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Les Noces de Cana
Capitaine de l'Albanie et véritable avatar de son pays depuis le match contre la Serbie en octobre dernier, Lorik Cana est un homme à part. Réfugié politique, meneur de jeu, Parisien, Marseillais, défenseur central, capitaine, l'homme de 31 ans a été apprécié partout où il est passé. Même quand il ne joue plus, comme c'est le cas à la Lazio, Cana reste un homme incontournable. Les Bleus vont s'en rendre compte cet après-midi.
Vingt matchs toutes compétitions confondues dans la Ville éternelle cette saison. La cuvée 2014/2015 de Lorik Cana est légèrement bouchonnée. Même si la Lazio a terminé le championnat sur le podium, l’Albanais n’a jamais joué les premiers rôles. C’est d’ailleurs depuis le banc de touche que le garçon a regardé les siens étriller le Napoli lors de la dernière journée (4-2). Un détail pour un mec qui a toujours été meilleur avec sa gouaille qu’avec ses crampons. Pourtant, le petit Lorik transpirait le football dès l’apparition de ses premiers poils pubiens. Né à Pristina, au Kosovo, en 1983, Cana quitte le foyer qui l’a vu naître avec toute sa famille en 1991. Il a huit ans quand, accompagné des siens, il débarque en Suisse avec l’étiquette de réfugié politique. C’est papa qui a eu le nez creux. Plutôt que de regarder la Yougoslavie s’embraser, les Cana partent avant les premières bombes. Ancien joueur du Dinamo Zagreb, Cana senior termine sa carrière de footballeur à Montreux, en deuxième division suisse. Papa Cana s’installe sur les bords du lac Léman avec sa femme, sa fille et son fils, le petit Lorik. Ce dernier se met rapidement au football. Lorik a une tête de plus que les mômes de son âge. Plus facile pour se faire repérer, notamment par le voisin de Lausanne Sports. L’ascension est fulgurante. À quinze ans, Lorik – qui joue numéro 10 – s’entraîne avec la réserve pro. Tout semble aller pour le mieux pour celui qui qualifie Lausanne à un tournoi international à Manchester en tant que représentant de la Suisse. Sauf que le petit Lorik ne verra jamais Manchester. On lui refuse le visa. Rebelote en 2000 où, à seize ans, il s’envole à Málaga pour un autre tournoi de jeunes. Sur place, il régale la chique et émerveille son monde. Dans les tribunes, le superviseur du Real Madrid est sous le charme. Comme celui d’Arsenal qui tente de ramener le jeune Lorik dans ses bagages. On lui demande de faire un essai à Londres. L’essai s’arrêtera encore une fois à la porte de l’aéroport. Bloqué à la frontière. C’est dans cet imbroglio qu’il est finalement proposé au PSG. Banco. Une semaine d’essai dans la capitale et voilà l’entraîneur de la réserve, un certain Antoine Kombouaré, sous le charme du jeune milieu de terrain.
Meneur de jeu paresseux
Pourtant, ses deux premières saisons dans la capitale sont difficiles. Cana joue meneur de jeu. « Meneur de jeux paresseux » selon Kombouaré à l’époque. Comme beaucoup de jeunes, Cana se regarde jouer, persuadé d’être le nouveau Zinedine Zidane. À l’époque, il ne se mettait à jouer qu’une fois la balle dans les pieds. Courir ? Jamais, c’est un truc de lâche. Kombouaré, du genre besogneux, passe son temps à convaincre son joueur qu’il doit reculer sur le terrain. Cana doit harceler et relancer. Le début d’une nouvelle vie. Il faut dire que le garçon n’est pas seulement là pour jouer au football. Il est en mission. Pour son père. Sa mère. Ses sœurs. Sa famille qui souffre en Albanie. Aussi loin que Cana a joué au football, il l’a toujours fait pour les siens. Par fierté. C’est pour cela qu’il a toujours joué le buste droit. De meneur de jeu aléatoire, Cana devient un pitbull de l’entrejeu. Des tacles aux courses un peu folles en passant par les palabres avec le corps arbitral, Cana met le PSG et l’OM tout là-haut. L’Albanais se paye le luxe de se rendre indispensable et adoré dans les deux clubs.
« Puta Cana »
Quand on est obligé de réussir, on se fout royalement des on-dit qui descendent des tribunes. Alors quand il revient pour la première fois au Parc des Princes avec la liquette de l’OM et qu’il peut lire, entre autres, une banderole « Puta Cana » dans les virages de la porte d’Auteuil, il sourit. C’est le jeu. Il le sait. Mais il reste droit dans ses crampons. Paris, Marseille, Cana a fait le tour de la Ligue 1. Il file à Sunderland avant d’atterrir à Galatasaray, pour se rapprocher des siens. Finalement, c’est à Rome qu’il pose ses valises en 2011. Les débuts sont compliqués, mais le nouvel entraîneur en place, Vladimir Petković, décide de faire reculer Cana en défense centrale, là où il brille en équipe nationale. À Rome, le garçon n’a jamais été un titulaire en puissance, alors qu’il porte sa sélection à bout de bras. Comme en octobre dernier où lors d’un Serbie-Albanie sulfureux, il maîtrise des supporters serbes venus savater de l’Albanais après l’intrusion d’un drone et d’un drapeau albanais perçu comme une menace par les fans locaux. Dans un stade hostile, Cana entend la foule chauffée à blanc. « Le Kosovo fait partie de la Serbie » , « Tuez, tuez les Albanais » ou encore « Vous êtes des singes » . Cana ne bronche pas. Il gère ses troupes. Ramène tout le monde au vestiaire. Entier. En homme. L’Albanie, c’est son pays. Ses racines. Sa force. Lors d’une longue interview au quotidien norvégien Nettavisen en 2013, Cana s’était exprimé sur son parcours, ce qui a, en grande partie, forgé son caractère de guerrier. « J’avais sept ans lorsque nous avons quitté le Kosovo avec ma famille. Une situation vraiment irréelle. L’aspect le plus dur, c’est que pendant les huit années suivantes, nous aurions pu revenir en arrière, mais nous ne l’avons jamais fait. Une fois arrivés en Suisse en tant que réfugiés politiques, nous n’avions plus d’endroit où aller. Ce fut une période vraiment difficile, qui a duré près de huit ou neuf ans. » Alors, même si le garçon squatte le banc de la Lazio depuis 2011 et qu’il s’apprête à affronter Pogba, Lacazette ou Fekir, Cana peut toiser tout ce petit monde du haut de son mètre quatre-vingt-six. Lorik Cana n’a jamais eu peur. De personne. De rien.
Par Mathieu Faure