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« Les migrants préfèrent suivre l’Euro 2016 que les Jeux olympiques »
Dans la jungle de Calais, on suit également l'Euro 2016 de football. Dans certains restaurants de fortune qui facturent l'entrée un euro jour de match, mais aussi au centre Jules Ferry, qui propose depuis le début de la compétition la diffusion des matchs de 15h. Explication avec Stéphane Duval, le directeur.
Depuis combien de temps avez-vous décidé d’utiliser l’écran présent dans le centre Jules Ferry pour retransmettre les matchs de l’Euro 2016 ?On le fait quasiment depuis le début du tournoi. L’écran avait été installé pour communiquer des informations d’ordre pratique ou administratif aux migrants. On y fait passer des messages par rapport aux centres d’accueil et d’orientation. On s’est dit : « On a un écran, autant le rentabiliser » , alors on a installé une parabole. Et puis voilà. Après, tout dépend des chaînes qui retransmettent les matchs. Là, on n’a que les chaînes de la TNT sans abonnement.
Quand avez-vous pris conscience de l’intérêt d’une telle initiative ? Il y avait des discussions dans le camp autour du football ?On sait que ce sont des passionnés de sport. Pour la majorité, ils ont entre 20 et 30 ans, donc ce sont des hommes assez sportifs. Les personnes issues du continent africain, les Soudanais, les Érythréens, les Éthiopiens, ce sont des férus de football. Les Afghans peut-être un peu moins, ils jouent beaucoup au cricket (la communauté pachtoune essentiellement, ndlr). En les observant, on constate que tous les jours, ils font du sport. On a un terrain de volley, ils s’improvisent des parties de foot, ils nous demandent des ballons… Ils parlaient de l’Euro 2016, mais sans imaginer qu’on allait utiliser la télévision pour ça. La première fois, cela a été une surprise, une agréable surprise pour eux. Sauf que maintenant, ils demandent à voir tous les matchs (rires).
Et votre problématique, ce sont les horaires du centre, qui ferme à 18h, et ne vous permet donc que de montrer le match de 15h…Si on avait un abonnement à beIN, on pourrait retransmettre les matchs de la veille. Eux, ils veulent voir les matchs, pas forcément en direct. Revoir le match, pour eux, c’est mieux que rien. Surtout si cela a été un beau match. Ils ne supportent pas forcément une équipe en particulier, du moins pas tous. En revanche, ils aiment le beau jeu. Et certains jouent aussi très bien.
Pour le match Italie-Suède, ils étaient bien 150 devant l’écran, ce qui est peu comparé à la population de la jungle.On n’arrive pas à retransmettre tous les matchs. S’ils savaient que tous les jours à telle heure il y avait tel match… Si j’avais les moyens de le faire, on ferait une campagne d’affichage et cela porterait encore plus ses fruits. Là, les gars sont arrivés pour manger (les distributions de nourriture gratuite dans le centre Jules Ferry se font à 15h, ndlr), ils ont vu qu’il y avait du foot à la télé, ils sont venus se greffer. Si on est en capacité de les avertir avant… Là, on réfléchit à ouvrir le centre le soir plus longtemps pour les demi-finales et la finale. Certains salariés sont prêts à venir plus tard pour permettre aux gars de voir les matchs.
Certains petits restaurants de la jungle retransmettent les matchs, mais il faut payer un euro le droit d’entrée.Oui. Dans la jungle, toutes les prestations que nous offrons à Jules Ferry existent, mais elles sont payantes (une véritable économie parallèle s’est créée dans la jungle, principalement tenue par la communauté afghane, ndlr). Il y a des gens qui ont le sens du commerce, du business. Vous allez trouver des douches, elles sont à trois euros. Des repas, ils sont payants, comme le thé, le café… Donc si c’est un très beau match, si c’est un passionné, la personne va faire l’effort. Mais un euro pour ces gens, c’est plus qu’un seul euro. Surtout pour les gens du continent africain qui, en général, n’ont pas beaucoup d’argent, à l’inverse de certaines autres nationalités.
