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« Les Minots, c’est le folklore de Marseille »

Par Adrien Hémard-Dohain
10 minutes
« Les Minots, c’est le folklore de Marseille »

En 1981, l’Olympique de Marseille lutte pour sa survie en Ligue 2. Au printemps, le club est placé en liquidation judiciaire, et l’ensemble de l’effectif professionnel est renvoyé. Ce sont les Minots du centre de formation qui vont disputer les six derniers matchs de la saison, gratuitement, pour sauver l’OM. Leur épopée s’étalera sur trois saisons avec une remontée en D1 à la clé. Quarante ans plus tard, trois journalistes indépendants ont décidé de réhabiliter cette aventure dans un documentaire, leur premier. Après un an de travail, et grâce au Covid, la mémoire des Minots est assurée via un documentaire diffusé pour la première fois au cinéma l’Alhambra de Marseille ce samedi.

Comme pour beaucoup de groupes de rock américains, l’histoire commence devant le garage d’une maison familiale. Sauf que cette fois nous sommes dans le Nord de la France en 1999, et plutôt que de jouer de la guitare, le petit Mourad Aerts tape la balle avec ses potes. Emporté par sa fougue, il tente un geste acrobatique sur le bitume. Crac. Le bras est cassé. « À la base, j’étais venu pour jouer à la Playstation, mes parents ne me croyaient pas ! Ils pensaient que je faisais semblant pour pouvoir regarder Dragon Ball tranquille le lendemain », se marre le Mourad Aerts de 2022. Aux urgences, le médecin donne raison au JPP amateur, et les parents culpabilisent. « Le lendemain, ma mère m’a emmené à la librairie, et m’a acheté un grand livre sur l’histoire du foot. Je l’ai dévoré. C’est là que j’ai été piqué par les récits de grandes épopées, encore plus que par le foot lui-même. » Devenu professeur de français en Ukraine, Mourad Aerts est rattrapé en 2017 par ce souvenir d’enfance. Il quitte Kiev, s’installe dans sa ville de cœur, Marseille, et devient journaliste. Neuf ans plus tard, en pleine pandémie, il se lance dans un projet dont il ne mesure pas encore l’ampleur : raconter la folle histoire des Minots qui ont sauvé l’OM en 1981.

Dr Dre, Sofitel et INA

Devenu journaliste pour Football Club de Marseille, Mourad Aerts y rencontre Jean-Charles De Bono, fidèle intervenant des talk-shows du FCM. « À force d’enregistrer des émissions avec lui, et de l’entendre raconter toutes ses anecdotes sur les Minots, je me suis dit qu’il fallait en faire un truc », rejoue Aerts. Sa première idée : une exposition. Le journaliste rassemble des objets d’époque et trouve rapidement un lieu. L’expo des Minots doit être présentée fin mars 2020 à la maison transversale de Marseille. Sauf qu’un pangolin mal cuit vient foutre en l’air ses plans. Foutu Covid, encore ? Pas vraiment. Car c’est grâce à lui que le projet évolue d’une petite exposition locale à un film de plus d’une heure et demie. Car à ce moment, Benjamin Courmes, ingénieur reconverti journaliste et fondateur du FC Marseille, et son pote Julien Lafont, réalisateur, viennent de lancer leur boîte de production. Et cherchent un premier sujet de documentaire pour décoller. Les mois passent, et à l’approche du deuxième confinement, les planètes s’alignent.

C’est une histoire incroyable. Puis ce qui est encore plus dingue, c’est qu’elle reste méconnue.

Après un énième resto rythmé par les anecdotes de Jean-Charles De Bono, Benjamin Courmes et Julien Lafont se penchent sur l’histoire des Minots. « C’est une histoire incroyable. Puis ce qui est encore plus dingue, c’est qu’elle reste méconnue, s’étonne encore le réalisateur qui a travaillé pour Thierry Ardisson et le service des sports de Canal+. Sur un coup de tête, on s’est lancés à l’arrache dedans avec Ben et Mourad. » Dans l’idée, les trois documentaristes amateurs voient un film de 40 min. Ils sont loin d’imaginer les mois qui vont suivre. « On a vite été dépassés, mais l’avantage avec le Covid, c’est qu’on n’avait pas grand-chose à faire », relativise Julien. Benjamin approuve : « Du jour au lendemain, on s’y est mis. En trois semaines, on avait déjà mis en boîte la plupart des interviews. » Bien aidés par les recherches préliminaires de Mourad Aerts pour l’expo annulée un an plus tôt, et par Jean-Charles De Bono qui rameute les anciens minots en un claquement de doigts, les trois hommes rencontrent un à un les différents membres de l’équipe. Au point d’envisager un rendu en juillet. « On y croyait vraiment, mais c’était impossible », concède Benjamin. Spoiler : le documentaire ne sera achevé qu’un an plus tard, en mai 2022.

