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Les leçons tactiques du mondial 2010 des Bleus
En 2006, la France était battue en finale de la Coupe du monde, et Raymond Domenech avait pour mission de construire une génération capable de viser haut quatre ans plus tard, en Afrique du Sud. Pari perdu : en 2010, les Bleus se sont plantés royalement. Visite de l'échec tactique d'une équipe qui n'avait aucun plan.
Un soir de septembre 2008, à Vienne. Raymond Domenech est dans une chambre d’hôtel. Depuis quelques jours, il tangue. Dans son journal de bord, le sélectionneur des Bleus parle de « vertiges », évoque un stress qui le « bouffe de l’intérieur » et sait que la fin est proche. Alors, à la veille d’un Autriche-France qui doit donner le coup d’envoi de la dernière phase qualificative de sa carrière, il écrit :
« Je vais finir par sentir la pression, à la fin. C’est insupportable de se dire que je suis dans la situation du cocu : les gens me regardent et pensent : « Le pauvre, il ne se rend pas compte… » Ils ne peuvent pas imaginer à quel point je m’en fous. Moi, depuis le début, je sais que ce sera une galère. Je n’ai pas le panache de Cyrano, je suis plutôt du genre charognard qui se bat sur tous les morceaux qui restent. J’avais cette flamme, je ne sais pas si je l’ai encore. Je fais mon métier, mais pour protéger, pour ne pas perdre, moins pour conquérir. En rien pour le panache. Ce sera une triste fin. Allez, il reste les matchs. On verra après… » Avant : l’équipe de France sort d’un Euro austro-suisse triste à mourir, marqué par un voyage dans le néant – aucun pressing, aucune structure, aucun liant – contre la Roumanie (0-0), une violente baffe envoyée par les Pays-Bas (1-4) et un scénario catastrophe face à l’Italie (0-2, Ribéry blessé au bout de dix minutes et Abidal expulsé un quart d’heure plus tard). À la suite de ce dernier match, Domenech a demandé Estelle Denis en mariage.
« Je suis très fort pour les suicides », note-t-il, toujours dans son journal. Il y a aussi eu d’autres mots, ceux de Lilian Thuram et Claude Makélélé, deux de ses piliers de 2006, venus lui souffler avant de partir : « Ils n’iront pas loin. Ce sont des inconscients, ils ne voient pas la chance qu’ils ont. » Après : en Autriche, les Bleus sont sèchement battus (3-1), et Raymond Domenech joue son avenir quelques jours plus tard contre la Serbie, au Stade de France. Entre les deux rencontres, il s’accroche avec certains cadres au sujet d’un quartier libre supprimé (Henry et Gallas notamment), voit une partie de son effectif entrer en guerre avec le médecin de l’équipe de France au sujet de l’horaire du petit-déjeuner et ne sait pas trop où il va, si ce n’est dans le mur. Face à la presse, il parle de « l’odeur du sang » et glisse ceci : « Heureusement que les lois d’exception et la guillotine n’existent plus, sinon certains parmi vous se feraient un malin plaisir de m’envoyer sur l’échafaud… » Surprise : la France domine la Serbie grâce à Henry et Anelka (2-1). Mais où vont les Bleus ?
