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Les maux grecs en ex-Yougoslavie
La Bosnie accueille la Grèce, ce vendredi soir à Zenica. Une rencontre sous tension après un match aller marqué par les relents nationalistes de supporters grecs et serbes, sur fond de guerre de Yougoslavie.
« Couteau, fer, Srebrenica » . Le 13 novembre dernier, dans les travées du stade Karaïskaki d’Athènes, s’élève un message de haine accompagné d’un drapeau serbe, renvoyant aux pires heures de l’histoire des Balkans. La Bosnie, qui vient défier un adversaire direct dans la course à la qualification pour le Mondial russe, est accueillie comme un pays ennemi par une poignée d’ultra-nationalistes grecs et serbes qui s’enorgueillissent à rappeler le génocide de Srebrenica, où 8 000 Bosniaques furent assassinés en juillet 1995, en pleine guerre de Yougoslavie. Quel rapport entre les Grecs et ce conflit, et pourquoi ce parti pris pour la Serbie ?
« Dans les Balkans, dire que le sport est comme la guerre n’est pas une métaphore » , écrit Gigi Riva dans Le dernier penalty, passionnant récit de l’éclatement de la Yougoslavie à travers le prisme du football. En voisins, la Grèce et ses tribunes ne restent pas insensibles à l’histoire qui se joue à leurs frontières. Après les supporters croates, reçus au Pirée par des cocktails molotov et des jets de fumigènes en octobre 2011, c’est donc une autre ancienne république yougoslave qui s’attire la haine des ultra-nationalistes grecs.
Aube dorée et Armée azur
Quatre ans après le déclenchement de la guerre dans les Balkans, la purification ethnique opérée par l’armée serbe culmine le 11 juillet 1995 avec le massacre de Srebrenica, ville assiégée où 8 000 hommes et adolescents bosniaques, de confession musulmane, seront exécutés. Durant cette période, et au cours de cet acte génocidaire, la présence de plusieurs dizaines de combattants grecs, constitués en une « Garde de volontaires nationalistes » aux côtés des Serbes, a été documentée par les historiens du centre de recherche XYZ Contagion.
Parmi ces volontaires, plusieurs membres du parti néonazi Aube dorée qui se félicite alors de la présence de « patriotes grecs sur le front bosnien » , venus « défendre une Europe blanche, nationaliste, sans juifs ni musulmans » . Si Aube dorée n’est alors qu’un groupuscule insignifiant dans le paysage politique et social grec, il investit progressivement les stades du pays et crée à la fin de l’année 2000 un groupe de supporters dédié à l’équipe nationale : Galazia Stratia, l’Armée azur. Un moyen efficace de véhiculer son idéologie, de constituer une base de sympathisants, et d’organiser autour de cette structure de véritables milices.
Son premier fait d’armes se déroule un an plus tard, en novembre 2001, lorsque plusieurs de ses membres brûlent un drapeau turc devant les bureaux de la Fédération grecque de football pour protester contre la candidature commune de la Grèce et de la Turquie en vue de l’organisation de l’Euro 2008. Viennent ensuite une chasse aux immigrés albanais dans les rues d’Athènes en 2004 – pour se venger d’une défaite de la sélection face au pays voisin, et des saluts nazis dans le stade national le 25 mars 2007 – jour de la fête nationale… Ces nostalgiques de la dictature des Colonels projettent sur la sélection leurs fantasmes de la Grande Idée, et font des rencontres internationales la vitrine de leur xénophobie.
Les « frères » rouge et blanc
Si les soldats de l’Armée azur se montrent plus discrets ces dernières années, le néo-nazisme d’Aube dorée trouve un écho dans de nombreux stades grecs, et le Karaïskaki, antre de l’Olympiakos le Pirée, lui attribue une résonance particulière. Les sulfureux supporters de la Gate 7, les seuls du pays à ne pas avoir dénoncé le meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas – pourtant supporter du Thrylos – par des membres d’Aube dorée, n’hésitent pas à afficher leur proximité avec l’extrême droite nationaliste et xénophobe. Qu’elle soit grecque, ou serbe.
Comme le rappelle Tasos Alevras dans son excellent documentaire What Politica – a non political football story, la Gate 7 de l’Olympiakos et les Delije du club serbe de l’Étoile rouge de Belgrade ont développé de forts liens d’amitié. Pour des raisons d’hégémonie sportive dans leurs pays respectifs, des couleurs identiques – le blanc et le rouge – mais également (surtout) pour des affinités idéologiques : la supériorité d’une race blanche et chrétienne-orthodoxe. Les Delije, dont plusieurs membres créèrent la Garde volontaire serbe, plus connue sous le nom des « Tigres d’Arkan » , trouvent en leurs « frères orthodoxes » grecs un soutien qui se manifeste à chaque occasion. Les provocations du 13 novembre dernier au Pirée, face aux visiteurs bosniens, s’inscrivent en ce sens.
Alors que le siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica vont être retirés des manuels scolaires en République serbe de Bosnie et que la région des Balkans connaît un regain de tension, les nationalismes continuent de souffler dans les stades, attisant les braises d’une poudrière prête à exploser.
Par Alexandros Kottis