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Les Minguettes sur un plateau ?

par Arnaud Clement à Vénissieux
Les Minguettes sur un plateau ?

Peu nombreux seront ceux à miser sur une victoire de l'AS Vénissieux-Minguettes en huitièmes de finale de la coupe de France face à l'AS Nancy-Lorraine. Mais quel que soit le résultat, ce club et son quartier devraient ressortir grandis de cette aventure à plus d'un titre.

Cliché : nom masculin. Une idée ou une phrase toute faite (péjoratif). Du Roumain voleur de poules au Maghrébin dealer parce qu’il roule en BMW. Trop bon, trop facile de ranger quelqu’un dans une seule et unique case. A ce petit jeu des clichés, le nom des Minguettes sonne comme une évidence. Ce quartier d’environ 20 000 habitants, situé au sud de Lyon en bordure du périph’, est en quelque sorte l’équivalent rhodanien de Villiers-le-Bel ou Clichy-sous-Bois dans l’inconscient collectif. Une terre de chômage et de désolation où règnent en maitres les brûleurs de voiture ou les vendeurs de shit, qui font cracher dans la dope le RSA de ces milliers d’assistés. On voudrait nous vendre une fresque digne de Chicago-sur-Rhône qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Les habitants de ce quartier sont d’ailleurs conscients de ces images racoleuses, au point de s’en amuser : « Demandez à n’importe qui. Tout le monde connait les Minguettes, mais à part les gens du coin, personne ne sait où placer Vénissieux sur une carte. » Un point pour eux ?

Si le taux d’emploi est peu ou prou le même qu’en Espagne et que la situation sociale n’est pas des plus brillantes, pas de trace de carcasse calcinée ou d’immeubles délabrés en pénétrant sur le plateau, surnom hérité de la situation géographique des lieux, situés sur une petite colline. En se dirigeant en son centre, on aperçoit sur la gauche quelques jardins en terrasses à la frontière avec Saint-Fons, ce qui n’est pas la seule trace de verdure trouvée sur les lieux. Plus loin, pas de bandes de jeunes terrorisant les passants, mais un hôpital dernier cri de 235 places sorti de terre il y a tout juste dix ans. Les immeubles qu’on dépasse un à un ne ressemblent pas franchement à ces cages à lapin des sixties depuis des opérations de dynamitage massif en vue d’une réhabilitation urbaine, comme il y en eut à Villeurbanne ou La Duchère, plus récemment. Les pelouses et les aires de jeu s’offrent aux gosses. Enfin, en arrière-plan, des champs, encore des champs et rien d’autre, les Minguettes constituant l’extrémité sud de l’aire urbaine de la capitale des Gaules. Vous avez dit cité coupe-gorge ?

Des CRS et des indics

C’est pourtant ainsi qu’on dépeint les lieux. Les joueurs de l’AS Minguettes le savent mieux que quiconque. Dernièrement, deux anecdotes vécues lors du parcours en Coupe sont venus rappeler que ce coin de l’Hexagone n’est pas considéré comme n’importe quel autre. Samir Daouadji, l’un des historiques du club qui compte plus de vingt licences à l’ASM au poste de défenseur, s’en souvient bien : « En 32e de finale de la Coupe, nous sommes allés à Savigneux-Montbrison (Loire). Au péage, il y avait des gendarmes qui contrôlaient uniquement les véhicules immatriculés dans le Rhône. Ensuite, pendant le match, des CRS ont placé et entouré tous nos supporters dans un coin de la tribune. C’est pas choquant, franchement ? » Le deuxième exemple date du 16e de finale. Plusieurs sources ont en effet confirmé que des dirigeants du Poiré/Vie (National) avaient appelé les clubs des alentours pour savoir s’ils avaient à craindre pour leurs miches. Pourtant, pour le journaliste Djamel Yousni, qui connait le quartier et le club rattaché comme sa poche, c’est avant tout le fruit d’une profonde méconnaissance : « Dans l’esprit de nombreuses personnes, venir aux Minguettes équivaut à l’abattoir. Mais il faut savoir qu’on trouve pas mal de gens qui s’installent ici de par le cadre, l’offre de loisirs, de transports, etc. »

C’est pourquoi cette épopée en Coupe de France pourrait servir de déclic au club présidé par Ahmed Zouak, qui n’a jamais fait mieux qu’un 64e de finale. C’est d’ailleurs tout ce que souhaite l’un des illustres enfants qui ont fait leurs gammes en bas des tours, Alain Caveglia. « Pour connaître quelques quartiers, je peux dire qu’il n’y a pas plus de problèmes aux Minguettes qu’ailleurs. Donc si ce parcours pouvait permettre de faire ressortir tout ce qu’il y a de positif ici, ça serait une belle récompense. » Par positif, l’ancien goleador aujourd’hui installé au poste de directeur sportif du SM Caen sous-entend notamment l’aspect profondément humain qui y règne. Un aspect cher aussi au club de football. Peut-être même plus qu’ailleurs. Gardien du temple des valeurs maison et géniteur d’Enzo le Lorientais, Alain Réale est l’homme à tout faire du club. Ancien numéro dix de talent qui aurait pu (dû ?) rejoindre l’OL lorsqu’il distillait les caviars, celui-ci a connu de nombreuses casquettes et aventures, de la longue disette en DH à la montée en CFA au milieu des années 2000. Mais pendant toutes ces années, il a toujours connu son ASM comme le parent pauvre du football rhodanien. « On n’a jamais eu beaucoup d’argent. Notre budget oscille entre 200 et 300 000 €, mais pourtant, on résiste en CFA2. C’est un peu un miracle permanent qu’on en soit là au vu des moyens de nos proches concurrents. Mais on compense par nos valeurs » estime-t-il.