Bonne question, à laquelle Domenech ne peut apporter aucune réponse. Le premier entraîneur de France s’habille en Socrate, avoue savoir qu’il ne sait rien et sauve sa tête dans la crasse. Le 11 octobre 2008, les Bleus sont menés 2-0 en Roumanie après 17 minutes de jeu, Gourcuff va finalement jaillir en seconde période (2-2). Avant le match, Raymond Domenech a réuni ses joueurs et prévient son monde : « J’attends de vous des éclairs dans les yeux. Soyez des tueurs, pas des gentils. Ne me ménagez pas et ne ménagez personne.(…)L’image que nous devons avoir en tête n’est plus celle de 2006, le paysan qui avance sous la pluie avec sa charrette, mais celle d’un soldat devant traverser les lignes sous la mitraille et se méfier des tirs amis : ce sont les plus dangereux… » Drôlement prémonitoire, tout comme les nombreuses notes concernant un Anelka « intérimaire » et à propos de qui le sélectionneur tricolore est cash : « Il ne pèse pas. C’est bizarre, comme impression : il ne sert à rien, mais il a une aura exceptionnelle. On dirait Cantona. » Après un match contre l’Espagne (0-2) en mars 2010, Domenech va plus loin : « À la mi-temps, j’ai tenté d’expliquer pourquoi ça ne marchait pas dans le secteur offensif. La vraie raison, c’est que Nico n’a fait aucun appel sur les côtés. Il ne fait rien, ne tente rien et joue tous les coups à l’envers. » La France n’a aucune allure, galère comme pas possible, mais elle verra l’Afrique du Sud, au terme de deux matchs de barrages terribles face à l’Irlande. Quelques mois avant la foire, Raymond Domenech reçoit une première fois So Foot.
Quel est votre projet de jeu ?Mais c’est quoi un projet de jeu, merde ? Moi, c’est faire jouer les joueurs de manière à optimiser leurs qualités, c’est tout.
Passer six années à la tête des Bleus, ce n’était pas l’occasion d’imposer une patte Domenech dans le jeu français ?Ça aurait été prétentieux. Le style, il est dépendant des joueurs et de la culture des joueurs. Et moi, je prends les meilleurs joueurs. Et pas les meilleures « pour un style de jeu » . Je préfère m’adapter, moi, à la qualité des joueurs. Je pense être capable d’animer une équipe quels que soient les profils des joueurs.
En 2006, Zidane, Makélélé et Thuram décident de revenir : pourquoi ne pas avoir annoncé vous-même leur retour plutôt que de les avoir laissés l’annoncer eux ?Parce que c’est bien mieux.
C’est vous le sélectionneur quand même, non ? Là, c’est comme si vous ne serviez à rien…Il y a un truc qui ne m’a jamais dérangé, c’est qu’on dise que je ne sers à rien. Les gens peuvent bien dire que je suis le roi des cons, que je suis un abruti, que je suis un nul, que les joueurs prennent tout en main, on peut tout dire, j’ai un blindage. Je sais ce qui se passe à l’intérieur, je sais comment on fonctionne et je sais que j’ai une part. Le reste… J’ai mis l’efficacité avant l’image.
D’une certaine manière, c’est aussi cultiver son image.Je ne cultive rien. C’est les plantes sauvages qui poussent, je ne cultive rien du tout, ça plaît, ça plaît ; ça plaît pas, je m’en fous. La critique sans connaître l’intérieur, ça ne m’intéresse pas, c’est comme si je critiquais votre journal alors que je ne sais pas comment ça fonctionne : donc soit j’aime et je lis, soit je n’aime pas et je ne lis pas. Si vous n’aimez pas, ne regardez pas les matchs.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler ce que furent les mois avant le Mondial ? Faut-il vraiment reparler de l’affaire Zahia, des négociations déjà entamées par Jean-Pierre Escalettes avec Laurent Blanc, des longues discussions entre Ribéry et Domenech sur la position du premier (lui ne voulait jouer qu’à gauche, comme 90% du secteur offensif), de la difficile intégration de Yoann Gourcuff, de la forme déclinante de Thierry Henry, des colères d’Anelka, du terrain pourri trouvé en arrivant à Knysna, de l’impossible mariage des générations ? « J’attaquais l’Everest en espadrilles », écrira plus tard Raymond Domenech, bourré de doutes, vidé de certitudes et qui ne cesse d’entendre avoir en sa possession « des talents, mais pas une équipe de talent ». En juin 2010, au moment de poser le pied en Afrique du Sud, troisième phase finale d’une grande compétition de l’ère Domenech, l’équipe de France est alors tout sauf une équipe : c’est un champ de mines.
