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Les Rennais à Milan : la fête avant la défaite
Il est difficile de ne pas être déçu d'avoir vu le Stade rennais subir la loi de l'AC Milan, ce jeudi soir, à San Siro. Mais il restera quand même autre chose que la défaite de ce rassemblement de 10 000 supporters des Rouge et Noir, venus d'un peu partout dans le monde (oui, oui) pour vivre ce moment spécial. On y était.
Il ne faut pas marcher plus de quelques mètres pour tomber sur un stick « RENNES » en se baladant dans le centre de Milan. Ni pour apercevoir un maillot rouge et noir d’ailleurs, et on ne parle pas de celui que la ville italienne connaît par cœur. Depuis plus de cinq ans, les supporters rennais le savent mieux que personne, rien n’est plus excitant qu’un déplacement européen. Rien. Celui-ci est un peu plus spécial que les autres. Il rappelle le parfum des premiers émois de 2019, à Séville et à Londres. Ils étaient 3500 en Andalousie ; 5000 en Angleterre. La même question revient chez tout le monde dans les rues milanaises : « On va vraiment être 10 000 ? » Il n’est pas simple d’avoir la réponse, les plus prudents parlent d’une fourchette allant de 8 000 à 10 000, soit un record historique pour le Stade rennais et l’un des contingents les plus massifs pour un club français en Europe. Tout ça pour un match de football, tout ça pour une défaite 3-0 sans appel, mais il y a parfois plus important dans ce genre de moments – même s’il faut digérer la déception après une telle claque et regretter de ne pas avoir vu Rennes se montrer capable de proposer mieux à San Siro. Il y a la fête, les souvenirs, la communion et cette sensation d’avoir vécu quelque chose que l’on pourra raconter dans 10, 20 ou 30 ans.
Heineken, Salma Hayek et Gazzetta dello Sport
« Rennes va le faire demain, c’est sûr », peut-on entendre dans un petit troquet situé le long des canaux du quartier historique des Navigli, à la veille de la rencontre que tout le monde attend, même si on ne peut pas dire que la ville de Milan vibre pour la réception d’un club comme le Stade rennais. Les Italiens découvrent peut-être l’existence du club breton, ou apprennent à mieux le connaître au rythme des premiers chants résonnant dans les bars du coin le mercredi soir. Les discussions tournent essentiellement autour de la rencontre à venir : le onze de départ, le pourcentage de chances de ramener la victoire, l’engouement, la présence ou non de Salma Hayek, l’actrice mexicaine et épouse de l’actionnaire François-Henri Pinault, qui est arrivé à Milan le jeudi. « On est les petits protégés de Salma Hayek », blague un fan entre deux pintes. Les curieux sont forcément attirés par les décibels, et voilà un Néerlandais se présentant comme l’un des descendants de Gerard Adriaan Heineken – le fondateur de la célèbre brasserie – qui vient crier son amour pour Eduardo Camavinga. « Je connais aussi un peu Martin Terrier, bonne chance pour demain », lance-t-il dans un français approximatif.
En ce jour de Milan-Rennes, le #SRFC s’est offert une page de pub en dernière de couv de la Gazzetta dello Sport. pic.twitter.com/NWyUVmPFbV
— Clément Gavard (@Clem_Gavv) February 15, 2024
La nuit va être longue pour certains supporters rennais. Les troquets commencent à fermer leurs portes entre 1h et 2h du matin. Dans l’attente de trouver une boîte de nuit prête à les accueillir, les derniers solides errent sur les rives de Navigli. Pas fatigué, Benoît continue de se chauffer la voix en proposant sa propre chanson en l’honneur de Benjamin Bourigeaud, la légende locale, sur l’air des Corons de Lens, le club formateur du milieu offensif. Forcément, il ne fallait pas compter sur les oiseaux de nuit pour être au rendez-vous dès midi sur la Piazza Sempione, le lieu de rassemblement des supporters rennais le jour du match. Plus tôt dans la matinée, une partie de palets s’improvise au Duomo, au milieu des touristes et des Milanais, qui ne connaissent sans doute rien de cette activité chérie en Bretagne. Il est impossible de se balader sans croiser un maillot rouge et noir, celui du Stade rennais. Les plus matinaux ont eu de la chance, ils ont pu se procurer un exemplaire de la Gazzetta dello Sport du jour, où le club breton s’est offert une page de pub et un coup de com génial. Résultat : les bureaux de presse milanais sont dévalisés, et le quotidien transalpin devient quasiment introuvable.
