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De la tête aux ligaments : l’onde de choc

Par Alexandre Plumey
De la tête aux ligaments : l’onde de choc

La gestion des protocoles commotion commence à être codifiée, régulée, voire tout simplement prise au sérieux. Néanmoins, des chocs moins importants, pas forcément sur le crâne, n’engendrent pas de perte de mémoire, peuvent avoir des conséquences potentiellement tout aussi fâcheuses. Alors faut-il aller plus loin ?

C’est un papa agacé qui a pris la parole dans les colonnes du Parisien, le 27 février dernier, à la suite d’un France-Écosse en rugby. Non pas un père de sportif qui s’époumone car son fils reste trop longtemps sur la touche, mais l’inverse. Un paternel encore dans l’incompréhension après avoir vu Anthony Jelonch revenir sur la pelouse à la suite d’un protocole commotion. Un protocole respecté (sortie de sept minutes pour contrôler), mais suivi d’un placage pour sauver un essai écossais à son retour sur le pré et d’une rupture des ligaments croisés. De quoi irriter. « Pourquoi avoir relancé Anthony, sorti pour un protocole commotion, alors qu’on avait deux remplaçants ? J’étais dans les tribunes et j’étais fou, se souvient Jérôme Lelonch. En le laissant se reposer, on aurait pu éviter ce qui est arrivé ensuite. » La suite ? Une blessure et des rêves de Coupe du monde à la maison envolés. Deux séquences successives qui ne sont pas sans rappeler le duel de la tête entre Gaëtan Laborde et Martin Terrier lors de Rennes-Nice (le 3 janvier 2023, 2-1), seulement quatre minutes avant un autre duel, au sol cette fois, entre le Rennais et Jordan Lotomba. Si du premier, le premier buteur rouge et noir de la soirée a mis du temps à se relever, du second, il ne s’en relèvera pas. Verdict ? Rupture des ligaments croisés. Encore.

Terrier et coup du lapin

Tout commence à la 27e minute. Martin Terrier est à l’entrée de la surface de réparation niçoise lorsque le ballon arrive. Son ex-coéquipier Gaëtan Laborde également, qui le percute dans les airs. Le Breton tombe à plat, directement sur le dos et reste au sol. Inerte. Les médecins interviennent. Par la voie de son service communication, le club explique que « Martin avait juste le souffle coupé. Il n’y a pas eu de protocole commotion, car il ne ressentait aucune douleur à la tête ». Après être revenu sur le rectangle vert, l’attaquant effectue un repli défensif sur Jordan Lotomba à la 31e minute, le long de la ligne de touche. Puis chute et reste au sol. Tout le stade comprend vite la gravité, qui plus est lorsque la civière arrive.

Dès lors se pose la question des duels et de leur impact cognitif et physiologique. Longtemps négligées, ces complications sont désormais plus précisément établies par la science. Notamment pour les traumatismes importants et répétitifs pouvant causer démence et perte de mémoire. Pour Martin Terrier, la violence fut moindre, aucun protocole commotion n’a été établi, car le staff médical n’en mesurait pas la nécessité. Cette chute l’a-t-elle néanmoins affecté au point de le fragiliser ? « Il faut dissocier le protocole commotion qui relève autant d’une démarche administrative que médicale et l’analyse d’une commotion, plus longue dans le temps, détaille Frédéric Muel, médecin de l’AS Nancy Lorraine et du Grand Nancy Handball. Une chute sur le dos entraîne une réaction de l’organisme qu’on appelle neuro-vagale. À partir de là, même si la tête n’est pas directement touchée, le corps est plus exposé aux risques. Là, c’est une grave blessure, mais si la conséquence était un contrôle raté ou une trajectoire de balle mal appréciée, on n’en parlerait moins. »

On résume trop commotion à un coup sur le crâne. On voit bien que la tête ne frappe pas le sol ici, mais en France, le coup du lapin est trop souvent sous-estimé.

Roberto Purello Dambrosio

À la vue des images, Roberto Purello Dambrosio, médecin du sport référent pour la Ligue de rugby de Paris, estime qu’« on résume trop commotion à un coup sur le crâne. On voit bien que la tête ne frappe pas le sol ici, mais en France, le coup du lapin est trop souvent sous-estimé. D’autant que ses effets sont plus sous-jacents et moins immédiats, notamment concernant le rachis cervical. » De quoi renforcer la vigilance. « Chaque choc a un impact sur la vigilance et l’équilibre, notamment la proprioception. Le lien direct avec la blessure n’est pas si formel, mais un choc bouleverse les équilibres », détaille un ancien membre d’un staff médical de Ligue 1. Certes, la majorité des chocs à la tête n’ont pas été suivis de blessures, et la plupart des graves blessures musculaires, ligamentaires, osseuses ne succèdent pas un protocole commotion, mais « oui, cela peut favoriser le terrain d’une blessure », poursuit ce spécialiste.

La théorie du chancellement

Reste à savoir si, physiologiquement, un choc subi par le corps, touchant directement ou non la tête, peut favoriser une blessure. Outre une altération des capacités cognitives, les effets sont difficilement quantifiables mais connus. « À l’image d’un boxeur, qui chancelle musculairement après un important K-O en raison d’une perte de tonus musculaire, les risques de blessure augmentent », synthétise Frédéric Muel. Mais l’inverse est également vrai, sans forcément que le cerveau soit directement touché, comme pour Martin Terrier. « Par réflexe, tout le corps se contracte lors d’un choc, par exemple pour ce joueur qui tombe à plat, sur le dos. L’organisme met plus de temps à revenir à la normale qu’il n’en a besoin pour se contracter, résume Roberto Purello Dambrosio. Au-delà d’altérer la vigilance, les repères, ces deux états physiologiques (trop mou ou trop contracté, NDLR) peuvent favoriser la blessure dans les minutes qui suivent. »

Se pose alors la question d’un élargissement du protocole élaboré par la Fédération française de football (1), complété officiellement depuis cette saison par l’intégration d’un remplacement supplémentaire (non décompté des cinq changements réglementaires) en Ligue 1, après une expérimentation la saison dernière. « La réglementation n’est de toute façon jamais parfaite », conçoit Frédéric Muel, rappelant tout de même que « le handball est plus en avance que le foot sur ces questions. Après, est-ce que j’ordonnerais à un joueur, qui va bien après examen, de sortir après un duel de la tête pour éviter de se faire les croisés ? La réponse est non. Qui nous dit que renvoyer trois ballons du front après des dégagements de gardien de 60 mètres n’a pas le même impact ? »

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Par Alexandre Plumey

Tous les propos sont recueillis par AP sauf Jérôme Lelonch dans Le Parisien.

1. Contactée, la FFF, organe centralisateur de tous les dossiers de commotions cérébrales et en charge du protocole fédéral, n’a pas répondu à nos sollicitations au sujet du nombre de déclarations effectuées cette saison ni sur un éventuel accroissement de sa vigilance sur ces questions.

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