« Anelka ? Une énigme »
La musique est la même depuis la finale du mondial 2006. Les Bleus sont capables d’étincelles, comme face à l’Italie (3-1) en septembre 2006, mais sont incapables de nourrir un feu. Ils n’ont aucune flamme, pas d’identité et peinent à maintenir une belle allure durant plus d’une mi-temps. Raymond Domenech en est évidemment responsable, mais il n’est pas seul, car sous ses yeux, c’est un paysage tout entier qui change, un monde où les intérêts individuels rognent doucement sur la quête d’une organisation collective. « Puisque tout se valait, rien ne valait grand-chose, et comment dormir paisiblement quand on n’est plus sûr de rien ? » s’interroge le sélectionneur avant la Coupe du monde, et c’est le plus dramatique : Domenech n’est sûr d’aucun plan, d’aucun système, d’aucun joueur, d’aucune doublette.
Et voilà l’Uruguay, au Cap, le 11 juin 2010. Six jours plus tôt, les Bleus ont été battus à La Réunion par la Chine (0-1) avec un Florent Malouda placé en relayeur. Faut-il le réinstaller de nouveau à ce poste à l’heure de commencer le mondial ? Vaste débat, rapidement tranché grâce au fait que le joueur de Chelsea tire la tronche avant la rencontre. Le plan de Domenech face à l’Uruguay est de « jouer avec deux milieux défensifs pour contrôler les décrochages de Forlán » et le technicien décide donc d’installer Abou Diaby plutôt que Florent Malouda. Pas une mauvaise idée, même si l’équipe de France va repartir de ce match avec un 0-0 dans les pattes, comme en 2006 et comme en 2008.
Disposés en 4-3-3 avec Toulalan en pur défensif, Gourcuff en 10 et Diaby chargé de mettre de l’impact et de remplacer Vieira dans l’arrachage de lignes, les Bleus sont pourtant loin d’être ridicules au Cap. Problème : ils avancent en ordre dispersé et se retrouvent souvent découpés dans un drôle de 6+4. Ce France-Uruguay est un match étrange, où Hugo Lloris et Fernando Muslera ne cherchent pas à relancer court et où le rythme est faiblard. Dès les premiers ballons touchés par Évra, on comprend que l’idée centrale, comme en 2006, est de rapidement chercher la profondeur et donc ici Nicolas Anelka. Reste qu’Anelka n’est pas Thierry Henry et que son dézonage permanent va être rapidement un casse-tête : en décrochant systématiquement pour venir toucher des ballons dans le cœur du jeu, l’attaquant de Chelsea vide automatiquement une grande partie de la substance offensive de l’équipe de France sans améliorer leur créativité.
Chez les Blues, Carlo Ancelotti appréciait de voir le Français dans ce rôle – « Ça apporte de la variété, ça t’ouvre des espaces… » –, mais chez les Bleus, ça ne prend pas, Govou n’ayant pas le poids de Drogba. Autre problématique à gérer pour Domenech : le fait qu’après une première occasion pour Sidney Govou (7e) consécutive à une bonne percée de Ribéry côté gauche, l’Uruguay va se replier sur son but.
Après avoir débuté en 3-4-1-2, la Celeste va davantage prendre la forme d’un 5-2-1-2 pour avoir deux hommes (Victorino et Maxi Pereira côté droit, Godín et Álvaro Pereira côté gauche) sur chaque ailier tricolore. Conséquence : la France se retrouve rapidement dans l’impossibilité de jouer dans la profondeur, et le temps offert à la doublette Toulalan-Diaby pour lancer les circuits ne sert finalement pas à grand-chose. Les Bleus sont enfermés dans un 7 contre 4 aux abords de la surface uruguayenne et il est très difficile de se sortir de ce piège stratégique.
