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Les leçons tactiques du premier débat entre Donald Trump et Joe Biden
Tous deux candidats au trône des États-Unis, Donald Trump et Joe Biden se sont opposés dans la nuit de ce mercredi. Leur affrontement, déjà considéré par certains observateurs comme le pire de l'histoire des États-Unis, s'est déroulé dans un climat délétère : coups bas, tacles à la gorge et approximations techniques ont annihilé toute perspective de beau jeu.
Le Bruit et la Fureur est le titre de l’un des meilleurs romans de William Faulkner, qui, s’il avait été toujours vivant, aurait tout à fait pu l’attribuer à une autre histoire de violence, celle de Donald Trump et Joe Biden. Opposés ce mercredi dans un débat présidentiel crucial pour la fin de la compétition, les deux joueurs américains se sont livré un match d’une intensité physique totale et d’une hostilité rare. Dans ces conditions, peu d’occasions à retenir, pas de buts non plus : seul un match nul qui permet néanmoins de voir poindre deux systèmes de pensées radicalement différents, deux styles de jeu que tout éloigne. Retour sur les leçons tactiques du débat Trump-Biden.
Affrontement physique et vide technique
Ce qu’on retient évidemment de ce débat, c’est une tension qui a parfois dépassé les bornes. Ce sont les insultes, les invectives et les gestes hostiles qui ont envenimé la rencontre, pourtant alléchante. De fait, les grands moments du match ne sont pas des points saillants ni des divergences de programme, ce sont plutôt des invectives ou des tacles les deux pieds décollés, bref, pas grand-chose pour satisfaire les puristes ou les « simples » adeptes du jeu. Venant de Trump, en bon Nigel de Jong de la politique, qui a construit sa carrière sur la violence, les intimidations et les humiliations, cela n’est pas bien étonnant : son « Il n’y a rien d’intelligent chez vous », lancé à la face de celui qu’il surnomme « Sleepy Joe », est probablement son tacle le plus cinglant. Mais de façon plus surprenante, Joe Biden, qu’on disait usé par les années et vieilli, n’a pas refusé l’affrontement physique, bien au contraire. L’ex-sénateur du Delaware a profité de l’opportunité pour lui aussi mettre quelques taquets, dont un péremptoire « Vous êtes le pire président que l’Amérique ait jamais eu ». Problème : en voulant tous les deux répondre dans l’impact, les acteurs de la partie en ont oublié de jouer le ballon.
À l’aise dans l’impact physique, Biden attaque Trump, qui réplique, mais se prive d’une occasion de contre-attaque.
Dépassé par la violence des affrontements, l’arbitre de la rencontre, le pourtant très chevronné Chris Wallace, journaliste à Fox News, n’a que rarement réussi, malgré ses nombreux efforts, à donner à la partie des bases saines et viables. Et pourtant, certaines divergences de fond ont pu être décelées : comme prévu, Trump a ainsi peiné à régler les problèmes de l’aile droite de son dispositif et a refusé de condamner avec fermeté certains de ses plus fervents supporters, les suprémacistes blancs, pourtant largement mis en cause dans des débordements en dehors des terrains au cours des derniers mois. Biden, de son côté, et regard tourné vers la caméra, a voulu régaler le public en misant sur la carte du rassemblement et de l’efficacité politique, comme il a toujours essayé de le faire depuis le début de la compétition. Aux endroits les plus cruciaux du terrain, la bataille a été menée, notamment autour de la santé et du plan de couverture Medicare, âprement défendu par l’ancien vice-président d’Obama, violemment tancé par Trump.
Dépassé par la violence des deux acteurs, l’arbitre de la rencontre tente d’apaiser la situation.
Deux styles de jeu, deux échecs
Dans ce débat présidentiel, deux écoles de jeu ont été particulièrement visibles, sans que l’un des deux ne prenne réellement le dessus. Celle du président des États-Unis, « Lone Warrior » autoproclamé, s’est avérée on ne peut plus claire : établir un pressing tout-terrain sur son adversaire, le presser jusque dans ses derniers retranchements et multiplier les tacles, souvent à la gorge. Comme à son habitude, le patron du Republicans FC a tenté de ne pas laisser s’exprimer son rival en interrompant en permanence son expression et en ne le laissant pas respirer. Problème : n’est pas Dimitri Payet qui veut, et le trashtalking et la provocation peuvent avoir des limites, surtout quand dans le camp opposé, le calme, ou du moins la stabilité, subsiste. Pris à son propre piège, épuisé par la répétition des courses et agacé par le constat que ses efforts ne payaient pas, le Dangerous One s’est agacé, en témoignent ses invectives violentes et ses gestes hostiles à l’égard de son adversaire, qui auraient aisément pu lui valoir un carton rouge.
Véhément, Trump harcèle le porteur du ballon et l’empêche de développer son jeu.
Problème, Trump s’agace et perd de vue son plan de jeu. Biden gère.
Alors que son adversaire se désunit à vue d’œil et se rend inoffensif, la défense sereine de Joe Biden a souvent plié (« Ferme-la » / « Il est difficile de dire un mot avec ce clown, excusez-moi, avec cette personne » / « Continue à japper, mon gars » / « Menteur »), sans jamais réellement céder. Non, Joe est resté fidèle à un plan de jeu visiblement beaucoup plus travaillé que celui de son adversaire. Avant la rencontre, des rumeurs qui circulaient dans les tribunes laissaient d’ailleurs entendre que le candidat du Republicans FC n’avait préparé ce match pourtant capital que deux heures à l’avance, contre plusieurs jours voire semaines pour son adversaire du Democrats FC. En tout cas, si le prétendant au trône a pu être déstabilisé en début de partie par l’agressivité du tenant du titre, il ne s’est que rarement désuni. Il en a profité pour placer quelques envolées de belle facture qui n’auront pas manqué de séduire le public américain. Ceci dit, et ce n’est pas un secret, Joe Biden ne maîtrise pas parfaitement l’art du débat : là où un autre aurait pu punir bien plus violemment le président américain, lui s’est maintenu entre deux eaux, pas forcément convaincant et ne gagnant qu’aux points, là où il aurait pu (ou dû) triompher par K.O. Le match retour donnera peut-être enfin la clé de la compétition.
Serein, Biden aurait pu l’emporter s’il avait été plus énergique.
Par Valentin Lutz