Première étape donc, réunir le casting de ce film choral, sans narrateur, « où les Minots racontent eux-mêmes leur aventure », précise Julien Lafont. « On a vite décidé de faire les entretiens dans des endroits emblématiques de la ville, parce que l’histoire des Minots, c’est l’histoire et l’identité de Marseille. Celle d’un club qui tutoie les sommets, se casse la gueule, et renaît d’une façon insensée », métaphorise Mourad Aerts. La cité radieuse du Corbusier, l’hôtel intercontinental et le Vieux-Port, le Sofitel, les terrains d’enfance des Minots, les Quartiers nord : toute la cité phocéenne y passe. « Le Sofitel a toujours été lié à l’OM pour les mises au vert, les transferts », justifie Benjamin. Quant au Corbusier, c’est aussi une décision esthétique pour le réalisateur. « C’est le modernisme, le minimalisme, ce qui fait écho avec l’équipe des Minots. Je trouvais ça assez cohérent. Et puis nos cadres sont des plans larges, très géométriques », avance Julien Lafont, qui s’inspire en cela de la série documentaire de HBO, The Defiant Ones, sur l’histoire de Dr Dre.

Droit au crowdfunding

Anigo, Di Meco, Levy, De Bono, Francini, Gransart… En dehors de Marc Pascal, canonnier des Minots, le casting est au complet. Les heures de rushs explosent, plus de 30h d’interview finalement. Le trio comprend qu’il ne peut se contenter de raconter les 6 matchs de 1981 qui ont maintenu l’OM en D2, qu’il faut remonter à la chute du club, et prolonger jusqu’en 1984, véritable fin des Minots avec la montée en D1. Aucun problème : ce sont eux les maîtres de leurs projets. Le travail d’écriture carbure. Mais la liberté désirée par les trois hommes a un coût : celui de ne pas être financés par une chaîne. La question des financements d’un tel ouvrage commence à se poser, alors qu’une mauvaise nouvelle se profile : l’Olympique de Marseille s’apprête à sortir son propre documentaire sur le sujet, en accès libre sur YouTube.

Ça raconte un football qui n’existe plus, à tous les niveaux. Je ne vais pas dire que le football aujourd’hui ne me convient plus, mais en fait, oui, le football, c’était mieux avant.

« On s’est dit« Ah merde ». Sur le coup, c’est difficile. Mais on sait qu’on va faire un truc plus long, plus en détail, donc ça nous fait un petit peu chier, mais on avance », raconte Aerts. Beau joueur, Benjamin garde alors son calme : « On est en mai 2021, c’est les 40 ans de leur épopée, c’est logique et très bien que le club leur rende hommage ainsi, mais on n’était pas inquiets. » Et pour cause : le documentaire pondu par la communication du club dure 20 petites minutes et se concentre seulement sur les 6 matchs de 1981. « On comprend vite qu’on va proposer quelque chose de complètement différent, pas institutionnel », se rassure alors Benjamin. « Au contraire, et ça nous a même renforcés », surenchérit Mourad. Si le trio est alors autant confiant, c’est que le crowdfunding lancé sur les réseaux sociaux rencontre un engouement inespéré. Pourquoi ? « Parce que le plus cher dans ce projet, c’est de se payer les archives de l’INA », souffle Julien Lafont.

Et pour le réalisateur, pas question de s’en priver : « Avoir les interviews, c’est bien, mais on voulait montrer les archives, montrer les matchs, les acteurs de l’époque. » Or, sans entrer dans les détails de la production d’un documentaire, Benjamin Courmes résume : « Les archives, c’est hyper cher. Et en plus, on parle d’une époque ou les archives ne sont pas trop chères. » Heureusement, la communauté marseillaise s’emballe, et la levée de fonds atteint 21 878 euros (contre 19 500 espérés). Après l’achat des T-shirts promis aux donateurs, toute la somme est envoyée dans les caisses de l’INA. De quoi ravir le producteur Benjamin : « On a pu s’offrir 26 minutes d’archives, sur l’heure et demie de film. C’est plus que ce que l’on espérait. » Des interviews d’époque par Didier Roustan, avec Marius Trésor, Albert Batteux, des compilations de buts célébrés les bras tendus en sautillant, ou encore une panne de courant au Vélodrome : tout y passe. Le seul regret de Julien Lafont : ne pas avoir trouvé suffisamment d’images de la ville, toujours dans l’idée de calquer le modèle de The Defiant Ones.

