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Les opérations marketing des Bleus à la loupe

Par Raphaël Brosse
7 minutes
Les opérations marketing des Bleus à la loupe

En début de semaine dernière, Kylian Mbappé était à l’origine d’un inattendu drama dans la quiétude du château de Clairefontaine. Le tort du gamin de Bondy : avoir sciemment séché les opérations marketing des partenaires de l’équipe de France. Gros plan sur ces rendez-vous organisés à chaque rassemblement des Bleus, pas forcément très appréciés des joueurs, mais incontournables pour les finances de la FFF et précieux pour l’image des marques concernées.

Le rassemblement printanier de l’équipe de France s’est conclu par une masterclass de Kylian Mbappé face à l’Afrique du Sud, mardi à Lille (5-0). L’attaquant du PSG avait aussi été le grand animateur du début de cette fenêtre internationale. Pour d’autres raisons. Le 22 mars, le joueur de 23 ans est ainsi tranquillement resté dans sa chambre pendant que ses coéquipiers allaient à la rencontre des partenaires de la FFF, présents à Clairefontaine pour préparer de futurs contenus publicitaires. Le numéro 10 des Bleus avait la ferme intention de boycotter des marques auxquelles il ne désirait pas associer son image (une initiative approuvée par une majorité de Français), et même l’appel d’un Noël Le Graët quelque peu embarrassé n’y a rien changé. Mais, au fait, en quoi consistent ces opérations marketing ?

On ne peut pas dire que c’est le moment qu’ils préfèrent à Clairefontaine, ce serait mentir.

Stands à touche-touche, timing serré et mannequin

Le dispositif est désormais rodé. À chaque rassemblement des champions du monde, un moment est prévu afin que les partenaires de la Fédération française de football (outre l’équipementier Nike, les partenaires « majeurs » sont le Crédit agricole, EDF, Orange et Volkswagen) puissent avoir accès aux joueurs. Les sponsors s’installent dans un espace du château de Clairefontaine aménagé à cet effet. Les stands sont à touche-touche, comme au Salon de l’agriculture. Pendant deux à trois heures, les joueurs déambulent d’un atelier à l’autre, tantôt pour une séance photos, tantôt pour tourner un petit clip, ce qui est loin d’être évident, car le timing est très serré (quinze à vingt minutes à consacrer à chaque partenaire). Détail important : puisqu’il est ici question de droit à l’image collectif, les Bleus doivent être au minimum cinq à apparaître sur chacun des contenus publicitaires. S’ils jouent le jeu de bon cœur, les joueurs ne gardent pas forcément un souvenir impérissable de ces rendez-vous marketing. « Toi, tu veux mettre la polémique ! » répond un ancien international quand on l’interroge sur le sujet. « Ça ne leur plaît pas des masses, ça fait un peu mannequin qui va d’un stand à l’autre. Mais ils le font, parce qu’ils savent que l’argent est reversé au milieu associatif », explique Lionel Maltese, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste du marketing sportif. « On ne peut pas dire que c’est le moment qu’ils préfèrent à Clairefontaine, ce serait mentir, concède Frank Hocquemiller, agent d’image et président de VIP-Consulting. Mes joueurs ne le prennent cependant pas comme une contrainte, car ça ne dure pas très longtemps. Et puis, ça leur permet de gagner en crédibilité par rapport au maillot bleu. Il faut juste ne pas le faire n’importe comment. »

Conflits d’intérêts et ruissellement vital

Pour l’agent d’image, qui défend actuellement les intérêts de Lucas Hernández et Corentin Tolisso et a eu Raphaël Varane sous contrat quand il était au Real Madrid, ces opérations marketing font l’objet d’un dialogue continu en amont. Le but : éviter à tout prix les conflits d’intérêt. « Quand le joueur est en équipe de France, il reste payé par son club, rappelle Frank Hocquemiller. Or, si le sponsor principal du club est une marque automobile et que le joueur fait la pub d’un concurrent quand il est en sélection, ça va au-delà du conflit d’intérêt. Il y a presque un manquement du salarié envers son employeur. Le seul moyen de pallier ce problème, c’est de communiquer en bonne intelligence. La Fédé ne peut pas prendre en compte 23 cas particuliers, c’est impossible. Donc on demande à l’avance quel sera le programme, on signale un possible conflit d’intérêts et, surtout, on s’engage à tourner d’autres pubs à la place. » Ce dialogue constructif, la FFF doit veiller à l’entretenir afin de choyer ses partenaires et de continuer à percevoir les 108 millions qu’ils lui versent annuellement. Une part conséquente de cette somme ruisselle ensuite jusqu’au niveau amateur. Autrement dit, en satisfaisant aux exigences marketing liées à leur présence en sélection, les internationaux participent au financement du foot d’en bas. « Ces contrats de sponsoring sont particulièrement juteux. Ils font vivre tout le foot français ou, en tout cas, une grande partie », insiste Gérard Coudert, vice-président du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges.

