- C1
- Quarts
- Barcelone-Bayern (2-8)
Les poncifs tactiques de Barça-Bayern
La rigueur allemande a totalement détruit le FC Barcelone, et même si le match a été vampirisé par les Munichois, il mérite d'être décortiqué. Surtout quand il se prête autant aux lieux communs et aux analyses vides de contenu.
Il ne fallait pas arriver en retard, ce vendredi soir, si l’on voulait assister à la pose des premiers jalons du chef-d’œuvre bavarois. Le centre de Perišić – qui avait reçu pour consigne de ne pas mordre la ligne et d’occuper son couloir dans sa largeur – à l’origine de l’ouverture du score est à montrer dans toutes les écoles de football, tout comme l’échange en une touche de balle entre Müller et Lewandowski qui a suivi. Toujours à contretemps, les défenseurs barcelonais découvrent aussi rapidement que cruellement que chaque erreur se paye cash à ce niveau de compétition. Pourtant, ce sont bien les Catalans qui manquent d’ouvrir le score les premiers. En effet, sur la première action de la partie, le Bayern ne doit son salut qu’à un tacle habile de Manuel Neuer montrant pour la énième fois qu’il est autant à l’aise avec ses pieds qu’avec ses mains (pour rappel, il avait inventé le poste de gardien moderne face à l’Algérie à la Coupe du monde 2014 et est depuis considéré comme le premier relanceur de son équipe).
Le jeu au pied de Neuer, gardien libero dans ses œuvres
Simplement surpris par un but contre son camp d’Alaba, le Bayern ne s’affole pas et continue de jouer sa partition sans sourciller. Même si Neuer doit renvoyer Suárez dans sa chambre en remportant un duel, à la neuvième minute. En frappant le poteau quelques secondes plus tard sur coup franc, Messi prouve que ce genre de match peut aussi se jouer sur des coups de pied arrêtés. Mais au-delà de ces quelques tentatives barcelonaises, c’est bel et bien le plan tactique mis en place par Flick qui a permis à Munich d’écrire une page de légende de la Ligue des champions.
Triangles, longueur, largeur et hauteur
Toujours positionnés dans le sens du jeu (cf image), les Bavarois opposent l’efficacité allemande à la vivacité des Blaugrana. Les Catalans ne peuvent mettre en place leur tiki-taka (stratégie fondée sur la multiplication des passes courtes et rapides et sur la circulation permanente de la balle) et doivent s’en remettre à la vista de leur Pulga Lionel Messi, lauréat de six Ballons d’or France Football et habituellement capable de changer le cours d’un match à lui tout seul. En développant un football de possession dans lequel les dézonages sont toujours compensés par le mouvement d’un coéquipier, Munich surprend plusieurs fois les joueurs barcelonais dans leur dos, et l’utilisation récurrente des latéraux dans des rôles de points d’appui permet les dédoublements ainsi que la formation de triangles (cf image).
Les Bavarois sont dans le sens du jeu
Triangle classique sur le but de Perišić
Cette capacité à surprendre l’adversaire ne pourrait pas exister sans les joueurs adaptés à ce système, et l’un des grands artisans de la déculottée infligée par le Rekordmeister à leur adversaire du jour se nomme Thomas Müller, attaquant capable de se muer en pivot ou en faiseur de jeu et qui n’a besoin que de quelques ballons pour faire la différence. Autre outil utilisé par les hommes de Flick : l’utilisation des airs, là où la culture catalane implique des passes au sol prévisibles. Exemple typique sur le but du 3-1 marqué par Gnabry, servi dans les airs par Goretzka. Utiliser la longueur et la largeur, mais aussi la hauteur du terrain, toutes les armes sont bonnes à utiliser dans le football.
Le ballon passe au-dessus des défenseurs barcelonais, Gnabry peut aller marquer
Cas d’école
Sur le papier, le bloc bavarois n’était pourtant pas le plus mobile du monde avec un milieu à cinq massif, dense et moins propice aux mouvements de joueurs que d’autres systèmes. C’était compter sans la bougeotte de Perišić et Gnabry qui ont parfaitement utilisé les ailes avant de repiquer à l’intérieur, laissant ainsi de l’espace à Davies et Kimmich qui ont soit marqué, soit offert une passe décisive. Par exemple, on peut voir sur l’image ci-dessous qu’au moment du cinquième but (passe de Davies pour Kimmich, justement), même Nick Süle (avec le numéro 4) se trouve dans les six mètres de Ter Stegen. L’espace est créé derrière Davies, le latéral du Bayern a au moins trois solutions devant lui, et Ter Stegen est obligé de protéger son premier poteau (laissant le deuxième libre, cf zoom). Dès lors, le but apparaît comme une évidence. Un cas d’école du football total, dans lequel tout le monde attaque et tout le monde défend. Autre conséquence de ces consignes : Thomas Müller a couru 5,5 kilomètres uniquement en première mi-temps.
Le but de Kimmich
Avec une identité de jeu aussi marquée et face au gloubi-boulga proposé par le Barça, la victoire du Bayern faisait peu de mystère. Ce qui étonne, en revanche, c’est la violence du score final. Il est vrai qu’après avoir encaissé un cinquième pion (et alors que Suárez venait de redonner de l’espoir aux siens, en marquant le but du 4-2), le Barça a totalement débranché la machine pour assister passivement à la fin du match. Le rouleau compresseur allemand en a profité pour en planter trois supplémentaires, toujours grâce à la même formule : dézonage, rôle moderne des latéraux, utilisation de la profondeur, maîtrise du ballon, relance propre, gestion des petits espaces, jeu en remise, joueurs trouvés entre les lignes, double pivot, replacement immédiat après la perte de balle, soutien, création de situations de déséquilibre, travail sur les intervalles, démarquages, et fixation de la défense adverse. Bon courage au coach qui devra trouver une parade à cette palette tactique en demi-finales.
Par Alexandre Doskov