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Les mots de Diego Simeone
Cholo Simeone est le dernier entraîneur à la mode. Un type qui fait de grands gestes au bord d’un terrain et prend des allures de chef de garnison à l’entraînement semble manifester tous les symptômes de l’entraîneur charismatique. Mais El Cholo n’a rien à voir avec cela. S’il faut aimer cet homme, ce n’est pas pour ses gestes ou ses performances mais pour ses mots.
Le football aime-t-il les mots ? Voyez tous ces matchs et toutes ces images qu’on avale sans distinction. On nous parle de titres, de victoires, de défaites. Ensuite on prend des airs de religieuse pour évoquer les blessures et l’indisponibilité de tel ou tel comme si, arrivés chez nous, la première de nos distractions était de dresser une comptabilité précise des faits et gestes de chacun des protagonistes. Comme si nous nous étions transformés en machines à calculer et que les additions et les pourcentages nous émouvaient plus que les mots d’amour. On nous dit que celui-ci a beaucoup couru, que celui-là un peu moins et que cette équipe a réussi tellement de passes qu’elle en serait d’autant plus spectaculaire. Ensuite, comme pour achever le peu d’illusions qu’il nous restait sur ce métier de footballeur, on nous parle d’argent. Celui-ci est tellement riche, et celui-là tellement pauvre. La richesse ne se mesure ainsi qu’en millions toujours mal répartis. Peut-être pensent-ils qu’au fond, à force de tout calculer, on allait finir par découvrir la formule secrète de toutes les grandes équipes. Les mots ne serviraient qu’à écrire ces conclusions dans le marbre. Quand le langage se fait ainsi le laquais de la résignation, les maîtres, ce sont les machines. Débattre des heures ne sert à rien tant que le mot « victoire » est synonyme de « vérité » , et « défaite » d’ « échec » . Le génie de ce novlangue est de supprimer des mots interdits comme « valeur » , « éthique » , « identité » , « principes » par d’autres plus fonctionnels et moins risqués. La guerre, c’est la paix, la vérité, c’est l’erreur.
Mr Bricolage
Heureusement qu’il existe des types comme Diego Pablo Simeone, l’entraîneur de l’Atlético Madrid. Héritier d’une tradition argentine du football lyrique, il aime la palabra, celle qui attrape le réel, le solidifie en langage et une fois formulée, revient au réel pour ensuite le changer. Le lyrisme dans le football, ce n’est pas de la communication. La communication est une façon d’organiser le silence et donc d’assécher le langage et la révolte. Les entraîneurs qui communiquent parlent de « bloc défensif » , de « force mentale » ou « de réussite » comme s’il s’agissait de vendre de l’outillage dans une grande surface de banlieue parisienne. Ils nous vendent les qualités de cet outil et la joie que nous procurera sa possession. Mais ce que nous voulons, en réalité, ce n’est pas l’outil et ses caractéristiques. Non. Ce qui nous émeut, c’est la joie du travail bien accompli. Le bonheur d’avoir été capable de fabriquer cet objet né dans notre imagination. Le lyrisme est le contraire de la communication parce qu’il n’a jamais rien à vendre ni à cacher. Comme Menotti, Bilardo, Bielsa ou Valdano, Simeone est membre de cette même confrérie secrète qui pense que pour agir sur le réel, il faut d’abord apprendre à le lire. Valdano en 1996 : « Moi, j’aime que mes joueurs entrent sur le terrain en se sentant grands et sûrs d’eux. Je veux qu’ils regardent Romário depuis une position d’égalité et jamais d’infériorité. C’est dans ce sens que le langage est essentiel. Il doit y avoir une transmission et une séduction à partir de faits historiques. » Quand Cholo Simeone met les pieds dans le vestiaire apathique de l’Atlético de Gregorio Manzano, il se souvient de ses quatre années de joueur passées ici. Il donne la clé de la conviction à ses joueurs : « Au Calderón, c’est la passion qui compte. Celui qui ne comprend pas cela ne triomphera jamais ici. Ici, les gens vous en voudront pour votre nonchalance ou votre manque d’ambition, jamais pour une défaite. » Il ajoute : « Je leur ai cité les références historiques de ce club : contre-attaque, agressivité, intensité, solidité défensive, une équipe ambitieuse, un potentiel d’identification pour les gens. » Cholo, ce n’est pas de la frime.
Les pauvres de cœur
Le génie de Simeone est d’avoir fait confiance aux mots. En transformant la culture intuitive d’un club comme l’Atlético Madrid – « le sentiment atlético » comme il l’appelle – en langage et ce langage en principes de jeu. Le deuxième club de Madrid, celui « des travailleurs » dit-il, ressemble à son public. Il bosse, il s’échine, il ne se plaint pas et se serre les coudes. Le pressing est un mode de vie avant d’être une option tactique. La contre-attaque est une autre façon de se révolter contre l’adversité et de rendre coup pour coup. Comme Sacchi disait que pour « jouer en zone, il (fallait) commencer par vivre en zone » , pour jouer à l’Atlético, il faut commencer par vivre Atlético. Simeone : « Quand quelqu’un se sent appartenir à quelque chose, il le transmet facilement. À peine après 20 jours ici avec ces joueurs, c’était comme si j’y avais toujours été. Je n’ai jamais rien forcé, tout s’est fait de façon très naturelle. Les joueurs veulent apprendre, recevoir et demandent toujours plus. Ici, il faut montrer du talent, de l’ambition et du courage. C’est beaucoup plus important que de bien jouer. » Voilà comment en s’installant à l’Atlético, il a commencé par ressusciter l’identité colchonera, étouffée sous l’accumulation des résultats. En transformant des intuitions en mots et des mots en style personnel, il est devenu lyrique. Ce qui fait gagner les hommes, ce n’est pas l’argent ni la renommée mais un certain d’état d’âme en commun. Cette communauté de sentiments crée ce sentiment d’appartenance et l’envie d’épopée. L’Atlético est le club de ceux qui pensent que la vraie force des pauvres, c’est de ne jamais se plaindre ni renoncer. L’Atlético, c’est l’obstination : « Chez tous ces rivaux que nous allons affronter, il peut y avoir des joueurs meilleurs que les nôtres. Mais des joueurs plus heureux et décidés, très peu. » Simeone, ce n’est pas du baratin. C’est du foot. Du vrai.
Par Thibaut Leplat, à Madrid