- Ligue 1
- Paris SG
- Supporters
Les Playmobils veillent sur Disneyland
On allait au Parc pour PSG-Montpellier. On s’est retrouvé en Amérique. Depuis l’adoption du fameux « plan Leproux » à l’été 2010, le PSG et les pouvoirs publics se félicitent de l’atmosphère apaisée du Parc des Princes et de ses alentours. Mais c’est au prix d’une certaine ferveur populaire et d’une transformation du stade de la Porte d’Auteuil en un Parc d’attraction grotesque protégé comme une forteresse. Double infiltré dans les travées du Parc, à l’occasion du choc PSG-Montpellier : l’un en tribune présidentielle Francis Borelli, en A, à côté des TitiFosi pour la modique somme de 32 euros, l’autre en secteur visiteur avec les ultras pailladins au prix de 15 euros.
PSG-Montpellier, c’était le match de l’hiver, le leader contre son dauphin, en prime time sur Canal+. Mais PSG-Montpellier, c’était surtout l’entrée dans une nouvelle ère. « Le Parc fait peau neuve ! » s’extasiait la veille du match le site officiel du PSG. Outre une nouvelle pelouse dont la couleur laisse sceptique, le Parc inaugurait en fanfare sa « nouvelle décoration » . Avec un objectif clair, « mettre davantage en valeur la marque PSG » . Quant à l’arche disposée à l’entrée des joueurs, elle est censée « événementialiser davantage cet instant spectaculaire » . Le club a cru y voir un « Parc des Princes de Gala » . Nous, on a surtout vu un discours marketing friand de néologismes, des animations kitsch et une ambiance trop souvent pathétique. Bienvenue dans le second Disneyland Paris !
Un parcours du combattant
On veut bien l’admettre. Aller en parcage visiteur et en tribune Francis Borelli, soit les deux tribunes les plus inaccessibles du Parc, ce n’était sans doute pas le meilleur choix. Mais quand même. A la sortie du métro, le spectateur doit se livrer à un véritable parcours du combattant pour accéder à sa place. Autour du stade, la circulation est savamment organisée en fonction de la tribune où l’on se rend. Sauf que, étant donné la grande dangerosité des ultras montpelliérains et les travaux dans le secteur de la porte d’Auteuil, c’est un nouvel itinéraire, encore plus compliqué que d’habitude, qui nous est imposé.
En vieil habitué du Parc, Laurent a beau dire que ce n’est pas illogique de nous faire passer par là, on est un peu blasés. Et on n’est pas le seul. « C’est un véritable marathon » s’étonne un spectateur. En fait, c’est une offre couplée « deux en un » . Un spectacle sportif en plat de résistance et un exercice de marche sportive avec obstacles en apéritif. Bon, on ne va pas être bégueule, les innombrables CRS qu’on a croisés dans le métro, dans la rue et à tous les chekpoints étaient plutôt cools. Et le PSG a eu l’idée brillante d’affubler certains stadiers d’un panneau lumineux « orientation » afin d’aider le spectateur désemparé à s’y retrouver.
Un petit passage en Corée du Nord
« Enfin » s’exclame notre voisin de trottoir en découvrant le Parc illuminé après une longue marche dans les rues animées de Boulogne-Billancourt. Certes, le stade est là devant nous, mais, pour l’instant, on est encore en Corée du Nord. Afin de libérer la route devant le Parc, il faut passer par un étroit couloir humanitaire quadrillé par des policiers, patibulaires mais presque. Interdit de mettre le pied sur la route ! Celui qui s’écarte du trottoir est gentiment mais fermement ramené dans le droit chemin. « Idéal pour attirer un public familial » rigole Alain, légèrement mauvais esprit depuis qu’il n’a pas encaissé de voir son abonnement en quart-de-virage non renouvelé à l’été 2010.
