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Les maîtres du feu

Par Nicolas Hourcade
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Les maîtres du feu

Des tribunes fermées au Vélodrome, des ultras bordelais exclus de la Meinau... La situation tendue entre ultras et autorités à cause des fumigènes donne une piètre image du football français.

Festival offensif vendredi soir au Vélodrome entre Marseillais et Messins (6-3) : une vitrine idéale pour la Ligue 1. Sauf qu’une partie des tribunes est vide, sanctionnée d’un huis clos par la commission de discipline de la LFP à la suite de l’allumage d’engins pyrotechniques. Victoire amère pour les Girondins samedi soir à la Meinau : après avoir été exclus du stade, les fans bordelais présents en Alsace sont placés en garde à vue. Après leur allumage de fumigènes à Troyes et le feu accidentellement mis à une banderole, le parcage visiteur a été fermé à titre conservatoire par cette même commission pour les matchs des Girondins à Nantes et à Strasbourg, obligeant les préfectures locales à interdire tout supporter bordelais d’accès à ces stades.

Ces sanctions appliquent les règlements et lois en vigueur. Elles posent néanmoins de sérieux problèmes, dont de nombreux observateurs, à commencer par Pierre Ménès, se sont émus. D’abord, les sanctions de la commission interviennent bien tardivement. Moins de 24h avant OM-Metz. Moins de 48h avant Nantes-Bordeaux. Une manière de procéder guère respectueuse des supporters. Une méthode qui contraint aussi les autorités publiques à s’adapter dans l’urgence, en interdisant un déplacement qu’elles avaient prévu d’encadrer et en mobilisant des forces de l’ordre conséquentes pour faire respecter l’arrêté. Ensuite, ces sanctions collectives frappent sans discernement en touchant tous les abonnés d’un secteur du stade, voire l’ensemble des supporters d’un club. Enfin, ces gradins vides et cette expulsion manu militari de supporters offrent une image désastreuse d’un football français qui donne le sentiment de mépriser une partie de son public alors qu’il peine à remplir ses enceintes modernisées et qu’il aurait bien besoin d’ambiances festives pour se vendre à l’international. Et tout ça non pas pour des violences entre supporters ou des incidents entre fans et policiers ou des actes racistes, mais bien pour des fumigènes !

Le cercle vicieux des fumigènes

Depuis une loi de 1993, les engins pyrotechniques sont interdits dans les enceintes sportives, parce qu’ils dégagent une chaleur importante ainsi que des projections et qu’ils peuvent être lancés sur le terrain ou dans les tribunes. La volonté des autorités sportives et publiques de proscrire les engins pyrotechniques se fonde sur cet argument de leur dangerosité et sur la nécessité pour les organisateurs du spectacle d’éviter tout risque. Si la revendication d’une tolérance zéro sur les fumigènes est intellectuellement confortable, elle pose de nombreux problèmes. Depuis un quart de siècle, la politique de lutte contre les fumigènes suit les mêmes principes répressifs.

Pourtant, leur utilisation ne diminue guère dans les virages, elle a même augmenté cette année selon le constat dressé lors du séminaire de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). En effet, les ultras revendiquent l’usage de fumigènes : ils les considèrent comme un moyen festif d’animer les stades et estiment qu’un allumage maîtrisé limite les risques. Les sanctions individuelles (interdictions de stade) ou collectives (interdictions de déplacement, huis clos) ne les freinent donc pas. Ainsi, le football français, comme plusieurs de ses homologues européens, se trouve dans un cercle vicieux entre des ultras affirmant que « la pyrotechnie n’est pas un crime » et des autorités bien décidées à la bannir des stades.

C’est bon, mais c’est chaud

Dès lors, la politique de tolérance zéro produit plusieurs effets pervers. Les ultras allument quand même leurs fumigènes, mais en catimini, pour éviter d’être interpellés, ce qui accroît les risques, alors que cette politique prétend viser la sécurité. En outre, la tolérance zéro ne s’applique pas à tous : contrairement à certains de leurs supporters, ni Jean-Louis Triaud, ni Jean-Michel Aulas, ni Marc Planus, ni Anthony Lopès, qui ont pourtant brandi des fumigènes dans leur stade, n’ont été placés en garde à vue. L’Équipe a cependant révélé samedi que le club lyonnais, en plus de subir un huis clos partiel lors d’un prochain match, risquait d’être poursuivi après les festivités enflammées des trente ans des Bad Gones.

Cette politique est surtout l’un des principaux facteurs de tension entre clubs et ultras. Tiraillés entre la commission de discipline de la LFP et leurs supporters, les dirigeants des clubs se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Ils négocient avec le délégué LFP du match le nombre de fumigènes qui sera inscrit dans le procès-verbal. Ils sont incités à porter plainte contre leurs fans pour réduire les sanctions. Pourtant, certains dirigeants apprécient des spectacles pyrotechniques occasionnels. Car l’hypocrisie est bien là : de nombreux amateurs de football trouvent que les fumigènes contribuent positivement à l’ambiance. Ainsi, une photo de supporters allumant des fumigènes peut aussi bien illustrer un article vantant l’ambiance d’un stade qu’un autre dénonçant les violences des supporters… Enfin, en se focalisant sur les fumigènes, cette politique masque (au-delà des violences qui, selon la DNLH elle-même, sont heureusement minimes) d’autres problèmes plus graves. La semaine dernière, Didier Quillot a prétendu qu’un supporter girondin avait été blessé à la main par un fumigène lors de Bordeaux-OM. En fait, c’était par un pétard, objet difficile à détecter à la fouille et bien plus dangereux. De plus, l’obsession des fumigènes ne doit pas occulter d’autres risques, comme la menace terroriste.

