- Euro 2016
- Irlande du Nord
- Itw Yohann Lacroix
« Les Nord-Irlandais apportent de la joie »
Yohann Lacroix est l’un des très rares joueurs français à avoir évolué dans la première division nord-irlandaise. S’il est aujourd’hui rangé des crampons, l’ancien gardien des Crusaders à Belfast, qui y a disputé une saison en 2013, a gardé des contacts dans le foot et notamment dans son pays d’adoption. Alors forcément, il a des choses à en dire…
Est-ce une surprise de retrouver les Nord-Irlandais qualifiés pour les 8es de finale de cet Euro ? Oui, clairement. J’en discutais il y a quelques jours avec des dirigeants de la fédé nord-irlandaise qui me disaient que déjà, réussir à marquer un but dans la compétition, c’était quelque chose d’exceptionnel. Gagner un match, c’est fou, et se qualifier, encore plus fou. Faut imaginer le chemin parcouru par cette sélection depuis quelques années, d’où ils reviennent… C’est surprenant et beau à la fois.
D’après toi, cette qualification est-elle d’abord due au changement de formule du tournoi, avec l’élargissement des participants et la règle des meilleurs troisièmes, ou est-ce vraiment la marque des progrès réalisés par l’Irlande du Nord ? En clair, a-t-elle le niveau de son rang ?Il y a un peu des deux, je dirais, il ne faut pas leur enlever tout le mérite. Les joueurs ne sont pas là par hasard, ils ont terminé premiers de leur groupe de qualification et y ont montré de bonnes choses. Après, c’est sûr que le passage à 24 avec ce nouveau tour de 8es de finale, ça aide… Mais même si l’équipe ne joue pas le meilleur football du tournoi, les Nord-Irlandais apportent leur contribution : de la joie, à défaut de jeu.
Toi qui as évolué dans le championnat nord-irlandais, comment qualifierais-tu leur style de jeu ? Encore très britannique, hein ?C’est exactement ça. Faut surtout retenir qu’ils jouent avec leurs moyens et que ça mérite le respect. Bon, contre l’Allemagne et la Pologne, c’était moche, ça balançait le ballon fort devant dès qu’ils le récupéraient… Mais contre l’Ukraine, ça jouait plutôt bien, avec quelques mouvements collectifs assez sympas. Voilà, c’est une équipe moyenne, sans joueur de classe mondiale, mais qui prend les points qu’elle peut. Elle maximise son potentiel.
As-tu fréquenté certains membres de cette sélection ?Non, certains ont joué dans mon ancien club des Crusaders, mais pas au même moment. Mais comme j’ai travaillé pour la fédé au moment de mon master, j’ai eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs, dont Gareth McAulay notamment.
Will Grigg, non ?Ah ah, non, je connais seulement la chanson, comme tout le monde !
C’est vraiment une terre de foot, l’Irlande du Nord ?Clairement oui, c’est le sport numéro 1. Après, il y a surtout un intérêt pour l’équipe nationale. Le championnat local souffre évidemment de la proximité avec le voisin anglais, qui est incomparable. Mais l’équipe nationale, c’est sacré. Quand je jouais là-bas, c’étaient les qualifications pour la Coupe du monde 2014 et c’était loin d’être brillant à l’époque. Tu sentais que la fédé commençait à prendre les choses en main, mais les résultats ne suivaient pas, ça repartait de tellement loin… Bref, il y a eu beaucoup de matchs pas terribles, beaucoup de défaites (l’Irlande du Nord termine avant-dernière de son groupe de qualification, juste devant le Luxembourg, avec 7 points pris en 10 matchs, ndlr), et pourtant le stade était toujours plein, avec beaucoup d’ambiance.
Est-il obligatoire pour un Nord-Irlandais de partir jeune pour continuer à progresser ?Oui, même si beaucoup de l’actuelle sélection ont joué dans le championnat nord-irlandais, c’est une nécessité de partir ensuite en Écosse ou en Angleterre si tu veux faire carrière. Certains peuvent même être sélectionnés alors qu’ils évoluent encore au pays, mais dans ce cas, ils ont vite l’opportunité de partir dans la foulée.
Et c’est inéluctable, ou y a-t-il moyen que le championnat nord-irlandais progresse comme a progressé la sélection ?Il y a une vraie volonté pour ça, maintenant… Financièrement, c’est vite très difficile de retenir les joueurs. Les droits TV ne sont évidemment pas les mêmes, les salaires non plus. Disons qu’il y a encore du chemin pour que les jeunes restent. En général, le parcours classique, c’est que les meilleurs partent jeunes et reviennent finir leur carrière, comme c’est le cas de Roy Carroll par exemple, revenu à Linfield, le meilleur club du pays.
Vu de l’extérieur, on a l’impression aussi avec cet Euro que les tensions religieuses qui ont longtemps pourri le climat en Irlande du Nord se sont largement apaisées. Tu confirmes ?C’est vrai, la fédé a fait un énorme travail là-dessus avec des campagnes de communication notamment. Ça paie, il y a un engouement national autour de cette équipe qui est assez inédit, même les catholiques la supportent, ce qui n’était pas forcément le cas avant. C’est un phénomène qu’on observe aussi dans les autres sports.
La cohabitation entre Irlandais et Nord-Irlandais en France en ce mois de juin n’a pas non plus l’air de poser problème…Oui, là aussi, le climat a évolué. Il reste quelques résidus de tensions dans le pays, encore quelques extrémistes, mais ça se marginalise. C’est très positif pour les deux pays.
Au point de les imaginer à l’avenir constituer une sélection commune, comme c’est le cas en rugby ?Là, je n’ai pas l’impression que la Fédération travaille en ce sens… Il faut savoir que le foot est l’un des rares sports où l’Irlande du Nord est représentée sur la scène internationale : en rugby c’est une sélection irlandaise unie, et dans les sports olympiques, c’est intégré au Royaume-Uni. C’est aussi un motif de fierté, dans l’état actuel des choses je ne vois pas bien les raisons d’en changer.
Es-tu surpris sinon par l’ambiance que met le public nord-irlandais en France ?Non, comme je disais, c’est un vrai public de stade, je me souviens avoir disputé une finale de Coupe de la Ligue, c’était plein avec une atmosphère incroyable. Ce sont des supporters loyaux, qui t’encouragent même quand ça ne va pas. Là du coup, avec les résultats qui suivent, ils sont euphoriques !
Pas de rivalité à prévoir contre les Gallois ?Non, ça va être sympa, les Nord-Irlandais et les Gallois n’ont pas de problème, ils ne sont pas violents. J’y serai, ça devrait être sympa de revoir d’anciens collègues de la fédé et des supporters de mon ancien club.
Un prono ?2-1 pour l’Irlande du Nord, après prolongation !
Propos recueillis par Régis Delanoë