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Le roman de Nzola
De la D4 portugaise à Lens, en passant par la Fiorentina, l’itinéraire de M’Bala Nzola est... spécial ! Pas conservé par Troyes pour des problèmes de comportement, l’Angolais s’est forgé et a fini par tout renverser au bout d’un chemin unique. Voici comment.
« Il fait partie des garçons qui font grandir les entraîneurs. On a toujours plein de convictions sur untel ou untel qui peut aller vers le haut niveau. Lui, je pense qu’il était parmi ceux jugés inaptes. Et il y arrive. Ce sont de beaux exemples. » Comme beaucoup, Philippe Pinson est véritablement surpris de voir où en est aujourd’hui M’Bala Nzola, à 28 ans. L’actuel attaquant de Lens a, il faut bien le dire, pris son temps pour véritablement éclore. Au cœur d’un parcours cabossé comme le football peut parfois nous en donner. Loin, très loin d’être linéaire, tranquille et sans embûche.
Pourtant, contrairement à d’autres carrières empruntées, Nzola connaît un centre de formation pro. Angolais d’origine (il a fait ses débuts internationaux en 2021), le futur attaquant massif et sa famille grandissent à Troyes et le quartier des Chartreux. M’Bala intègre rapidement l’ESTAC, non sans faire débat. « Dans ma tête, c’était un crack, promet Samuel Grandsir, aujourd’hui au Havre, ancien coéquipier dans l’Aube. Mais peut-être pas pour d’autres… » Entre promesses d’avenir et véritable questionnement sur son habileté à progresser. Philippe Pinson l’a entraîné chez les U17. « Beaucoup de qualités mais, quand même, des gros manques, remarque l’éducateur. D’un point de vue tactique, on cherche à savoir ce que souhaite être M’Bala. Un attaquant de profondeur ? Un deuxième attaquant ? Un pivot ? On a du mal, car il a parfois des difficultés à se situer dans le jeu. »
Le vol de trop
Il faut dire que le football n’est pas le point central de sa jeunesse. À 16 ans, il est déjà très responsabilisé dans sa famille. Si son père est présent, l’adolescent doit s’occuper de ses sœurs et être là dans le foyer familial. « Il a des choses à gérer que des garçons de son âge n’ont pas à s’occuper », reconnaît Philippe Pinson. Avec, au milieu de cet axe, une scolarité pas des plus sérieuses. Si bien qu’au sortir de la préformation et d’années collège délicates, le club doit lui trouver un cursus en alternance pour continuer son aventure à l’ESTAC, « en chaudronnerie, je crois, précise Pinson. Quelque chose de très manuel. Mais il s’est pris en main sur ses emplois du temps. »
Frustrant, car les qualités footballistiques sont là, avec toujours le même lot d’interrogations. « On sent qu’il y a un gros potentiel, quelque chose de supérieur dans plein de domaines, promet Claude Robin, alors directeur du centre de formation troyen. Il est fort attachant, insouciant, toujours en train de rigoler. Mais, sur le terrain, il n’est pas abouti. On voit les qualités, mais, des fois, ce n’est pas qu’il est fainéant, mais il faut toujours le contraindre à. » « On cherche comment il va s’affirmer, continue Pinson. Il ne marque pas beaucoup, mais a une grosse présence en attaque. Il a une difficulté à être structuré comme il faut. Mais on sent qu’on n’est pas loin de quelque chose. »
En 2014, coup de massue : Troyes ne le conserve pas. D’abord à cause de carences dans la vision de ce que signifie être un footballeur professionnel. « Dans sa tête, il n’est pas encore assez prêt, argumente Samuel Grandsir. Pourtant, pour moi, il a tout : technique, physique, vitesse, finition… Mais il lui manque cette mentalité de se dépasser. Même lui sait qu’il est au-dessus. Mais peut-être qu’il se repose un peu sur ses acquis. S’il avait été plus tueur dans sa tête, il aurait vraiment été un crack. » Avec, pour ne rien arranger, des écarts de comportement qui vont sonner sa fin à Troyes. « On a été obligé de se séparer de lui. J’ai été tolérant plusieurs fois, raconte Claude Robin. Mais, là, c’est la fois de trop. On en a convenu tous les deux. » En cause, selon l’actuel entraîneur de Besançon, un vol commis envers un coéquipier du centre. « Quand on est directeur, on ne peut pas tout laisser passer. Là, c’est intolérable. Mais ce n’est pas un méchant, ni un tordu. Au contraire, c’est un crève-cœur de prendre cette décision. »