D’Abidjan, Boston ou Copenhague à Milan
Les supporters continuent d’affluer et de se presser pour aller récupérer leur place pour la rencontre au Rosa Grand, où le hall a été spécialement réservé par le SRFC pour l’occasion. Ils arrivent de partout, et ce n’est pas une façon de parler. En même temps que la place où règne l’Arco della Pace se transforme en mini-Rennes, Guillaume déguste sa pinte en terrasse. Lui vient de Copenhague, où il vit depuis dix ans. Il a pris l’habitude de sauter dans un avion pour retrouver son club préféré aux quatre coins de l’Europe. Il était à Jablonec, à Arsenal, à Cluj, à Glasgow, à Cracovie et même à Tottenham pour un match qui n’aura finalement pas eu lieu en décembre 2021. « Là, j’ai directement dit à ma boîte de m’envoyer à Milan, on a des bureaux ici, explique ce trentenaire qui bosse dans le digital. Ils savent pourquoi je viens ici, ils sont au courant, ça me permet de prendre un logement cool et de faire profiter des potes. Le seul moyen de kiffer Copenhague vu que c’est un peu chiant, c’est de partir souvent. Et le Stade rennais, c’est le meilleur levier pour ça. »
Plus loin sur la place, Nicolas arrive… d’Abidjan. Ce Malouin vit en Côte d’Ivoire depuis un peu plus de quatre ans, il était d’ailleurs au Stade Alassane-Ouattara dimanche dernier pour assister au sacre des Éléphants à la CAN. Le voilà à Milan après un voyage de quatorze heures en passant par Casablanca, soit moins de temps que son cousin qui l’accompagne, et qui est venu de Rennes en car. « Je voulais faire Fenerbahçe la saison dernière, mais j’avais le mariage d’un ami, j’étais un peu frustré d’avoir raté ce match. J’attendais le bon déplacement et j’ai commencé à économiser dès que le tirage est tombé, raconte celui qui a grandi en Côte d’Ivoire, où il a eu la chance de prendre un café avec Laurent Pokou, illustre joueur passé par Rennes, quand il était adolescent. Je retrouve mon cousin, c’est la relève, je reconnais un peu des têtes. L’important, c’était d’être présent et de vivre ce moment historique. » Il y a aussi Grant, 26 ans et qui a voyagé depuis Boston, sur la côte Est des États-Unis. Il n’est pas rennais ni français, il a seulement fait une partie de ses études à Rennes, où il a découvert le Roazhon Park et le public rennais. « C’était dingue ! », nous écrira-t-il le lendemain de la fête et de la défaite, lui qui n’avait plus vu jouer le SRFC au stade depuis six ans et qui se réjouit de pouvoir rester « attaché » au club via les réseaux sociaux. Il l’assure, ce ne sera pas la dernière fois qu’il se déplace pour voir les Rouge et Noir.
L’Américain n’a pas tort, c’est dingue. Si la place met du temps à se remplir, au point que le début d’après-midi soit un poil décevant et très calme par rapport aux chiffres annoncés, la marée rouge et noir ne cesse de déferler et de s’animer sur les coups de 16h. Les chants se multiplient, les fumigènes sont de sortie et les tramways ont le droit à leur haie d’honneur et à quelques sticks, évidemment. Il y a des jeunes et des moins jeunes ; des amis et des familles ; des garçons et des filles. « On a fait un mot à l’école », sourit la famille Lecharpentier accompagnée de deux de ses filles, et dont le père Matthieu est connu pour être l’archiviste du site RougeMémoire. Le premier cortège part aux alentours de 16h30 pour rejoindre une station de métro, où des rames seront dédiées aux fans rennais. Le contingent est impressionnant, le bruit aussi. Aux fenêtres, les Italiens sortent leurs téléphones pour filmer le défilé, il paraît que ce n’est pas commun à Milan. « Qu’est-ce qui se passe, pourquoi tout ce monde ? » demande une femme âgée en traversant un passage piéton. La réponse la laisse circonspecte, elle peut continuer son chemin loin de la bande bretonne.
