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Les ombres de Rybolovlev
Président particulièrement réservé et discret de l’AS Monaco depuis 2011, Dmitri Rybolovlev se retrouve sous le feu des médias, alors que son nom est cité dans un scandale judiciaire qui a conduit à la démission du garde des Sceaux monégasque. Une affaire qui met sur le devant de la scène un investisseur dont l’aura de mystère commence lentement, mais sûrement à se dissiper.
À Monaco, le sauveur est arrivé masqué. Voilà désormais six ans que Dmitri Rybolovlev est à la tête de l’ASM, qu’il avait extirpée en 2011 des bas fonds de la Ligue 2. Pourtant, alors même que la présence des Qataris au PSG n’a pas fini de susciter la controverse et le débat, celle du Russe à l’ASM fait autrement moins de bruit. Sans doute parce que Rybolovlev sait jouer comme personne les fantômes médiatiques : le Russe ne donne presque pas d’interviews, délègue la gestion de son club à Vadim Vasilyev et se borne à se rendre sans cérémonie au stade Louis-II pour observer ses poulains. Si bien qu’à Monaco, le secret Rybolovlev restait plutôt bien gardé. Du moins, jusqu’à ce que l’influence du milliardaire sur la police et la justice de la Principauté ne soit dévoilée au grand jour.
Guet apens à la russe
Mis en cause pour sa proximité évidente avec le milliardaire russe, le garde des Sceaux monégasque, Philippe Narmino, s’est vu prié de quitter son poste mi-septembre. Rybolovlev, lui, a sans doute du souci à se faire dans les mois à venir. Pour comprendre l’étendue de l’affaire, il faut revenir deux ans en arrière. Rybolovlev est alors en conflit ouvert avec un marchand d’art, le Suisse Yves Bouvier, auquel il reproche de lui avoir surfacturé plusieurs pièces de collection. Le Russe demande alors à ce que l’homme d’affaires vienne personnellement lui rendre visite en principauté. C’est là que Bouvier est interpellé par des policiers, dans ce qui ressemble fort à une combine montée avec la complicité des forces de l’ordre monégasques. C’est en tout cas ce qu’avance Le Monde, qui a eu accès au contenu d’un DVD-Rom à disposition de la justice monégasque, où sont recensés des centaines de SMS troublants.
On y trouve notamment un échange entre Tetiana Bersheda, l’avocate de Rybolovlev, et Christophe Haget, le commissaire principal de Monaco. Le 23 février 2015, la première a envoyé au second le texto suivant : « Il (Yves Bouvier, ndlr) viendra le 25 le matin. C’est sûr. Il faudrait rester avec le plan A. Rappelez-moi quand vous pouvez SVP. Merci ! » Ce à quoi le policier répond : « Très bien, je vous rappelle du service. Cordialement. » Lorsque Yves Bouvier arrive le 25 février 2015 devant le domicile de Rybolovlev, il est ainsi menotté et ceinturé par plusieurs agents des forces de l’ordre. En parallèle, Le Monde met également en lumière « les meilleures relations » que Rybolovlev entretiendrait avec le désormais ex-directeur des services judiciaires monégasques, Philippe Narmino, qu’il a notamment invité avec sa femme dans son chalet suisse, à Gstaad.
Le pari monégasque
Paradoxalement, ce scandale semble démontrer que le pari de Rybolovlev d’utiliser l’ASM à son avantage pour se rapprocher du palais et des cercles de pouvoir monégasques s’est révélé payant. « Reprendre l’ASM, ça lui permet clairement de se mettre Albert dans la poche, analysait en 2013 John Helmer, une pointure du journalisme économique en Russie. Et pour cela, quoi de mieux que de sauver le club de foot cher au prince ? Il doit devenir influent auprès des dirigeants politiques du pays dans lequel il aura besoin de toute sorte de faveurs juridiques et financières. » Des avantages dont Rybolovlev ne pouvait plus bénéficier sur sa terre natale. Pas assez docile au goût de Vladimir Poutine, Rybolovlev avait été contraint par le chef du Kremlin de revendre en 2008 la majorité de ses parts de l’entreprise Uralkali, un géant mondial de la production d’engrais, à Suleyman Kerimov, un autre oligarque beaucoup plus apprécié du pouvoir.
De quoi l’inciter à quitter sa patrie, où il n’est de toute façon que très modérément apprécié, comme l’explique Lukas Aubin, doctorant en géopolitique à l’université Paris-Ouest Nanterre et auteur d’une thèse sur la gouvernance dans le sport russe : « Comme beaucoup d’oligarques et milliardaires qui ont su profiter de la fin de l’URSS pour s’approprier des pans entiers de l’économie nationale, il a une image foncièrement négative. N’oublions pas qu’il a fait un an de prison en Russie en 1996, alors qu’il était soupçonné d’avoir commandité l’assassinat d’un de ses associés… Soit les gens disent que c’est un pourri, soit ils ne le connaissent pas. Pour la simple et bonne raison que s’il s’est éloigné de la Russie, c’est aussi pour se faire oublier, prendre de la distance avec le pouvoir et l’opinion russe. Et d’un certain point de vue, c’est réussi. »
Un oligarque moins opaque
Une discrétion prudente qui a tout de même connu quelques ratés ces dernières années. Désigné par Football leaks fin 2016 pour avoir mis sur pied un système de TPO déguisé au bénéfice de Jorge Mendes, Rybolovlev était également mis en cause dans l’affaire des Panama papers, qui dévoilait les montages financiers complexes qu’il aurait utilisé pour masquer son patrimoine. Le scandale que suscite son influence sur la justice de la Principauté achève donc de le remettre, bien malgré lui, sur le devant de la scène. De quoi laisser perplexe les supporters de l’AS Monaco, qui ne peuvent sans doute plus ignorer la part d’ombre de moins en moins furtive que projette Dmitry Rybolovlev sur leur Rocher.
Par Adrien Candau
Propos de Lukas Aubin recueillis par AC