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Les merlus frits
Loïc Féry voulait en faire un grand du foot français, mais même Rolland Courbis se cherche des excuses pour ne pas y venir. La onzième saison de suite en L1 du FC Lorient s’apparente pour l’instant à une vraie souffrance. Les discours démesurément ambitieux et optimistes de son président cachent mal une politique casse-gueule et peu en adéquation avec l’ADN du club comme de la ville.
Août 2016, Loïc Féry, au moment de commencer la saison : « Il y a des petites musiques de compétitions européennes que j’aimerais bien entendre un jour au Moustoir. On va dire que je suis fou. Mais l’objectif, c’est d’être dans la première partie du championnat et de faire rêver les gens avec du beau jeu. » Septembre 2016, Féry encore, alors que le marché des transferts vient de se clôturer sur le départ en Angleterre de Ndong, l’homme de base du milieu lorientais : « On est très confiants sur notre recrutement, qui a fait ses preuves. Vous verrez que cette équipe va en surprendre plus d’un. Comme tous les ans. » Octobre 2016, Féry toujours, quelques jours seulement avant de virer son entraîneur : « Vous avez pu constater que j’ai gardé ma confiance au staff en place, malgré des résultats certes décevants. J’ai mis en place Sylvain Ripoll et son staff, je les ai prolongés et les ai maintenus dans les moments difficiles durant ces deux dernières années. »
On ne saurait trop conseiller au président des Merlus de faire vœu de silence pour quelque temps et de se concentrer à essayer de sortir son club de la mouise, car il semblerait que le ton un brin présomptueux de ses propos, l’optimisme démesuré qu’il affiche et les vérités sans lendemain qu’il assène vont finir par le rendre moins populaire dans le Morbihan que François Hollande en France. Car à la veille de cette onzième journée de L1, la situation est grave : Lorient reste englué à la dernière place du classement avec huit revers en dix matchs, et vient qui plus est de se faire éliminer d’entrée de la Coupe de la Ligue par le voisin rennais, entraîné par l’ex-idole Christian Gourcuff qui, petite humiliation supplémentaire, a assuré en conférence de presse qu’en gros, il n’en avait plus rien à faire du FCL, que c’était de l’histoire ancienne. Comparer ce premier bilan sportif avec la confiance à toute épreuve affichée par Loïc Féry à chacune de ses sorties publiques aurait presque quelque chose de comique si ce n’était pas triste, en vrai, de voir ce club si singulier autant dans la panade. Mais bon sang de bonsoir, comment cet habitué de la Ligue 1 depuis une bonne décennie a-t-il fini par se retrouver à être le candidat numéro un à la relégation en fin de saison ?
L’époque de la paire Gameiro/Vahirua
Pour tenter de l’expliquer, un petit récapitulatif s’impose. Lorsque Loïc Féry débarque en Bretagne à l’été 2009 pour succéder à l’ancien président Alain Le Roch, c’est une drôle d’union à trois qui s’établit entre un trader londonien, un druide au caractère bien trempé nommé Christian Gourcuff et une ville portuaire et prolo. Union qui a d’abord tout de la lune de miel. Dès la première saison 2009/2010, le FCL obtient le meilleur classement de son histoire – il l’est encore à ce jour – en terminant à la septième place. C’est l’époque de la paire Gameiro/Vahirua en attaque, d’Amalfitano, de Koscielny et de Morel. L’équipe au maillot orange marque cinquante-quatre buts et offre des prestations spectaculaires qui la rendent populaire. « On a la même philosophie que le FC Barcelone » , reconnaît alors Yann Jouffre sans fausse modestie.
Le petit Barça du pays du beurre salé va néanmoins déchanter assez vite. Lors de la saison 2011/2012, la relégation est évitée de très peu, et déjà se pose le problème de la stratégie douteuse de son boss même pas quadra. Plusieurs cadres, dont Gameiro, Amalfitano et Morel, quittent le port contre de jolies sommes et ne sont pas remplacés, ou mal remplacés. Le père Gourcuff s’agace évidemment de la situation. Le divorce intervient au cours de l’exercice 2013/2014 quand Mario Lemina est transféré à Marseille dans les dernières heures du mercato. Mécontent, pour ne pas dire plus, de voir ainsi son effectif bridé contre son gré, le coach va alors honorer sa dernière année de contrat et bye bye débrouillez-vous. Le départ du demi-dieu Gourcuff, clairement par la faute de la politique du président, fragilise alors déjà pas mal la popularité de ce dernier parmi les supporters. Féry ne s’en formalise pas et avance des arguments certes tout à fait recevables. Avec lui, le club s’est considérablement structuré. Avec lui à sa tête, Lorient est devenu plus pro.
Reconstruire, en permanence
En 2014, Sylvain Ripoll est installé sur le banc. C’est plutôt logique de privilégier la solution interne avec cette promotion de l’ex-joueur et adjoint de Gourcuff. C’est l’heure du slogan « le football autrement » . Désormais installé en L1, le FC Lorient aimerait viser plus haut, s’incruster dans la première moitié de tableau, pourquoi pas disputer une compétition européenne… Problème : Féry a-t-il donné à Ripoll les moyens pour assouvir sa grande ambition ? La question se pose, maintenant que l’enfant du club a été débarqué il y a quelques jours sans trop de ménagement. Car après le départ de Lemina subi par Gourcuff, son successeur a aussi dû composer avec le départ régulier des meilleurs éléments de l’effectif : Aboubakar, Aliadière et Ecuele Manga à l’été 2014, Jordan Ayew à l’été 2015, Lamine Koné en janvier dernier, Guerreiro et Ndong cet été… Reconstruire, toujours, tout en faisant progresser le classement, tel était devenu la mission quasi impossible de l’homme aux yeux globuleux et à la nuque longue.
Si Lorient vend, et vend plutôt bien, c’est que le club continue d’être une belle vitrine pour les joueurs. En récupérant de belles indemnités sans jamais trop dépenser (à l’exception de Waris sous l’ère Ripoll), Féry a certainement fait du FCL une entreprise saine financièrement, mais cette stratégie a forcément fragilisé le sportif tout en faisant perdre un peu de l’ADN des Morbihannais. Que reste-t-il du club prolo version Arnaud Le Lan dans son AX ? D’ailleurs, comme s’il voulait se rappeler l’époque où tout allait bien et où la dynamique était positive, Féry a rameuté en express trois anciens de la maison qui étaient au chômage, Mvuemba, Ciani et Aliadière. Un Aliadière qu’il aurait d’ailleurs imposé à Ripoll contre l’avis de ce dernier et qui n’a toujours pas disputé une seule minute avec son ancien/nouveau club. Ce que peu de monde a remarqué au passage : des 15 000 spectateurs de moyenne du temps de la fin du règne Gourcuff, le Moustoir est passé à 10 000 à peine lors des matchs de Lorient disputé à domicile. En breton, « état d’urgence » se dit « stad a zifrae » .
Par Régis Delanoë