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Les primes vont-elles gâcher le Mondial féminin ?
Les problèmes de primes, les menaces de grèves et boycotts ne sont pas qu’une histoire d’hommes à la veille d’une Coupe du monde. Dans un football féminin extrêmement précaire, l’argent reste le nerf de la guerre, même si la FIFA avait pensé anticiper les choses.
Le 8 juin dernier, la FIFA annonçait une vraie révolution : chaque joueuse participant à la Coupe du monde était assurée de toucher au moins 30 000 dollars, voire plus si son équipe allait plus loin que les poules. Une somme versée directement aux joueuses et non remise au bon vouloir des fédérations pour la première fois de l’histoire de la compétition, à la suite d’une demande très appuyée de la FIFPro et de 150 joueuses ayant adressé une lettre ouverte à la FIFA pour demander des « conditions égales ». Des demandes partiellement entendues, évitant ainsi que certaines fédés peu scrupuleuses s’en mettent plein les poches sur le dos de précaires. D’autant qu’une étude datant de 2022 montre que le salaire moyen d’une joueuse professionnelle est de 14 000 dollars par an. Et on parle là de salaire moyen et non médian, puisque certaines stars des clubs européens ou américains ont des salaires très importants, faussant le calcul. Les revenus médians dans cette première Coupe du monde à 32 nations sont sans doute bien loin de ce montant, puisque seuls 12 des pays présents en Australie et en Nouvelle-Zélande ont une ligue professionnelle.
Une somme qui va « transformer » des vies
L’annonce de Gianni Infantino et de ses équipes a donc été vécue comme un cadeau du ciel par beaucoup des joueuses. D’autant que selon le dernier rapport de la FIFPro, 29% des joueuses n’ont pas été payées par leurs fédérations pendant les qualifications au Mondial, 40% d’entre elles seulement sont professionnelles et 66% ont dû quitter ou prendre un congé sans solde dans leur autre emploi pour participer aux festivités en Océanie. « Lors de la Coupe d’Afrique, avec la moitié de cette somme, les joueuses ont pu construire ou acheter des maisons, envoyer leurs frères et sœurs à l’école, car la plupart d’entre eux ne vont même pas à l’école, raconte Mike Mubanga, responsable de la communication de la fédération zambienne. Avec cette petite somme, ils ont pu transformer leur vie. Vous pouvez donc imaginer ce qu’elles pourraient faire avec 30 000 dollars, d’autant plus que c’est compter sans les primes de victoire… »
Sauf que si la FIFA a effectivement tenu à ce qu’un minimum de 30 000 dollars soit alloué à chaque joueuse par sa fédération, sur le 1,56 million de dollars qui sont versés à chacune des 32 nations, les bonus décidés par les nations elles-mêmes viennent semer la zizanie. La préparation de l’Afrique du Sud, par exemple, a été largement polluée par une histoire de primes qui n’ont pas été payées par la fédé durant les qualifs, poussant la totalité du groupe retenu pour le Mondial à faire grève. Sur un terrain paumé en banlieue de Johannesburg, une gamine de 13 ans issue du championnat local a donc fait ses débuts dans un amical contre le Botswana que les championnes d’Afrique en titre représentées par une équipe bis ont perdu 5-0. Il a fallu l’intervention du milliardaire local et président du football africain Patrice Motsepe pour éviter la poursuite du fiasco en Nouvelle-Zélande.
Impayés et menaces de grève en Zambie et Nigeria
Les Zambiennes aussi ont dû montrer les muscles pour des arriérés soient payés avant que ne démarre le Mondial et ont menacé de ne pas se présenter lors de l’amical face à l’Irlande le 22 juin dernier. Un billet de 500 dollars déposés sur les comptes de chaque joueuse le jour même a réussi à apaiser les tensions, jusqu’à ce que Hazel Nali ne vienne régler ses comptes dans une interview pour le média local Zambianfootball.co.zm, révélant qu’elle n’était pas victime d’une blessure des croisés comme annoncé par sa fédération, mais que cela pourrait être un moyen de la tenir éloignée du groupe après qu’elle a pris la parole concernant cette affaire de primes. Une version que seule la joueuse défend, elle-même ayant refusé de signer la décharge qui l’oblige à quitter le groupe officiel zambien pour la Coupe du monde. Une façon de conserver ses 30 000 dollars alors qu’elle s’est fait virer de son club et de son travail pour participer au Mondial ?
