre élite.
La mesure avait provoqué de nombreux remous et débats. Il s’agissait d’une des rares réformes de fond réalisées sous la présidence de François Hollande, qui s’attaquait là au vieux serpent de mer des rythmes scolaires. Pour résumer rapidement la controverse, les spécialistes de tout bois s’accordaient sur le besoin de repenser le temps scolaire en France, comme l’explique Philippe Mérieu, pédagogue et professeur en science de l’éducation : « L’idéal, si on s’en remet aux chronobiologistes, serait que les enfants ne dépassent pas cinq heures de travail par jour au lieu des six, voire plus, au lycée actuellement. Il faudrait aussi de moins grandes coupures, pendant les vacances estivales par exemple. »
Le problème du mercredi matin
Voici exactement ce qui vient de se produire en France. Aussi bien pour des raisons économiques (coûts élevés des activités périscolaires) que pratiques (pour l’organisation des familles), un tiers des communes ont décidé de revenir à la semaine de quatre jours. Or, cette décision peut clairement affecter le club amateur du coin. « La réforme des rythmes scolaires nous concerne assez peu au départ, explique Mehdi de l’ES Vitry. Mais si la ville décide de changer de formule, cela rallongerait l’école jusqu’à 17h15. Ce qui compliquera pour nous le recours au créneau de 17h. Et finir à 16h15 pour certains gamins, c’était déjà limite. Il faut savoir que nous avons une grosse liste d’attente sur Vitry et que notre politique est de tout faire pour ne laisser personne sur le carreau. Après, il faut avouer que la fin des classes le mercredi matin nous permettrait de proposer de nouveau des choses pour les tout petits à partir de cinq ans, ce que nous ne pouvions plus envisager auparavant. »
Faut-il rappeler que le taux d’adhésion de la jeunesse des zones urbaines sensibles (ZUS) se révèle plus de deux fois moins élevé que pour le reste du pays (11,5% de licenciés contre 27%) ? L’inégalité sociale se joue partout. À ce propos, lorsque la réforme fut entérinée, la principale inquiétude des clubs et des communes portait sur le mercredi matin. Jacques Thouroude, président de l’ANDES – Association Nationale des Élus en charge du Sport – avait résumé le dilemme : « Jusqu’à présent, nous avions les enfants dans les écoles municipales des sports le mercredi matin, et dans les clubs l’après-midi. Comment cela va-t-il s’articuler aujourd’hui ? On ne veut pas rentrer en concurrence avec les pratiques sportives en club. Or, en bougeant le système, on peut avoir un effet domino. »
Moins dépendant des structures publiques d’offre sportive, le monde du foot avait toutefois bien accueilli la réforme en 2013. Le projet lui-même n’affirmait-il pas que « les élèves pourront accéder sur le temps périscolaire à des activités sportives, culturelles, artistiques qui développeront leur curiosité intellectuelle, leur permettront de se découvrir des compétences et des centres d’intérêt nouveaux et renforceront le plaisir d’apprendre et d’être à l’école » ? Surtout dans les petits communes et espaces ruraux, les dirigeants y voyaient, avec l’apparition des activités périscolaires, une opportunité de prendre pied dans le milieu scolaire, guère favorable au départ au ballon rond en raison notamment du fossé culturel avec le monde de l’EPS. Dans la Creuse, L’ES Marchoise recruta par exemple un éducateur sportif, avec comme mission d’intervenir « en milieu scolaire dans le cadre de la modification des rythmes scolaires à hauteur de douze heures par semaine » . Du coté de la FFF, on se demandait s’il ne s’agissait pas enfin de la formule idéale pour développer le foot féminin en passant par une institution mixte, pour surmonter et contourner les réticences des clubs amateurs.
Le modèle allemand
Dans ce registre, la comparaison avec l’Allemagne s’est tout de suite imposée. Y compris sur le versant féminin. Avec deux fois moins de clubs sportifs que l’Hexagone (qui compte pas moins de 180 000 associations dans ce secteur), les Allemands ne semblent pourtant pas être sportivement en retard sur nous. Beaucoup soulignent que les cours y finissent généralement entre 11h30 et 13h30 selon les Länder, qui possèdent historiquement une grande latitude dans ce domaine. Le reste de la journée étant donc à disposition des activités culturelles et, bien entendu, sportives, sachant par ailleurs que la grosse majorité (80%) des écoles allemandes ont développé des partenariats étroits avec les clubs sportifs locaux. Restent que les après-midis sportifs ont aussi été rendus responsables du mauvais classement de l’Allemagne au classement Pisa (qui mesure dans une trentaine de pays les compétences des élèves à quinze ans).
Chez nous, le constat après trois années d’expérience s’avère beaucoup moins enthousiasmant. Une étude rendue publique à la mi-2016 par le ministère de l’Éducation nationale souligne que si 87% des communes proposent des activités physiques et sportives (APS) dans le cadre des NAP (nouvelles activités périscolaires), seules 37% des collectivités font effectivement appel à un club local. Le reste du temps, le personnel communal est mis a contribution. Ce qui risque peu de profiter au football local. Dans un climat morose pour le foot amateur (baisse des subventions, réforme territoriale, inégalité entre clubs, etc.), les rythmes scolaires ne seront donc pas la solution miracle pour assurer l’accès de tous au monde du ballon rond.
Par Nicolas Kssis-Martov