Porto, Osimhen et gros bébé
Pourtant, c’est à se demander si ce renvoi troyen n’a, au contraire, pas été la première étape sur la route de l’ascension. Comme un premier rappel qu’il faut vite redresser la barre au risque de tout perdre définitivement. « Partir de la France lui fait du bien et lui provoque une petite étincelle dans la tête. Il fallait sortir de son confort », croit Samuel Grandsir. Nzola décide de quitter son cocon et ses potes. Direction l’Académica de Coimbra, au Portugal. Il a 18 ans. Pas avec les pros, il parvient pourtant à s’y faire une place. En équipe première, il fait la connaissance de Tripy Makonda (ex-PSG, Brest…). « Je trouve un gamin très sûr de lui, très déterminé, se souvient l’ex-Titi parisien. Il s’impose lors des séances d’entraînement, mais il a des choses à travailler. Sa nonchalance peut lui être fatale, mais ça ne l’empêche pas d’être performant. » Preuve en Coupe de la Ligue portugaise, où Nzola a sa chance en janvier 2015. Il marque cinq minutes après son entrée pour son premier match pro face au FC Porto de Jackson Martínez (défaite 1-4). Le début de l’ascension ? Pas du tout. Makonda : « Le centre de formation n’a plus de moyens pour garder les jeunes. C’est limite si M’Bala joue gratuitement. Vous allez au centre, si vous avez besoin de manger, vous ne pouvez pas… Il est parti. »
Destination : Sertã, en plein centre du Portugal, et le club de Sertanense, alors… en D4. Peu importe l’endroit, Nzola doit jouer, enfin. Il claque 7 buts pour 25 matchs. Mais comme à Coimbra, c’est comme si l’Angolais peaufinait réellement sa formation. Les conditions y ressemblent, en tout cas. « On loge dans des dortoirs, dépeint Bissourou Touré, coéquipier de l’époque, qui se souvient de ce “gros bébé” d’1,85m. Je revois ce long couloir avec des chambres, et le terrain juste au-dessus. » Pourtant, là encore, Nzola doit beaucoup patienter pour avoir de réelles minutes en championnat. « Il ne joue pas trop, au début, poursuit Touré. Les Portugais n’avaient jamais vu un gabarit comme le sien ! Ils étaient un peu choqués. Mais niveau football, il n’y a rien à dire. » M’Bala est rattrapé par ses « démons », comme ce langage corporel qui peut interpeller. « Ce qui lui manque ? L’attitude, abonde Bissourou Touré. Car, à l’étranger, ils regardent beaucoup l’attitude. Surtout quand tu viens de France… Mais sur le terrain, il a un autre caractère. Un genre d’Osimhen. Hargneux. Il a la dalle. » Des buts, oui, mais un épanouissement personnel loin d’être à son maximum. M’Bala pense même à arrêter le ballon. Mais Bissourou Touré le jure : « Quand tu sors de Sertanense, mentalement, plus rien ne peut t’atteindre. »
Un mentor nommé Vincenzo Italiano
Son chemin aussi sinueux qu’improbable l’emmène alors en Italie. Au Virtus Francavilla (Serie C), où il n’a pas encore vraiment les codes du monde pro. Un premier déclic vient de la rencontre de son coach, Antonio Calabro. La relation est franche, le technicien italien prend son attaquant sous son aile. « Tu connais les coachs chauves, ils sont un peu méchants, racontait récemment Nzola à La Voix du Nord. Il était méchant avec moi, mais j’ai compris qu’il m’aimait bien. Il ne voulait pas montrer que j’étais son chouchou. » Et ça se concrétise sur le terrain. Francavilla débarque de Serie D et dispute tout de suite les play-off d’accession en Serie B. « C’était personne, confie John-Christophe Ayina, son coéquipier dans les Pouilles. Il devait se faire un nom. Et, dans sa tête, il est en mission. Il se bat contre lui-même, il veut être la meilleure version de lui-même. » Onze buts, et même des comparaisons avec George Weah et Karim Benzema. Lui rêve de Ligue des champions. La Fiorentina et Parme s’intéressent au profil. Sauf que Nzola gâche tout face à Livourne, en barrage aller d’accession. Carton rouge, huit matchs de suspension ! Il est question d’un mauvais geste envers un adversaire et l’arbitre. La Viola laisse tomber le dossier. Le haut niveau attendra, encore. Surtout que Nzola ne confirme pas du tout en Serie B, à Carpi, qui le récupère (14 matchs, 0 but).