Le problème des primes n’a épargné que la sélection marocaine parmi les quatre nations africaines qualifiées pour ce Mondial. Les joueuses du Nigeria menacent, elles, de boycotter les matchs de la Coupe du monde si leur fédé n’adhère pas à un accord prévoyant qu’elles reçoivent 30 % des recettes du tournoi versées par la FIFA. La NFF affirme qu’elle ne paiera plus ce bonus initialement prévu, puisque la FIFA verse déjà une prime individuelle pouvant aller jusqu’à 270 000 dollars par tête en cas de victoire de la Coupe du monde. Une menace de grève soutenue par Randy Waldrum lui-même, sélectionneur des Super Falcons depuis deux ans et demi, réclamant de son côté 14 mois de salaires impayés. « En octobre, chaque pays a reçu 960 000 dollars de la FIFA pour préparer la Coupe du monde. Où est cet argent ? », a dénoncé le coach en conférence de presse. En effet, si les joueuses ont vu le montant de leur dotation FIFA être triplé, c’est tout le prize money global qui a explosé lors de cette édition. Le total représentant 152 millions de dollars, très loin des 40 millions de l’édition passée. Et chaque acteur veut logiquement sa part du gâteau.
Angleterre et Allemagne en plein conflit, l’Australie veut plus
Mais les nations africaines ne sont pas les seules à faire parler d’elles pour des histoires de primes. En Angleterre, les championnes d’Europe se disent « frustrées » que leur fédération n’ait pas ajouté de bonus au prize money FIFA. Par le passé, comme celui-ci était versé directement aux associations nationales, il revenait aux joueuses de négocier le pourcentage qu’elles percevraient ensuite. Sauf que la FA se serait contentée des deniers filés directement par l’instance mondiale, sans aucune volonté de donner davantage. Millie Bright a annoncé ce mardi que les Lionesses mettaient en pause leurs revendications le temps du Mondial, mais qu’elles comptaient bien revenir à la charge après coup. La sélection allemande est confrontée au même problème, n’ayant pas d’accord au long terme concernant les pourcentages de chaque prize money d’une compétition alloués aux joueuses. Un problème qui devrait se présenter pour un bon nombre de sélections dans les jours à venir, comme prévient le patron de la Professional Footballers’ Association : « Même si les problèmes des Lionesses sont spécifiques aux négociations avec la FA, elles rejoignent un nombre de pays qualifiés au Mondial prêt à prendre position quand elles pensent qu’elles ne sont pas entendues. »
L’équipe de France, elle, peut se targuer d’avoir anticipé, en entamant tôt des discussions sur le fameux pourcentage du prize money que se partageront joueuses et staff, avant de s’accorder sur les montants alloués par la FIFA, sans bonus, comme il est de coutume à la 3F. Les Bleues ont pour habitude autrement de se partager 30% de la dotation faite par l’instance. Un pourcentage équivalent à celui des garçons, mais qui relève plus d’une équité que d’une égalité. En effet, l’enveloppe de la FIFA pour le Mondial qatari était de 440 millions de dollars, soit trois fois plus que pour les filles. L’écart est encore plus grand lorsque l’on compare les sommes attribuées aux vainqueurs. « La FIFA n’offrira toujours aux femmes qu’un quart de la récompense accordée aux hommes pour le même exploit », pointe du doigt la sélection australienne dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux ce lundi. Mettant la pression sur l’instance, les Matildas demandent que les primes soient les mêmes pour les deux sexes. En 2015, les Australiennes avaient déjà fait parler d’elles lors d’une grève pour obtenir de meilleures conditions. « Comme sur le terrain, nous nous sommes serré les coudes, nous avons refusé de reculer et nous avons obtenu le résultat », se souvient Katrina Gorry. Infantino et les autres patrons de fédé sont prévenus.
Par Anna Carreau