De Gaston Deferre à Taxi Driver

Si les Minots, c’est le football à l’état pur, comme le dit la première phrase du film, c’est aussi bien plus que cela, rappelle Benjamin Courmes : « C’est l’histoire unique de jeunes Marseillais qui sauvent leur club, soutenus par le public qui revient au stade pour les aider. Ça raconte un football qui n’existe plus, à tous les niveaux. Je ne vais pas dire que le football aujourd’hui ne me convient plus, mais en fait, oui, le football, c’était mieux avant. » Une épopée trop longtemps oubliée, que Mourad Aerts tient à remettre en avant dans la culture club de l’OM : « Les années Tapie chassent tout le reste ici, mais l’OM existait avant Tapie, et après. Et ces mecs qui ont sauvé l’OM, et on a oublié leurs noms. C’est injuste. Sans les Minots de 1981, il n’y a pas Munich en 1993. On devait réparer ça. » Le tout avec des relents de polar classique, avec les implications politiques de Gaston Deferre autour du club, le président corse Christian Carlini et ses fonds bolivariens qui n’arrivent jamais, et bercé par la gouaille locale : « C’est une histoire au fort ancrage territorial, pas seulement quand les types parlent avec l’accent. Les Minots, c’est culturel, c’est le folklore de Marseille », se marre Aerts.

Ces mecs qui ont sauvé l’OM, et on a oublié leurs noms. C’est injuste. Sans les Minots de 1981, il n’y a pas Munich en 1993.

Pour coller à cette ambiance, Julien Lafont a longtemps cherché la bande originale appropriée. Pas facile, quand on a un budget serré de 700 – 1000 euros pour 90 min de film. « On a réfléchi à inviter des artistes marseillais pour la faire. Peut-être qu’on est bêtes, mais on ne s’est pas senti de les appeler, de leur dire on a 1000 €, tu peux faire 90 minutes de musique de film ? » À la place, le trio va réaliser un joli braquage : s’offrir la BO de The Card Counter, le dernier film de Paul Schrader, scénariste, entre autres, de Taxi Driver, Raging Bull et de La Dernière Tentation du Christ. Ce qui colle parfaitement à l’ambiance thriller du documentaire. Le tout à moindre frais, pour un projet qui englobe déjà une partie des économies du trio. « Chiffrer le tout, c’est compliqué », balaye Benjamin Courmes, « mais en dehors du crowdfunding, on a tout mis de notre poche. » Et le réalisateur Julien d’enchaîner : « En cinéma, soit tu as de l’argent, soit du temps. Donc si tu n’as pas d’argent, il faut consacrer tout ton temps. Surtout qu’on n’était que trois, pour un film de 90 min. » À tel point qu’à l’heure de sortir le film en festival, les trois larrons n’ont aucune garantie de retour sur investissement.

BJProd

Le film sera diffusé une première fois ce 11 juin à Marseille pour la presse et les donateurs du crowdfunding, avant de faire la tournée des festivals, alors que le trio s’active pour lui trouver un diffuseur. « Ce n‘est plus entre nos mains, peut-être que dans six mois, on sera multimillionnaires. (Rires.) Ce n’était pas l’ambition de faire de l’argent à la base. On voulait surtout faire un bon film et arriver au terme de ce projet », assure Benjamin. « Le plus important, c’est que ce film soit la référence sur les Minots, et qu’on leur rende enfin la gloire qu’il mérite », glisse Mourad, pour qui la consécration ne serait pas forcément de voir son travail sur Netflix, mais plutôt diffusé chaque année à tous les nouveaux pensionnaires du centre de formation de l’OM : « Le déclic grâce au livre acheté à la sortie de l’hôpital, quand je me suis cassé le bras, j’aimerais que des gamins de 15 ans aient le même en voyant notre film. » Un objectif romantique, applaudi par Benjamin, qui tient à rappeler qu’on parle là d’un documentaire « qui va plaire à ceux qui aiment l’OM, mais pas que. Même ceux qui n’aiment pas le football sont pris par l’intrigue. Cette histoire est tellement folle… » Et enfin proprement racontée. Tout ça grâce à un retourné acrobatique raté, un soir de 1999, devant un garage.

Dans cet article :
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Par Adrien Hémard-Dohain

Tous propos recueillis par AHD.

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