Non, le premier véritable étage de la fusée Nzola se trouve à Trapani, en Sicile. Retour en Serie C. Nouveau coach au crâne dégarni, nouveau coup de cœur. Cette fois avec Vincenzo Italiano, qui entraîne actuellement Bologne. « Le coach comprend comment il faut prendre M’Bala, appuie Anthony Taugourdeau, coéquipier sicilien. Quand il faut le faire jouer ou pas, le laisser tranquille ou pas. » Sauf que question mentalité, le compte n’y est toujours pas, au départ. « Pour l’entraînement, il faut arriver à 14h30, lui arrive à 14h29, tous les jours, rembobine Taugourdeau. Avec parfois un peu de retard. Il baisse les bras dès que quelque chose ne va pas. Un caractère un peu particulier. » Nzola marque 8 buts sur la saison (33 matchs, 16 titularisations). Mais son ancien partenaire hallucine sur le discours que lui tient l’Angolais : « Quand il s’entraîne vraiment très, très mal, il me lance des trucs du genre : “Je vais marquer 20 buts en Serie A, tu vas voir !” Je me dis : “Mais il est fou ! Qu’est-ce qu’il me raconte ?” Dans sa tête, il sait qu’il peut le faire. Mais on est en Serie C, et il ne met pas 30 buts non plus… Il a dû changer quelque chose… »
Trapani, Italiano et Nzola montent en Serie B. Sauf que le coach italien rallie La Spezia pendant l’été. M’Bala, orphelin de son mentor, le rejoint au mercato d’hiver. Et ça matche, encore. Sept pions pour l’attaquant. Direction la grande Serie A. Il cartonne avec 9 buts inscrits lors de ses 13 premières apparitions ! 11 pions au total pour sa saison de bizutage dans la grande ligue italienne. Forcément, ça fait parler. Naples, Newcastle et West Ham, entre autres, sont sur sa piste.
Le nounours est décontracté
Mais comme tout ne peut pas être parfait, Nzola ne part pas et, surtout, Vincenzo Italiano, qui lui aussi est très en vogue, fait ses valises vers Florence et la Viola. À sa place débarque un certain Thiago Motta. Un doublé à l’Atalanta (2-5) et c’est tout pour Nzola sous l’ère Motta. Derrière, en 2022-2023, il retrouve son mojo (13 buts) et est transféré pour quasi 13 millions d’euros à la Fiorentina de… Vincenzo Italiano. Barré notamment par Andrea Belotti en attaque, Nzola plante trois buts en Serie A, mais participe au sacré parcours florentin en Ligue Conférence la saison passée. Avec notamment ce but inscrit à la 91e minute en demi-finales allers face au Club Bruges, importantissime pour la qualification en finale (3-2 ; 1-1). Les troupes d’Italiano échouent sur la dernière marche, en prolongation, face à l’Olympiakos (0-1 AP).
Jusqu’au RC Lens, donc, où il est prêté avec une option d’achat estimée à moins de 10 millions d’euros. Avec 4 buts inscrits lors de la phase aller en ayant joué son premier match à la toute fin du mois de septembre. Toujours ce caractère bien à lui, lui qui fuit toute exposition médiatique. Mais quelqu’un qui profite aujourd’hui d’une notoriété et d’une réussite qui ont été loin d’être évidentes. « Il est trop marrant, sourit Samuel Grandsir. C’est un mec décontracté, qui ne se met aucune pression. Il est humble, simple et a un grand cœur. » John-Christophe Ayina abonde : « Quand tu le vois, il est costaud, imposant. Mais quand tu le connais, c’est un petit nounours. Parfois, il peut être incompris. Il est vrai avec les gens et demande à ce qu’on soit vrai en retour. Il a besoin de beaucoup de confiance, qu’on la lui donne. D’où il est parti, le voir là aujourd’hui, c’est un exemple. Car je pense que lui-même n’a pas conscience du potentiel qu’il a. » Quand ses formateurs comparent le Nzola de Troyes et le Nzola de Lens, le constat est sans appel. « Il a eu une prise en main assez exceptionnelle pour arriver là et être performant », applaudit Philippe Pinson. Quand Claude Robin est également bluffé : « Toute l’énergie qu’il donne contraste vraiment avec, parfois, la nonchalance qu’il mettait à ses débuts. Je suis content, car ça veut dire qu’il a compris. »
« La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera », Emile Zola.
Par Timothé Crépin
Tous propos recueillis par TC sauf mentions.