Si l’équipe de France est en place défensivement, elle reste un chantier offensif à ciel ouvert où Yoann Gourcuff enchaîne les contrôles approximatifs, où Franck Ribéry cherche à faire la différence en solitaire et où Anelka et Govou se marchent sur les pieds. Preuve à la 21e minute, lorsque sur un long ballon d’Abidal, les deux joueurs vont ensemble à la tombée du ballon. Dans l’idée, Nicolas Anelka doit dévier pour ouvrir des espaces pour Sidney Govou, mais rien ne prend malgré les excellentes percées au milieu d’un Diaby décomplexé. À la demi-heure de jeu, la situation va faire exploser Raymond Domenech sur son banc, lorsque, sur une ouverture du milieu d’Arsenal, Anelka va se déplacer sur la trajectoire et être signalé hors jeu, alors que Govou filait au but.
Dans son carnet, Domenech met ses mots sur les maux : « Anelka : une énigme. Rien. Il ne se passe rien. Quatre matchs de suite comme titulaire et pas une occasion construite. Il ne fait rien pour les autres et rêve de dribbler tout le monde pour aller marquer seul. Il ne donne jamais un ballon en première intention. » Surtout, Nicolas Anelka ralentit le jeu des Bleus, tout comme Gourcuff. Ainsi, comment être dangereux ? Sur un coup franc excentré du meneur bordelais (18e), sur quelques tentatives lointaines de Diaby ou de Malouda en fin de match (80e). La chance, ici, c’est que l’Uruguay avance avec une ambition molle. Cela s’explique notamment par la position d’Ignacio Gonzalez, souvent situé entre les centraux français, ce qui forcent Forlán et Suárez à s’écarter énormément et donc à ne pas vraiment combiner. Malgré tout, la Celeste va obtenir une grosse occasion en début de match grâce au non-respect des distances d’un Gallas en début de naufrage, mais heureusement, Hugo Lloris s’interpose parfaitement devant Forlán (16e). Dans les faits, la France et l’Uruguay vont s’annuler pendant 90 minutes, mais on se dit que le plan de Domenech était le bon, car un 4-4-2 trapèze aurait conduit à un désavantage numérique au milieu (un trois-contre-deux avec les quelques décrochages de Gonzalez). Globalement, les Bleus ont « dominé » cette rencontre, ont tenu le ballon, ont plus tenté, mais auraient pu se faire punir en fin de match sur une touche de Pereira côté gauche, au bout de laquelle Luis Suárez a déposé Gallas et trouvé un Forlán maladroit (73e). L’expulsion de Lodeiro après un gros taquet sur Sagna en fin de match ne va pas changer grand-chose, Toulalan étant alors laissé plus libre, mais n’ayant pas les capacités pour accélérer la construction du jeu français. France 0, Uruguay 0 : Domenech ne s’est pas planté dans le plan, mais il sait qu’offensivement, il n’ira nulle part avec de tels éléments.
Puis le suicide
Un an après le Mondial, il s’installera de nouveau durant quelques heures avec deux journalistes de So Foot.
Est-ce que vous pensez qu’à un moment donné, les joueurs n’avaient pas confiance les uns dans les autres ?Parfois, ils n’avaient pas confiance en eux. Ils sont un peu craintifs, ils ne se libèrent pas. Il y a toute une pression. Jouer en équipe de France, ce n’est pas jouer le match chamallow du samedi après-midi avec un club de DH. Tu as un wagon de joueurs qui ont à peu près les mêmes qualités, tu n’en as que quelques-uns qui arrivent à passer ce palier psychologique, et d’autres qui coincent. À un moment, tu as l’impression qu’ils peuvent, mais ils restent en dedans.
La vérité, c’est que vous n’avez jamais réussi à trouver une réponse à la question posée par le replacement systématique d’Anelka qui voulait toucher le ballon.Bah si, la réponse, on l’avait.