En attendant l’entrée dans le stade, il s’amuse à compter les femmes et n’en repère que 4. « Il n’y en a pas plus qu’avant » maugrée-t-il juste avant de passer son billet dans le lecteur numérique et de profiter de la fouille. Pour accéder au parcage visiteur, c’est encore pire. L’impression d’accéder à un château-fort en passant par d’innombrables portes gardées par des molosses. Et l’expérience étrange d’acheter son billet à la sauvette sur le trottoir, à quelques trois cents mètres de l’entrée en tribune…
Adieu les banderoles, bonjour les couronnes homogènes
Une fois entrés dans le stade, c’est un spectacle féérique qui s’offre (enfin, façon de parler, vu le prix qu’on a payé) à nous. Adieu les couronnes grises du « vaisseau spatial » . Adieu les bâches bariolées des anciens groupes de supporters. Adieu les banderoles du club déchirées à l’automne par des supporters contestataires et nostalgiques. Bonjour les rayons rouge et bleu qui présentent de façon homogène publicités et palmarès du club. Le Parc a fait peau neuve et il n’a pas une tache. « On se croirait dans un supermarché super bien rangé » s’étonne Maxime. Bien sûr, il est encore écrit « Ici c’est Paris » et « Fiers de nos couleurs » dans les deux virages. Mais l’essentiel s’inscrit en caractères bien gras sur le fronton de la tribune Paris : « Rêvons plus grand » . Marne-la-Vallée n’a qu’à bien se tenir. A moins que ce ne soit Saint-Denis et le Stade de France…
Voilà pour le décor. Vient ensuite le spectacle, tout aussi grandiloquent, et accordé comme une partition de musique. D’interminables spots publicitaires inondent les deux écrans géants. Le volume assourdissant casse franchement les oreilles. On n’arrive même pas à entendre son voisin s’en plaindre. Une dose ronflante de « PSG live » fait revivre les meilleurs moments de la saison et du match aller, en même temps qu’elle tente de mobiliser les troupes pour le match. Las, le matraquage est entrecoupé d’une séance de football sur jeu vidéo, qui ennuie au moins autant qu’elle assure la promotion d’un célèbre jeu de foot.
« On se croirait dans un stade américain ! »
Heureusement le speaker commente le match virtuel et accompagne de sa voix rassurante le public dans le nouveau parc d’attraction de la porte d’Auteuil. Mon voisin ne se plaint plus du bruit, il esquisse désormais un sourire désabusé : « On se croirait dans un stade américain ! » . Il sait de quoi il parle, il a vécu un an en Floride. Mais PSG-Montpellier, finale du Superbowl, on le saurait ! C’est lorsque des focus lumineux éblouissants, spécialités du pays de l’Oncle Sam et des matchs de NBA, mettent en lumière les tribunes, qu’on se dit qu’il n’a pas tort. Maxime, lui, n’est plus au supermarché. Il a l’impression d’assister à un spectacle de Kamel Ouali. S’agissait-il de motiver le public ? De l’inviter à faire la ola ? Ou d’aveugler les spectateurs sur le fonds de jeu du PSG ? Quoi qu’il en soit, des comptes à rebours ponctuent le show et maintiennent la tension. Enfin, pas chez nous. « C’est devenu n’importe quoi le Parc » s’énerve Alain.
Malheureusement pour lui, le divertissement n’est pas fini et donne encore plus la nausée que le Space Mountain. Une voile géante aux couleurs du PSG, surplombée d’un ballon gonflable, est baladée tout autour du stade. Si elle provoque l’exaltation du speaker, elle laisse de marbre de nombreux spectateurs qui ont du mal à en saisir le caractère extraordinaire. Soudain, elle s’arrête plusieurs minutes… juste devant le secteur visiteur, où elle reçoit sifflets et insultes de la part des supporters montpelliérains. Pas tellement dans l’esprit de Mickey cette provocation !
Un public parisien décevant
Les enceintes ont beau cracher des chants, le speaker a beau haranguer la foule, un drapeau orné du logo du PSG a beau avoir été distribué à chaque spectateur, la mayonnaise ne prend pas vraiment. Tous les drapeaux agités forment un beau tableau. L’acoustique du stade est toujours exceptionnelle. Certains chants basiques continuent de bien claquer. Mais les blancs sont longs et nombreux. Le Parc ne s’enflamme (un peu) qu’après chacun des buts parisiens. Et la fréquence des insultes ne cadre pas vraiment avec l’esprit Disneyland. Les sonos installées dans les virages à l’automne pour relancer l’ambiance ne changent pas grand-chose. Il faut dire que, côté Boulogne, celui qui tient le micro réussit l’exploit de ne pas avoir de charisme et d’être incapable de progresser au fil des matches. Cela lui vaut quelques moments de grande solitude, quand il lève les bras tout seul ou quand son chant est repris seulement par ses trois copains.