Marche interminable, fouilles et Pom’Potes
Tout est très organisé, très réglé, même s’il est difficile d’empêcher certains supporters de soulager leur vessie où ils le peuvent, ni quelques inconscients d’allumer des fumigènes dans le métro. Plus de peur que de mal, il n’y a pas eu de drame, et d’autres fans rennais patientant sur la Piazza Lotto ont vu arriver au compte-gouttes le premier cortège pour en former un second, cette fois en direction de San Siro, enfin. Il est tôt, il y a le temps, le coup d’envoi est dans un peu plus de trois heures. « On va les exploser ce soir », hurle un Rennais qui n’en est visiblement pas à sa première canette de bière. Cette seconde marche va durer plus d’une heure, au point de commencer à fatiguer des supporters usés par la journée et peut-être un peu par l’alcool. « Ils nous ont niqués, on a fait un énorme détour », nous dit-on. Même la sécurité rennaise commence à souffler, mais le cortège reste pacifique. « Un policier d’ici nous a dit que c’était dans le top 3 des supporters venus ici au niveau du comportement, c’est nickel », nous explique-t-on. Les chants reprennent peu à peu, on commence à apercevoir l’impressionnant San Siro, et c’est le moment choisi par un supporter pour se rincer le gosier avec sa Pom’Potes contenant du rhum pur.
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— Clément Gavard (@Clem_Gavv) February 15, 2024
L’impatience pointe le bout de son nez, et l’entrée dans l’enceinte est compliquée. Ils vérifient les pièces d’identité, multiplient les fouilles, et plusieurs supporters rennais sont encore en train d’attendre à l’entrée à 30 minutes du coup d’envoi. « C’est scandaleux, la gestion des flux, témoigne Clémence. C’est hyper dangereux, il y a des mouvements de foule de malade. » Ils finiront par accélérer le rythme pour que personne ne manque le début du match ou le fameux Sarà perché ti amo, puissant mais très court. En tribune de presse, les journalistes italiens ont les yeux rivés sur le double parcage rennais perché dans le troisième anneau. Les Bretons se font entendre et se font remarquer avec des fumigènes allumés pour l’entrée des deux équipes. Un « Aux Armes » résonne dans San Siro en plein match, comme d’autres chants. Il aura manqué un but à fêter, au moins, ne serait-ce que pour conserver de l’espoir pour la manche retour.
Dans le labyrinthe du stade milanais, Julien Stéphan et Baptiste Santamaria n’ont pas caché que la qualification était très compromise. « On y croit, sincèrement on y croit. Dans le football, il ne faut jamais baisser les bras », ose Désiré Doué. À 00h30, les moyens de transport sont quasiment inexistants pour rallier le centre de la ville. On aperçoit un tramway bondé, mais c’est tout. Les taxis sont chers, il faut boucler cette sacrée journée par une nouvelle randonnée. « On ne sait jamais pour le retour, il faut y croire », murmure timidement un Rouge et Noir. Pour certains, c’est le début du week-end. Ils sont quelques-uns à avoir prévu de revenir sur le lieu de la défaite ce vendredi soir pour Inter-Salernitana, d’autres sont déjà de retour en Bretagne. Nicolas doit passer la nuit de vendredi à samedi à Casablanca avant de revenir à Abidjan, Grant va profiter de Côme, Josselin a fait l’aller-retour de Munich… Ils ne seront pas au Roazhon Park pour Rennes-Clermont ni pour Rennes-Milan dans une semaine, mais ils ont pu se connecter à leur club préféré et à sa communauté. C’est ça aussi, le football.
Par Clément Gavard, à Milan
Tous propos recueillis par CG