Non, on ne l’a pas eue, finalement.Elle ne s’est pas développée, mais la réponse était bonne. On l’a eu à tous les matchs, ce système-là, ce problème-là, d’occupation synchronisée des espaces. Ce n’est pas simplement Nico. C’était Flo sur le côté, c’était Ribéry, c’était tous. Le plus important, c’est ça : comment synchroniser l’ensemble des mouvements. Christian Gourcuff en a fait l’une de ses théories préférées. C’est la base. Et qu’est-ce qui l’empêche, la synchronisation des déplacements? Déjà, c’est la qualité de tes pièces. Il faut des pièces qui ne vont pas péter à la première accélération. Et puis la qualité de tes rouages, enfin de l’huile que tu mets. Et l’huile, c’est : t’es bien physiquement et t’es bien psychologiquement. T’as envie d’être avec tes copains et t’as envie de faire quelque chose, tous ensemble. Une équipe qui fonctionne bien, c’est ça. C’est pas un hasard si les équipes qui tournent bien, ce sont celles qui ne bougent pas trop, qui ne changent pas trop leurs joueurs. Même si elles paraissent un peu moins bonnes, elles ont toujours ce petit truc d’avance qui fait que ça marche. Mais attends, on a fait des séances d’entraînement, les veilles, les avant-veilles de match… Des séances de rêve. Des séances où tout fonctionnait. La veille de France-Mexique, on a fait une séquence sur deux organisations différentes : une avec Nico devant et une autre avec Titi. Je peux te dire que celle que j’ai mise au départ, on a fait vingt minutes, ça a été un bonheur. C’était exactement ce qui devait marcher pour jouer les Mexicains, il fallait aller dans la profondeur…
Le problème en 2010, alors : la synchronisation ou le fait que les joueurs ne voulaient pas courir ?C’est un ensemble de trucs. Un ensemble de trucs qui fait qu’au lieu d’être ici, le latéral démarqué, prêt à sortir, il est là (il montre une position quinze mètres derrière) parce qu’il se dit : « Putain, si on se fait contrer… » Contre les Mexicains, on a eu une angoisse tactiquement parce qu’eux, ils jouaient avec trois mecs devant, nous, avec quatre mecs derrière sur la largeur. Le débat qu’on a eu, c’est : qu’est-ce qu’il faut faire dans cette situation-là ?
17 juin 2010, Polokwane : le cimetière des Bleus. Quatre jours plus tôt, sur le plateau de Téléfoot, Yoann Gourcuff s’est défendu sur une question au sujet des problèmes offensifs de l’équipe de France : « C’est parce que le bloc n’est pas remonté assez vite et n’a pas donné de solutions… » En seconde période face à l’Uruguay, Domenech a pourtant demandé à ses latéraux, notamment Évra, de grimper d’un cran, ce qu’ils ont fait. Pour régler les failles de son onze, le sélectionneur français décide d’installer Ribéry en 10, comme face aux Pays-Bas en 2008, et hésite longtemps : Henry ou Anelka ? Gourcuff ou pas Gourcuff ? Pas Gourcuff, déjà, puisque personne ne veut combiner avec lui et parce qu’il ne semble pas être prêt à devenir le leader technique de cette génération. Anelka, ensuite, par intuition. Analyse post-échec de Domenech : « En rembobinant dans ma tête le film de ce fiasco, en remontant vers les origines de ce monde en ruines, en refaisant et défaisant l’histoire du naufrage, j’ai fini par identifier ce qui nous avait conduits dans le mur, l’équipe de France et moi. Cette nuit-là, j’ai écrit : « Cela se résume, en fait, à deux cas ayant pollué le groupe. Trois, peut-être, qui sont liés. Entre Anelka et Henry, qui aurait été le plus solide, le plus utile ? Maintenant, je le sais, c’est facile : ce n’était pas Anelka. Il a uniquement joué sa carte personnelle, comme toujours ; et tu le savais, Raymond, tu le savais… L’autre cas, c’est Ribéry. Vu la manière dont il s’était comporté en Serbie (1-1) lors de son entrée, que pouvais-je attendre de plus de lui ? Il est semblable aux deux autres : tout tourne autour de leur nombril. Quand tout marche, ils marchent avec les autres, mais ne sont pas des moteurs ; ils ne font pas tourner l’équipe, mais lorsque ça coince, ils sont les premiers à quitter le navire. » »
Voilà le onze posé face au Mexique : une défense inchangée, un milieu Toulalan-Diaby-Ribéry et un trident offensif Govou-Anelka-Malouda. En face, Javier Aguirre a la banane, puisque sa troupe n’a rien à perdre et tout à gagner après son nul face à l’Afrique du Sud (1-1). Surtout, il tient une bande de potes entre les doigts et un effectif prêt à crever avec le sourire aux lèvres. D’entrée, le Mexique explose dans tous les sens et fait énormément souffrir l’équipe de France, rossée par l’intensité imposée par son bourreau.