Pendant Italie-Suède, vous aviez souligné que la diffusion du match permettait d’offrir un moment de rapprochement, de convivialité entre les migrants. Ça les aide à relâcher la pression, à développer une certaine forme de cohésion ?J’aurais envie de dire oui. Certains supporters dans le football donnent une mauvaise image. Mais pour toute personne dénuée d’agressivité et de mauvaises intentions, le football et le sport en général, c’est fédérateur, cela crée une bonne dynamique. Les migrants, ce sont des gens passionnés par le sport en général, même s’ils aiment plus particulièrement le foot.
Au niveau logistique, l’Euro est un galop d’essai qui va vous permettre d’être au top pour les JO ?Je pense que la majorité des réfugiés préfèrent suivre l’Euro plutôt que les Jeux olympiques. Maintenant, je pense que toute forme de sport peut les intéresser même si le foot reste au-dessus et universel. Vendredi, ils étaient 150 à regarder le match. Si on voit que cela marche, notre responsabilité est d’augmenter ce dispositif, le renforcer. Notre rôle, c’est de leur offrir quelque chose qui sorte du quotidien, quelque chose qui les sortent de leur préoccupation habituelle, à savoir monter dans un camion et tenter de passer en Angleterre. Ils se posent beaucoup de questions sur leur projet de vie. Si, pendant une heure et demie, on peut les sortir de ce marasme, tant mieux.
Dans la région se jouent des matchs de l’Euro 2016. Y a-t-il des gens de l’organisation du tournoi, ou même des personnalités du milieu du football régional, qui vous ont proposé quoi que ce soit, un coup de main ?Non, il n’y a pas eu de propositions. En marque de soutien, cela aurait été intéressant. Après, on sait bien que le monde ne tourne pas autour des réfugiés, il faut comprendre aussi qu’il y a d’autres personnes dans le besoin. À une certaine époque, on a travaillé avec un gardien de but professionnel anglais (Floyd Croll, ancien de Wigan, ndlr), venu en tant que bénévole. Il avait donné un coup de main et joué avec les gars, cela avait été un très bon moment. On a aussi Lilian Thuram qui est venu l’an dernier. Il faisait une intervention au Channel, une scène théâtrale de Calais, où il donnait une conférence contre le racisme. Il en avait profité pour venir au centre Jules Ferry. Ce qui était incroyable, c’est que Thuram a gagné la Coupe du monde 1998, mais il y avait des gamins même pas nés à l’époque qui l’avaient quand même reconnu. Il était suivi par une cinquantaine de personnes qui voulaient des photos avec lui. Cela montre que le football est universel.
D’autres associations qui œuvrent autour de la jungle de Calais cherchent des solutions techniques pour diffuser des matchs de l’Euro 2016. Et l’impression que cela donne, c’est que toutes les associations d’aide aux réfugiés autour de la jungle ne travaillent pas vraiment ensemble.Nous collaborons avec les plus importantes associations : Salam, l’Auberge des migrants, le Secours catholique. Dans le cadre de la journée mondiale des réfugiés de l’ONU le 20 juin, on organise un tournoi de football. Les associations partenaires viennent nous aider pour encadrer l’activité, pour aider à la distribution des repas, nous donnent un soutien matériel quand c’est nécessaire. Par exemple, du matériel scolaire pour l’école. La cohésion est là. On a récemment eu un comité de pilotage, une trentaine d’associations étaient présentes. Après, vous pouvez avoir des actions plus individuelles, c’est une bonne démarche. Mais il faut différencier l’action menée par l’État, car nous, on est financés par l’État, et par l’Union européenne. Certaines associations de bénévoles agissent sur des fonds propres. Il faut que l’on coordonne tout cela, pour l’utilisation de l’écran pour diffuser les matchs de football, on n’a sollicité personne et été aidé par personne, ça c’est clair.
Une dernière question, vous avez mentionné beIN Sports qui diffuse l’intégralité de l’Euro 2016. Vous aimeriez leur demander publiquement de venir vous installer la parabole, genre avant le début des huitièmes de finale ?Franchement, ils nous rendraient un tel service…
Propos recueillis par Nicolas Jucha, à Calais