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Les Millonarios veulent blanchir leur histoire
Mardi, le président des Millonarios Bogota, Felipe Gaitan, a lancé une bombe qui a secoué le football colombien, en annonçant que son club pourrait renoncer à deux de ses titres de champion, remportés quand le club se trouvait sous l'influence des narcos. Une initiative accueillie plus que froidement, mais dont l'impact pourrait chambouler le palmarès du foot cafetero.
Cela devait être une semaine de célébration pour les Millonarios. Le moment de se remémorer son plus glorieux passé. Mercredi, le club de Bogota jouait un match de gala face au Real Madrid. Un hommage à Alfredo Di Stefano, son ex-star qui avait offert quatre titres de champion aux Millonarios (1949, 1951, 1952, et 1953) avant de se vêtir de merengue. À son arrivée à Madrid, Felipe Gaitan, président de l’institution albiazul depuis février dernier, va toutefois orienter les mémoires vers un tout autre passé. Le plus noir du club « ambassadeur » . Mardi, lors d’une interview donnée à RadioW, Gaitan a surpris, pour ne pas dire effaré ; tout un pays, en annonçant que les Millonarios pourraient renoncer à ses titres remportés en 1987 et 1988, quand le club était aux mains des narcotraficants.
En Colombie, c’est par une levée de boucliers qu’a été accueillie l’initiative de Gaitan. Tout du moins, si l’on se cantonne au monde du football. « Ces déclarations n’ont pas de sens, s’est ainsi emballé l’ex-milieu de terrain des Millonarios, Mario Vanemerak. On est fâché, car gagner ces titres a vraiment été difficile, jamais on ne les rendra. » Luis « Chiqui » Garcia, l’entraîneur qui a guidé les Albiazules vers leurs deux seuls titres des eighties ne s’est pas montré beaucoup plus compréhensif : « C’est une infamie, on ne peut pas nous enlever deux étoiles que nous avons conquis avec une superbe équipe de travail, des gens qui savent ce que représentent de travailler tant de temps pour obtenir ces succès. » Enfin, Juan Carlos de la Cuesta, président de l’Atlético Nacional, club qui était généreusement appuyé par Pablo Escobar du temps de sa splendeur, s’est, lui aussi, vivement opposé à Gaitan. « On est tranquilles avec nos titres, s’il y a des preuves, qu’ils les montrent. »
L’assassinat de Rodrigo Lara Bonilla
La position de Felipe Gaitan se veut « éthique » . Le président n’a évoqué aucun exemple de match arrangé en particulier, mais se pose la question de la validité morale de titres remportés alors que le club était contrôlé par Gonzalo Rodríguez Gacha, éminent capo du cartel de Medellin. « Nous connaissons tous le malheureux passé de l’équipe, a-t-il déclaré, et la nouvelle administration a mis le thème sur la table, mais aucune position officielle n’a encore été prise. » S’agit-il de courage ou de démagogie, s’auto-mutiler de deux titres pourrait avoir un immense impact pour tout le football colombien. Car, ce n’est un secret pour personne, le football cafetero a largement bénéficié, au cœur des années 80, des largesses des narcos. En 1983, le ministre de l’Intérieur, Rodrigo Lara Bonilla, avait d’ailleurs révélé le nom des équipes dopées, selon ses services, par l’argent du trafic de drogue. Six, au total : Atlético Nacional, Millonarios, Santa Fe, Deportivo Independiente Medellín, América et Deportivo Pereira. Moins d’un an plus tard, il sera assassiné.
Un constat : le règne des narcos sur le football colombien a clairement coïncidé avec son époque la plus faste. Irrigué de pesos par les frères Rodriguez du cartel de Cali, l’America avait ainsi enchaîné trois finales de Libertadores (1895, 1986, 1987), compétition remportée en 1989 par l’Atlético Nacional d’Escobar. Un âge d’or qui pourrait se réduire à une série de lignes blanches si les dirigeants des Millonarios vont au bout de leur idée et entraînent, dans un effet domino, les autres grandes institutions du football colombien. Un scénario encore improbable, mais qui ravirait le ministre de l’intérieur, Fernando Carrillo, friand, en bon politique, de mesures symboliques. « Ce serait une grande leçon que donnerait Millonarios, s’est-il ainsi emballé, nous allons voir qui va se présenter pour suivre son exemple. » « Le club perdrait deux étoiles sur son écusson, a poursuivi le membre du gouvernement de Juan Manuel Santos (droite conservatrice), mais il en gagnerait deux de dignité. Il s’agirait d’un exemple pour la société. » En 1989, le capo Gonzalo Rodríguez Gacha se suicide au terme d’une course-poursuite avec les autorités. Depuis, les Millonarios, club le plus étoilé du pays (13 championnats), courent, en vain, après un nouveau titre de champion. Mercredi, un Real Madrid B a étrillé 8-0 le club ambassadeur.
Par Thomas Goubin