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« Les parents veulent nous faire la guerre »
Samuel Mathias William est membre du bureau d’un petit club de football en Normandie. L’encadrement de la catégorie U11 est en ce moment la cible de menaces, d’injures racistes et de harcèlement. Il témoigne de cet épisode qui dure malheureusement depuis trop longtemps dans ce club.
« Depuis plusieurs années, nos équipes de jeunes fonctionnent avec le format d’équipes élite, nous prenons donc les meilleurs jeunes pour les faire jouer ensemble. Mais cette année, notre responsable de l’école de foot, dans le cadre de son BMF (Brevet de moniteur de football, NDLR) a décidé de passer à une formule du foot pour tous, tout le monde joue ensemble qu’importe le niveau. Le drame. Les parents ont montré leur mécontentement, car ils veulent voir leurs enfants être les meilleurs. L’entraîneur de cette section de jeunes, d’origine béninoise, a reçu nombre d’insultes et de menaces du fait de sa couleur de peau de la part des parents. Ces adultes ont été rencontrés par notre bureau et ont continué leurs menaces, témoignant qu’ils n’en resteraient pas là si l’éducateur venait à rester. À l’échelle du club, cette initiative n’est pas vraiment isolée, on l’affronte également sur d’autres catégories, mais à cet âge-là, c’est du jamais-vu. Que les parents ne soient pas contents, on peut le comprendre, ça fait partie du système aujourd’hui, mais ça, on peut juste ne pas l’accepter. Au club, les gens restent des bénévoles et ne touchent absolument rien en travaillant. C’est de l’acharnement, certains parents remontent jusqu’à la ligue et au district pour insulter notre responsable école de foot.
Souvent mises en avant dans des gros clubs d’Île-de-France (voir ce qu’il s’est passé à Villejuif, NDLR), ces situations d’omerta ne sont pas que l’affaire des clubs de banlieue parisienne. On est au fin fond de la campagne en Normandie, on est un petit club de 280 licenciés. Des personnes ont ciblé notre responsable école de foot, et si je parle d’omerta, c’est parce qu’ils considèrent que l’appui que notre responsable a dans la direction, c’est moi. Donc ils m’attaquent personnellement ! Une insulte ou des mots sur le terrain, ça me dérange, mais ce n’est pas très grave. Là, on insulte des entraîneurs, avec des messages jusqu’à 2h du matin. On a même attaqué la vie professionnelle de l’éducateur.
Ça en devient même plus qu’une question de politique sportive. C’est une question de couleur de peau… Avoir un éducateur de couleur pour leurs enfants, les parents ne peuvent pas l’entendre. L’entraîneur de cette équipe de U11 m’a dit : « J’arrête de coacher, ça m’a dégoûté du foot », parce qu’il arrive à l’entraînement pour poser ses plots et il se fait insulter. Même les gamins qui veulent s’impliquer dans le club, ils en deviennent dégoûtés de leur sport.
On a saisi le district de Normandie qui a mis en place une plateforme, Touche pas à mon foot, où on peut expliquer le problème que notre club rencontre. Ce district est alerté depuis plusieurs années sur le comportement des parents et ils ont mis ça en place. On a également impliqué la mairie par l’intermédiaire de l’adjoint aux Sports. Un responsable du district est même venu pour accompagner le responsable de l’école de foot, il a regardé les entraînements et tout ce qui était mis en place, il a aujourd’hui validé le programme, donc le club est dans le bon sens.
Sur les terrains, les enfants ne posent absolument aucun problème, ce sont juste les parents. Ils veulent nous faire la guerre. Si les parents veulent aller jusque-là, on peut y aller aussi, mais finalement, qui sera le perdant ? Ce sera l’enfant parce qu’il ne jouera plus du tout au foot à un moment. Moi, si demain je pars, que je quitte mes fonctions, je vais donner une visibilité à ces parents, ils auront gagné et vont continuer. Je ne peux pas faire ça. Par contre, l’été prochain, j’arrêterai mes obligations et quitterai mon poste, parce que je considère que pour un bénévole c’est trop lourd, c’est une charge mentale que je ne devrais pas avoir à vivre. Mais jusqu’à la fin de saison, j’accompagnerai mes entraîneurs et éducateurs du mieux que je le peux.
On ne peut pas les laisser gagner, ce n’est pas possible. On est en train de monter un dossier avec mon avocat afin de porter plainte pour harcèlement et diffamation parce que ça va vraiment trop loin. Je me constitue également partie civile auprès des personnes atteintes par l’affaire. L’idée, c’est d’alerter. Aujourd’hui, la combinaison entre les parents qui pensent leurs enfants très forts et le phénomène de racisme qui progresse, c’est très néfaste. Avec tout ce qui se passe, on ressent le mal-être des gens dans le foot. C’est surtout là-dessus qu’il faut alerter. »
Par Samuel Mathias William, avec Quentin Fredon