Le marketing du sport a fortement évolué vers la visibilité de l’athlète, qui a pris le pas sur la marque de l’équipe.

Quand l’individu pèse plus que l’équipe

Du côté des partenaires, enfin, l’enjeu représenté par une opération marketing avec les Bleus est loin d’être anodin. « Les rassemblements nous permettent de construire nos programmes d’activation à l’occasion des grandes compétitions, expose Stéphane Tardivel, directeur sponsoring, partenariat et événementiel d’Orange. Pour nous, c’est l’occasion de valoriser un nouveau produit, un nouveau service, et d’accompagner nos grandes campagnes de communication. » Dans cette quête de visibilité, les sponsors misent d’ailleurs autant – voire plus – sur l’image de quelques individualités fortes que sur celle de l’équipe de France dans son ensemble. « Ces derniers temps, le marketing du sport a fortement évolué vers la visibilité de l’athlète, qui a pris le pas sur la marque de l’équipe, remarque Lionel Maltese. Avec ce partenariat, les sponsors obtiennent quelque chose qu’ils n’auraient pas dans un journal ou un média classique : un lien humain. Pendant quelques secondes ou minutes, leur marque est associée à un athlète. Forcément, l’impact émotionnel est plus fort. » « Nous associons principalement notre image à un collectif, mais évidemment que nous sommes sensibles au fait d’avoir des joueurs majeurs pour porter la campagne », admet Stéphane Tardivel. « Il se peut que nous réalisions une campagne des mois avant sa diffusion. Il est donc important de nous concentrer sur des joueurs cadres, régulièrement sélectionnés », précise Guillaume Saez, responsable communication chez KFC France (qui, en tant que partenaire « officiel » n’a pas accès aux mêmes séances shooting que les partenaires « majeurs » ). Rien d’étonnant, donc, à ce que les marques demandent souvent d’avoir accès aux mêmes éléments, à savoir les plus connus du grand public et les plus suivis sur les réseaux sociaux.« La convention mentionne pourtant un turnover obligatoire entre les joueurs », souligne Frank Hocquemiller, qui pointe un autre problème : « On fait valider aux joueurs une photo sur fond blanc, mais jamais la publicité finale, ni le montage. Ce n’est pas normal, parce que le message publicitaire peut ne pas correspondre à ce que l’on souhaite véhiculer comme image. »

Si certains joueurs de premier plan devaient refuser de participer aux tournages de partenaires, cela dévaloriserait fortement le rendu du programme.

Reste maintenant à savoir si la position de Kylian Mbappé engendrera des répercussions sur l’attitude des autres Bleus, celle des partenaires et, in fine, les finances de la FFF. « Mbappé, on ne va rien lui dire. Mais il a ouvert la porte et si, demain, d’autres ont les mêmes exigences, on voit bien qu’il y a un danger économique. Ça va devenir très compliqué, vous vous rendez compte ? » s’interroge Gérard Coudert. « Ce qui peut être dangereux, c’est qu’un ensemble de joueurs refusent d’associer leur image à un sponsor. Les athlètes ont le pouvoir de faire tomber une marque », abonde Lionel Maltese. Et les marques, songeraient-elles à se séparer de la 3F si un tel scénario venait à prendre forme ? « Ce n’est pour le moment pas d’actualité. Nous sommes particulièrement attachés à ce partenariat, qui nous permet de soutenir le football amateur à travers le territoire et de contribuer à l’émergence de jeunes talents », affirme Guillaume Saez, de KFC. « Il est clair qui si certains joueurs de premier plan devaient refuser de participer aux tournages de partenaires, cela dévaloriserait fortement le rendu du programme, avoue Stéphane Tardivel, d’Orange. Rompre notre contrat avec la FFF n’est absolument pas envisageable, mais il est évident que nous aurions une discussion sur le sujet. » En juin, à l’occasion du prochain rassemblement des Bleus, les partenaires espéreront donc voir Mbappé descendre de sa chambre. Et qu’aucun de ses coéquipiers n’aura envie de les boycotter.

Dans cet article :
Kylian Mbappé n’aime pas qu’on l’appelle « Kyks »
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Par Raphaël Brosse

Tous propos recueillis par RB.

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