Est-ce que le nouveau public manque de culture supporter ? Ou est-ce que les anciens abonnés, revenus voir les prouesses du PSG façon Qatar, répugnent à suivre les chants lancés maladroitement par un meneur coopté par le club ? Les dix dernières minutes rendent plus probable la première hypothèse. Alors que Montpellier a logiquement pris l’avantage, des « Mouillez le maillot ! » s’élèvent de la tribune Boulogne. Avant d’être couverts par des extatiques « On est les premiers ! » après l’égalisation d’Hoarau. C’est sûr qu’il y a de quoi pavoiser en réussissant un nul contre le second, après s’être fait bouffer les ¾ du match par le centre de formation montpelliérain. Alain est blême : « Ça me rend malade, cette ambiance » .
Stadiers et fumigènes
En tout cas, tout ce petit monde est surveillé par les stadiers qui, parce qu’ils s’ennuient ou parce qu’ils recherchent ceux qui se roulent un petit joint tranquilles en hommage à Maxwell, sillonnent les virages comme une chenille. On se demande alors franchement à quoi ils servent. Jusqu’à la frappe (d)étonnante d’Alex et l’ouverture du score. La vraie surprise se trouve cependant dans la partie haute de la tribune Boulogne. Deux torches s’allument subitement sous le regard médusé des spectateurs. Voyant les stadiers s’approcher de lui, l’un des pyromanes a l’excellente idée de jeter sa torche. Par miracle, elle atterrit sur le terrain sans blesser personne. En voilà un dont on ne regrettera pas la future interdiction de stade.
On ne peut néanmoins pas s’empêcher de penser que s’il n’avait pas craint d’être interpellé, il aurait sans doute déposé son engin pyrotechnique par terre, sans faire courir de risques aux spectateurs. On ne peut pas non plus s’empêcher de penser que les fumigènes et pétards utilisés par les ultras montpelliérains sont avant tout une provocation face à la traque obsessionnelle des engins pyrotechniques par les pouvoirs sportifs et publics.
Un parcage mis sous l’éteignoir
Pendant qu’en tribune A un spectateur se prépare un joint, un supporter montpelliérain voudrait bien allumer une clope. Malheureusement, il n’a plus de briquet car le feu a été confisqué à la fouille. Pour éviter tout incident. Mais aussi sans doute pour ne pas perturber le show parisien. 700 supporters pailladins galvanisés par les résultats de leur équipe, ça aurait pu faire du bruit. Alors, tout a été prévu pour que chacun reste à sa place et que la féérie parisienne ne souffre aucune contestation. Les consignes à la fouille étaient trop strictes pour ne pas éveiller les soupçons : les supporters visiteurs n’avaient le droit d’entrer ni mégaphones pour lancer les chants, ni tambours pour les rythmer. Seuls les drapeaux d’une taille inférieure à 1 mètre 20 étaient acceptés. Autrement dit, peu ont pénétré dans le parcage qui ne devait pas détonner d’avec le reste du stade et afficher les mille couleurs propres aux tribunes de supporters.
Le dispositif a parfaitement fait son œuvre : le parcage montpelliérain s’est avéré moins coloré et bruyant que lors de ses autres sorties, au point de n’être entendu que fugacement depuis la tribune A. Bien sûr, il est appréciable que le climat soit moins tendu et que des incidents n’éclatent plus autour du Parc. Mais fallait-il pour autant sacrifier la ferveur ? En sortant du stade, très longtemps après la fin du match pour celui d’entre nous placé en secteur visiteur, on ne pouvait s’empêcher de se remémorer les ambiances fabuleuses vécues dans ce stade et de repenser à cette image, passée le temps d’un éclair sur les écrans géants, d’un supporter brandissant un tee-shirt : « Le Parc c’était mieux avant » .
Quentin Blandin et Anthony Cerveaux, au Parc des Princes
Par