- Il faut que cela cesse
- Épisode 20
Les mecs qui ne regardent pas le péno de leur coéquipier
Ce sont des gestes ou des attitudes qui énervent. Qui sont insupportables. Qui rendent dingue tout supporter au stade ou devant sa télé. Et franchement, comme dirait Édouard Balladur, « je vous demande de vous arrêter ». Focus aujourd'hui sur ces mecs qui ne veulent pas regarder leur coéquipier tirer un penalty. Ces types-là ne méritent rien d'autre qu'un bon vieux torticolis.
D’où cela vient ?
Un jour, un joueur est allé au cinéma avec sa copine voir un film d’horreur. Apeurée à l’approche d’une scène gore, celle-ci a détourné le regard, enfouissant sa tête dans les bras de son protecteur. Comme par magie, le personnage principal a alors été épargné par le loup-garou zombie qui passait par là et on a donc évité la scène de déchiquetage. Pensant détenir un don, le joueur en question a donc reproduit ce geste lors du week-end suivant, sur un terrain de football. Alors que son coéquipier, qui restait sur cinq échecs consécutifs, s’apprêtait à tirer un penalty, le cinéphile a décidé de tourner la tête. Le penalty entra dans les buts après avoir touché les deux poteaux. Depuis, cet homme est imité par de nombreux joueurs, qui pensent que détourner le regard augmentera les chances de marquer de leur coéquipier.
Pourquoi c’est insupportable
Tout est faux dans cette croyance. Ne pas regarder n’influence en rien le déroulement de la suite. Le scénario du film était déjà écrit, le personnage principal ne se serait donc pas fait bouffer même si la fille avait regardé. C’est pareil pour les pénos : les seuls qui décident de l’issue, ce sont le gardien et le tireur. Ne pas regarder est un simple manque de courage, un refus d’affronter ses peurs en direct. Un peu comme ce père qui ne veut pas assister à l’accouchement de sa femme par peur de voir sortir une horreur qui va lui servir d’enfant toute sa vie. Plus qu’un signe de peur, il s’agit souvent d’une superstition. Et comme les 20 000 tics superstitieux de Nadal avant son service, c’est insupportable.
Qui l’incarne le mieux aujourd’hui ?
Il n’est ni joueur ni gardien. Il est entraîneur et s’appelle Jürgen Klopp. Plusieurs médias anglais, comme le Sun, ont remarqué que le coach de Liverpool aime tourner le dos au terrain quand James Milner place le ballon à neuf mètres des cages. Certes, il prétexte une confiance absolue envers son milieu de terrain et dit préférer célébrer directement avec les fans. Nous ne sommes pas dupes, Jürgen. Tu n’as rien dans le ventre, voilà tout.
Comment faire pour que ça s’arrête
Les joueurs doivent comprendre une seule chose : regarder ou pas n’influencera pas la qualité du tir. Si celui-ci est destiné à être mauvais, il le sera. Pour qu’ils intègrent bien cela, la solution est simple : au moindre détournement de regard, le joueur doit être condamné à regarder un match en entier de l’AS Nancy-Lorraine sans cligner des yeux. Qui a vraiment envie de mourir les yeux rivés sur un 5-4-1 made in Meurthe-et-Moselle ?
Pourquoi ça peut précipiter la fin du monde
Par peur de la médiocrité, les habitués des stades où l’ennui est habituel tourneraient petit à petit le dos lors des actions importantes. Puis pendant tout le match. Jusqu’à ne plus venir du tout au stade. Le cercle est connu d’avance et pas franchement vertueux : un nouveau stade construit pour du beurre qui ne se remplit pas, un club qui fait faillite à cause du manque de recettes engendrées par les ventes de billets, une région frappée par le chômage, un taux de dépression en hausse, une planète qui implose.
L’expertise de…
Thomas Mangani (SCO Angers) « Pour ma part, je suis plutôt du genre à suivre la course du ballon attentivement, pour poursuivre l’action au cas où le gardien repousserait le cuir. Si c’est une séance de tirs au but, effectivement c’est différent, mais je pense que je regarderais quand même. Je peux cependant comprendre que certains veuillent ne pas regarder. Souvent, c’est aussi une façon de mettre du suspense et d’ajouter une touche sympa en apprenant le but grâce à la clameur des supporters. Si c’est moi qui tire, je n’en voudrai pas à mon coéquipier s’il ne regarde pas, je ne prendrai pas ça comme un manque de confiance. Chacun fait comme il veut. »
Jérémie Bréchet, vainqueur de la Coupe de France 2007 avec Sochaux contre l’OM (2-2, 5-4 tab) « J’ai toujours regardé tous les pénos. Même lors de cette séance décisive en finale. Mais je comprends ceux qui le font. Il y a plusieurs profils : ceux qui le font par superstition, car les footballeurs en ont plein, des superstitions. Dans ce cas, c’est à mettre au même rang que les joueurs qui font un signe de croix en entrant sur le terrain, ceux qui mettent la chaussette droite avant la gauche… Autre cause possible : le stress. Nous, footballeurs, aimons bien maîtriser tout ce qui est possible. Et là, comme c’est un autre qui tire, on ne maîtrise rien, donc c’est stressant et on combat ce stress en ne regardant pas. Même si parfois c’est sans doute plus stressant encore que de regarder. Et puis, il faut le dire, il y aussi ceux qui font ça pour l’image : c’est un peu une façon de montrer qu’on est investi à fond, qu’on est stressé, mais qu’on y croit. Ça peut être une manière de se donner un style. »
Alex Dupont, entraîneur de Gueugnon lors de la victoire en Coupe de la Ligue 1999-2000 « Avant la demi-finale contre le Red Star, c’était déjà un truc exceptionnel. On savait que gagner signifiait affronter le PSG en finale. Du coup, tu te dis qu’on ne peut pas rater ça. Pourtant, pendant le match, on a bien failli y passer, le Red Star dominait. On a réussi à égaliser, puis on a joué pour le nul. Au moment où Richard Trivino, le gardien, s’est avancé pour le tir au but décisif, ça s’est fait spontanément : je me suis dit « Celui-là, je ne le regarde pas ». J’avais l’impression de leur porter la poisse, donc je suis rentré au fond du couloir du stade Marville. On jouait à l’extérieur, donc en entendant la déception dans le stade, j’ai compris que c’était bon. Je l’avoue, ce n’était sans doute pas très courageux, c’était plutôt une fuite. Mais je ne regrette rien. La délivrance, c’était qu’il le marque, peu importe la manière, donc je me fiche de ne pas l’avoir vu. »
Coefficient d’irritabilité
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Par Arthur Lejeune