C’est la rencontre entre une équipe qui maîtrise son approche sur le bout des doigts et une autre qui cherche à improviser en permanence. À ce petit jeu, évidemment, les Bleus tombent. Tactiquement, cela commence par la gestion difficile du cas Guillermo Franco, qui décroche énormément, fait donc automatiquement sortir un central français et vient se replacer, en phase défensive, autour de Toulalan. Résultat, le milieu tricolore se retrouve systématiquement en infériorité numérique et enfermé dans une petite prison mexicaine (un 4 contre 3 parfaitement tenu). Première alerte après deux minutes de jeu : après une bonne remise de Franco, Torrado lance Giovani dos Santos entre Sagna et Gallas… La frappe du jeune ailier vient cogner le poteau, mais il est hors jeu : ouf.
Simple avertissement et retour de bâton, six minutes plus tard. Là où Anelka balance un coup franc dans les tribunes, Márquez profite de l’alignement catastrophique de la défense française pour lancer Carlos Vela, dont la tentative est complètement dévissée. Symbole parfait du suicide tricolore en cours, cette séquence montre l’échec complet de l’approche de Domenech, dont l’arrière-garde est placée extrêmement haut. Il y a donc cette occasion de Vela, puis une autre pour Franco quelques minutes plus tard, mais il y a surtout ces passes foireuses d’Évra (5e) et Gallas (14e) pour Hugo Lloris.
Le commentateur de la rencontre pour la télévision mexicaine se poile et hurle en français : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il se passe ?!!! » Rien, ce ne sont que des funérailles sportives. Offensivement, la France galère toujours autant, Malouda essaie de faire la différence tout seul, personne ne comprend les déplacements d’Anelka, chaque percée intérieure est avortée par une intervention mexicaine… Le Mexique brille également entre les lignes et submerge systématiquement les Bleus grâce aux montées de ses latéraux : ce soir-là, Carlos Salcido a sans aucun doute livré le meilleur match international de sa carrière. C’est de lui que partent tous les circuits mexicains, et à la 27e minute, il est de nouveau trouvé entre Sagna et Govou avant de profiter d’un Gallas de nouveau à la ramasse au niveau des distances (il défend en reculant sur l’action) et de buter sur Lloris.
La chute n’est qu’une question de temps et va être totale. À la pause, Anelka insulte Domenech, qui décide de le sortir et de faire entrer – une erreur – André-Pierre Gignac. Quelques mois plus tard, il avouera qu’il aurait dû relancer Thierry Henry à cet instant. En réalité, on s’en fiche, car les Bleus ne vont jamais réussir à sortir de leur camp et vont se flinguer défensivement, grâce à Gallas, fébrile comme rarement, et surtout Abidal, en retard dans ses interventions et pour jouer le piège du hors-jeu. L’ouverture du score va alors être aussi improbable qu’enfantine : à la 64e minute, Chicharito est trouvé entre les lignes et peut remettre facilement pour Márquez. Sprint lancé, le capitaine mexicain lance le jeune buteur qui va alors profiter d’un alignement affreux d’Abidal, qui lui laisse quarante mètres d’avance pour aller battre Hugo Lloris. Puis, il y aura cette occasion de Barrera, face à un Évra qui a défendu à l’envers sur plusieurs séquences, qui va être ensuite descendu dans la surface par Abidal. Merci, au revoir (0-2).