AS Minguettes, mon amour

C’est précisément cette débauche d’énergie, de solidarité et d’envie qui permet aujourd’hui aux Minguettes d’être le Petit Poucet de la reine des épreuves. Avant d’en arriver là, le club à l’emblème de tête de tigre s’est qualifié quatre fois aux penalties, non sans avoir égalisé à la 92e minute au courage contre le GF38 au septième tour. Autre symbole de cette humanité débordante, tous les anciens ou presque – seuls Luis Fernandez et Paco Bandera (ex-Toulon, OL et Gueugnon) n’ont pu répondre présent – étaient là pour la victoire contre le Poiré/Vie en 16e. Même « Cavegoal » , qui martyrisait il y a encore deux ans les défenses du coin avec les vétérans du club, avait fait le déplacement express depuis la Normandie, non sans avoir donné préalablement quelques vidéos du troisième de National au coach vénissian Karim Mokkedem. L’entraide et la solidarité avant tout, toujours. Stéphane Granturco, qui reste à 41 ans le capitaine on ne peut plus exemplaire de l’équipe, dit d’ailleurs que la grande réunion de famille générée par l’événement gardera toujours une place particulière dans sa mémoire : « A titre personnel, ça restera le moment le plus fort que j’ai vécu ici. Plus fort que la montée en CFA car revoir sur le bord du terrain tous ces joueurs que j’ai aimé voir évoluer ou avec lesquels j’ai débuté, la larme à l’œil, c’est énorme. Aujourd’hui, c’est ringard de parler d’amour du maillot, ça ne veut plus rien dire. Mais pour ces gens-là, c’est quelque chose qui a encore de la valeur. »

Qui dit humain dit aussi formation pour un club de cette trempe-là, qui ne peut rester au niveau à grands coups d’euros. « On est un peu comme l’AJ Auxerre en son temps. Dès qu’un joueur veut franchir un cap ou se refaire une santé après une blessure, il vient chez nous » se marre Alain Réale pour illustrer le statut reconnu de tremplin de son club. Et Samir Daouadji de faire une radioscopie de l’équipe première pour le confirmer : « Bon, derrière, on se connait depuis plusieurs années avec Stéphane (Granturco) ou Jean-Louis Fernandez (neveu de Luis). Ensuite, tu retrouves des petits jeunes qui sont montés de la réserve et ont intégré le groupe de la première. Et après, tu as cinq ou six joueurs venus cet été de clubs de ligue. Il y en a même un qui jouait en district. » Et ça marche ! Ces mêmes joueurs seront rapidement repérés par les clubs huppés de la région ou d’ailleurs pour aller voler de leurs propres ailes à un meilleur niveau ou pour des conditions financières bien plus avantageuses. « L’été dernier, on a eu une dizaine de départs. Mais on arrive à compenser chaque année » rajoute Stéphane Granturco, sous ses faux airs de Jérôme Leroy. Il faut dire qu’avec ses 560 licenciés, cet endroit a la réputation de pépinière qui a aussi vu pousser l’international algérien Halim Ben Mabrouk, le défenseur Ahmed Madouni ou le jeune Harry Novillo, ou ce partenariat avec le collège Elsa Triolet pour l’organisation de la section sportive, il y a de quoi avoir de la réserve.


« Un nouveau cœur greffé »

Un stock qui tend tout de même à se réduire selon captain Granturco : « Quand on était gosses, on se levait foot, on mangeait foot, on dormait foot. C’était une obsession, les matches duraient huit heures en bas de chez nous. On rejouait après les rencontres qu’on disputait en club, le lendemain… Aujourd’hui, mis à part sur les city stades où on en voit quelques-uns, ce n’est plus la même chose. » D’autant qu’une fois passé par l’excellence de l’OL, les plus prometteurs jouent les orgueilleux et tiqueraient à l’idée de revenir aux racines. De quoi voir le futur du football-roi en pointillé au quartier ? Non, au moins pour deux raisons. D’abord, les Minguettes ont vibré de tout temps pour les fêtes populaires autour d’un ballon. Des chauds matchs dans l’antre imprenable d’Auguste-Delaune, avec sa butte du diable – où les spectateurs massés foutaient les pétoches aux adversaires avant qu’il ne soit déclaré non-conforme en 2006 – à la venue du Variétés Club de France au début des années 90 en présence du jeune espoir de l’époque Zinédine Zidane en passant par les entrainements de l’Athletic Bilbao d’Alkorta ou Guerrero – merci Luis – en plein cœur de la cité, jeunes et moins jeunes se sont toujours particulièrement délectés du football.

Enfin, l’autre raison, c’est Samir Daouadji, aussi éducateur auprès des plus jeunes et intervenant pour la section sportive du collège Elsa-Triolet, qui la fournit. « Depuis qu’on s’est qualifiés, les mômes viennent aux matches, découvrent les exigences du niveau national et adorent ça. Le mot qui revient le plus dans leurs bouches en ce moment, c’est Nancy. Donc la relève est là, on sent qu’il y a un vrai engouement. Et comme la manne qu’on va toucher pour notre parcours devrait permettre au club d’avoir comme un nouveau cœur greffé financièrement parlant, l’avenir devrait être assuré. » Chose que veut croire Alain Réale à une condition : que la transmission des valeurs locales soit assurée : « Tant qu’on aura des mecs comme Stéphane ou Samir qui pourront aiguiller les plus jeunes, ça ira. Si on veut garder ce petit plus qui fait la particularité des Minguettes, il faut leur donner des repères avec des gens d’ici, qui connaissent les lieux et les valeurs. »

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