Tolérance zéro contre désobéissance civile

Les autorités peuvent poursuivre leur politique de fermeté sur les fumigènes jusqu’à ce que les ultras se lassent – mais manifestement ils ne se lassent pas – ou jusqu’à ce qu’elles aient exclu tous les ultras des stades. Ou alors, elles peuvent essayer, en travaillant avec les supporters, de trouver des solutions. En s’efforçant d’accorder des espaces de liberté aux supporters tout en ne tolérant pas les débordements inacceptables (violences, discriminations…). En réfléchissant à des allumages de fumigènes encadrés et sécurisés, dans des circonstances bien précises. En testant les nouveaux types de fumigènes sans chaleur qui apparaissent sur le marché. En adaptant les sanctions sportives en fonction non pas du nombre de fumigènes allumés, mais des conséquences sur l’ordre public et des efforts effectués par les clubs.

Concernant les fumigènes, il ne s’agit pas seulement de lutter contre des actes de délinquance. Il s’agit de gérer un conflit social entre des acteurs en désaccord sur les normes en vigueur. Les ultras bordelais théorisent leur transgression des arrêtés d’interdiction de déplacement comme de la « désobéissance civile » . Estimant ces interdictions injustes, ils ont décidé de ne plus s’y plier. L’un de leurs responsables a même affirmé qu’ils étaient des « martyrs » de la cause ultra. D’ailleurs, les ultras strasbourgeois ont soutenu leurs homologues bordelais.

Un dialogue à renforcer

Depuis ce week-end, des voix s’élèvent pour demander l’ouverture d’un dialogue entre toutes les parties prenantes du football. Pourtant, le dialogue n’a jamais été aussi fort, même s’il peine encore à porter ses fruits. Depuis 2016 et la loi « renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme » , les supporters sont officiellement reconnus comme des acteurs du sport. Chaque club doit nommer un « référent supporters » , chargé du dialogue avec les fans. À l’échelle nationale, une « instance nationale du supportérisme » structure ce dialogue : elle met autour de la table clubs, ligues, fédérations, pouvoirs publics, associations de supporters…

Les changements de ces derniers mois à la tête de la DNLH et de la LFP ont permis de rouvrir le dialogue avec les ultras. L’Association nationale des supporters (ANS) a rencontré Didier Quillot et Nathalie Boy de la Tour ainsi qu’Antoine Mordacq, le nouveau chef de la DNLH. Lors du séminaire de cette DNLH, une table ronde était consacrée au dialogue avec les supporters. Le projet d’un atelier d’échange entre policiers et supporters, bloqué depuis 2010 par la précédente direction de la DNLH, s’est enfin tenu les 9 et 10 novembre 2017 au siège de la FFF. Les progrès sont notables. Petit à petit, des clubs nomment de vrais référents supporters. La DNLH sort progressivement de la doctrine du tout-répressif. L’ANS structure les revendications des ultras. Le projet de recréer officiellement des tribunes debout sécurisées montre que LFP, clubs, supporters et pouvoirs publics ont des intérêts communs. Mais cette nouvelle approche du supportérisme, qui prône de concilier répression des comportements graves, prévention sociale et dialogue avec les supporters, suppose une révolution d’état d’esprit.

Prendre un ultra par la main

Dès lors, les progrès sont lents. Par facilité, des préfectures ont recours à des mesures d’interdiction de déplacement pas toujours proportionnées à la gravité des risques. Des clubs traînent encore les pieds à nommer un référent supporters. Certains ultras se complaisent dans une posture de victimes du système, qui correspond à une partie de la réalité, mais qui leur évite parfois d’assumer leurs responsabilités. Parmi les groupes ultras sollicités pour l’atelier policiers-supporters de novembre, plusieurs ont refusé par principe le dialogue avec la police, tout en reprochant à la DNLH de ne pas les écouter. L’instance nationale du supportérisme n’est pas suffisamment exploitée par la ministre des Sports, Laura Flessel, moins sensible à ce sujet que son prédécesseur Thierry Braillard. Qui sait que les premières formations destinées aux référents supporters sont planifiées au printemps ? Qui sait que, à la suite des incidents d’Amiens-Lille, un groupe de travail sur l’accueil des supporters dans les stades a été lancé au sein de l’instance et qu’il va étudier notamment les conditions d’un éventuel retour de tribunes debout sécurisées ?

Enfin, sous prétexte d’indépendance, la commission de discipline de la LFP reste à l’écart de ces réflexions. Pourtant, sa politique de sanctions n’est pas efficace contre les fumigènes, elle ne lutte en rien contre les violences, elle contribue à vider les stades et elle dresse les ultras contre leurs clubs et les autorités. La LFP et les clubs pourraient inciter cette commission à mieux prendre en compte le contexte dans lequel elle sanctionne et les effets de ses décisions. Depuis des années, les fumigènes pourrissent les relations entre acteurs du football. Il est urgent que toutes les parties prenantes, y compris les commissions de discipline, se mettent autour de la table pour traiter ce sujet, pour imaginer des allumages sécurisés et des sanctions plus adaptées en cas d’usage dangereux. Voire pour réfléchir à d’éventuelles évolutions des lois et des règlements.

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