Jonglage et échafaud
Noël Le Graët appelle alors Raymond Domenech : « Raymond, terminez la Coupe du monde par des buts. Après, ce sera le grand balayage… » L’équipe de France n’a montré aucun esprit, a reçu une leçon d’un Mexique libre et offensif, assez similaire au Chili de Bielsa dans l’approche, capable de jongler entre le 3-4-3 et le 4-3-3 avec l’aisance d’un équilibriste, et n’aura fait que subir. C’est une compétition vide de sens, de substance et de vie. Domenech rêvait d’appliquer les conseils de Cruyff, auprès de qui il a effectué un jour un stage à Barcelone au moment de passer ses diplômes d’entraîneur, il n’en a rien été.
Raymond, si les joueurs français sont si forts que ça, s’ils sont aussi bien préparés, s’ils sont si nombreux dans les grands clubs figurant encore en Ligue des champions, alors pourquoi l’équipe de France joue-t-elle comme « elle peut » et pas, par exemple, en pressant à la perte en faisant ensuite circuler le ballon rapidement ?Parce que le sélectionneur n’est pas bon.
Après la défaite face au Mexique, Domenech est rentré à Knysna avec ses joueurs. Là encore, il a écrit : « C’est l’appel. L’appel de la curée. Nous avons perdu et c’est sans espoir. On a senti une équipe incapable de se transcender et j’y suis certainement pour quelque chose. C’est évident. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus minant, se dire que l’on s’est trompé, totalement. Mais où ? Comment ? Je vais essayer de trouver, ce matin, dans le désordre le plus complet. Je suis dans le trou, vidé, laminé, épuisé. Le téléphone sonne de messages de soutien, mais je n’ai même pas envie de répondre. Nous sommes rentrés à cinq heures du matin. Ce n’est pas l’idéal pour préparer un troisième match qui aurait dû être décisif. Mais il ne l’est pas. Il ne l’est plus. »
Avant l’Afrique du Sud, il y aura évidemment l’exclusion de Nicolas Anelka, la grève, le scandale. On ne parle plus de foot, mais d’un crime contre la nation. Pour ce dernier match, Domenech se contente donc de bricoler. Clichy est préféré à Évra, Squillaci prend la place d’Abidal, Alou Diarra celle de Toulalan, Gignac est installé côté droit, Gourcuff reprend l’axe, Ribéry se place à gauche, Djibril Cissé est en pointe… Le système, lui, est conservé. Que garder de cette rencontre ? Les quelques espaces croqués par Gignac, gommés par son manque de réalisme ? L’expulsion de Gourcuff qui va saloper toutes les grilles d’analyse ? Le nouveau but concédé sur coup de pied arrêté ? Non, on retiendra que cette fois encore, Domenech a hésité, a lancé Govou bien trop tard et n’a rien fait pour changer l’ordre de la rencontre, même si Malouda, entré à la pause, réduira le score à vingt minutes de la fin (1-2). « J’étais usé. Pendant que je flottais, le staff m’a convaincu de faire entrer Henry, alors que j’avais expliqué avant la rencontre que je préférerais encore mettre Réveillère avant-centre. Mais la messe était dite, ils ont eu raison, c’était son dernier match, c’était contre l’Afrique du Sud, comme pour sa première sélection. Un moment important pour son histoire. La mienne, moi, me conduira sur l’échafaud. » Les Bleus, eux, se sont encastrés dans le mur.
Par Maxime Brigand
Propos de Raymond Domenech issus de Tout seul et des numéros #65 et 87 de SO FOOT.