- Espagne
- Liga
- 9e journée
- Real Madrid/FC Barcelone (3-1)
Les leçons tactiques de Real – Barça
Le Real Madrid aurait pu finir par l'emporter 6-1. Mais le Barça aurait pu aussi mener 0-2 au bout d'une vingtaine de minutes. Alors, faut-il vraiment se concentrer sur le résultat final ? Carlo Ancelotti et Luis Enrique ne vont-ils pas retenir autre chose que le gain et la perte de trois points ce soir ?
D’un côté, le Real Madrid est en train d’essayer de retrouver « l’idée de jeu » qui lui avait permis de filer vers la Décima, malgré les immenses changements du mercato, les divers épisodes traversés par Casillas, et le destin des Ultras Sur. Isco peut-il vraiment faire du Di María ? À quoi sert James ? La paire Modrić-Kroos peut-elle jouer seule contre n’importe qui ? Ancelotti a enfin dit oui. Malgré la rumeur Khedira, c’est bien une formation offensive, joueuse et ambitieuse qui se présente à Chamartín, comme à Liverpool. De l’autre côté, le FC Barcelone vit un début de saison d’études et d’examens ratés. L’objet de recherche ? L’équilibre entre le profit offensif d’attaquants merveilleux, et une fluidité de jeu reposant sur un pressing qui ne peut pas se faire à trois milieux. Pour cela, Luis Enrique a semble-t-il mis fin à l’utilisation de deux latéraux offensifs et donné plus de responsabilités à Mascherano. Cohérent. Tout comme l’auraient été la titularisation de Rakitić ou le placement d’Iniesta dans le trio d’attaque. De toute façon, depuis Guardiola (6-2), aucun entraîneur fraîchement arrivé n’avait remporté son premier Clásico de Liga joué dans l’antre adverse (Mourinho 0-5 ; Vilanova 1-2 ; Ancelotti 1-2).
Le premier but est l’œuvre du trident de rêve, ou du trident impossible, selon ce qu’écrira l’histoire : un rush de Messi, une transversale de Suárez et un numéro de Neymar. Messi commence dans l’axe, puis bouge à droite pour aller provoquer Marcelo. Suárez commence à droite, puis change aussi. Neymar reste à gauche, sans toutefois défendre énergiquement son couloir. Difficile d’imprimer un pressing haut avec autant de mouvements. D’ailleurs, Messi, Iniesta et Neymar se retrouvent vite pénalisés par des jaunes tactiques péchés en transition. Il faut noter que le Brésilien joue souvent de dos pour faire remonter le bloc, ce qui aurait paru tactiquement absurde à l’époque de Guardiola. Tout aussi absurde que la capacité de Piqué à dégager ce ballon qu’il aimait conserver avec tant de sang-froid. Mais le trio offensif brouille les pistes, s’intercale entre Modrić-Kroos et Pepe-Ramos et captive l’attention en début de match.
« L’idée de jeu » d’Ancelotti
En vingt-deux minutes, deux assists de Suárez auraient pu vouloir dire 0-2. La première période n’a pas dû satisfaire tactiquement Carletto. « Comme idée, c’est ce que je veux. Nous sommes en train d’essayer d’améliorer l’idée de l’an passé et en ce moment on s’en sort bien » . Cette phrase sortie en conférence de presse ne peut être qu’une référence au magnifique jeu de contre déployé en deuxième période sous l’impulsion des superbes choix de Benzema. Et la première mi-temps ? Avec une telle composition, chez lui, le Real aurait pu avoir plus d’options pour concevoir le jeu, abandonnant finalement la balle aux jolies manœuvres de Xavi. L’ouverture du score a certainement eu son rôle à jouer, mais Modrić et Kroos ont eu l’air plus préoccupés par les mouvements entre les lignes du trident adverse que par l’impression d’une circulation de balle au rythme soutenu. À la mi-temps, les trois axiaux Kroos, Modrić et Isco (qui rentre dans l’axe pour que Marcelo puisse monter) ont touché le même nombre de ballons que les seuls ailiers James et Marcelo (74). Dans sa forme actuelle, le milieu Iniesta-Xavi-Busquets aurait pourtant capitulé. Devant, Benzema ne trouve donc pas d’appui. Alors, Ancelotti n’arrive pas ou Ancelotti ne veut pas ?
Le retour de Barcelone la rebelle
Barcelone a toujours été différente, créative, insolente, révolutionnaire. C’est une éternelle deuxième insatisfaite. C’est une rebelle. Et après des années de politiquement correct, que la ville a retrouvé des couleurs qui lui vont mieux. Voilà El Pistolero, son maté et ses crochets. À chaque prise de balle, l’uruguayen dégage une impression sauvage : une transversale instinctive, des courses travaillées, des feintes inventées sur place. Alors que Sergio Ramos était soulagé de voir Diego Costa partir en Angleterre, voilà Suárez qui débarque. Aux côtés de l’insolent Neymar, du caudillo Mascherano, du revanchard Mathieu et des autres artistes, cet effectif adopte des airs qui rappellent l’époque des Hollandais, de Ronaldo ou Stoichkov. Messi nous propose d’ailleurs sa version la plus rosarina : dribbles ivres face au reste du monde, confiance en soi démente et fracas. Enfin, ce groupe est mené par un modèle : Luis Enrique, le traître, l’asturien, l’impulsif. Et comme toujours dans les belles histoires, les rebelles ont toujours une longueur d’avance sur les forces de l’ordre. Enfin, au début.
C’est quoi, l’envie de gagner ?
En conférence de presse, Ancelotti déclarera en fin de match que son équipe a gagné parce qu’ « en deuxième période, elle a voulu gagner » . Une façon simple d’expliquer l’inexplicable : pourquoi est-ce toujours ce Real qui marque les buts décisifs sur coup de pied arrêté ? Pourquoi est-ce toujours ce Real qui se crée plus de situations dangereuses sans avoir besoin de créer plus de jeu ? Cette volonté, pouvant être aussi perçue comme un savoir-faire, se caractérise en première mi-temps par les tirs de Cristiano et Benzema (4 et 3). Ou par ce corner religieusement brossé par Toni Kroos. Alors que le côté droit Dani Alves-Piqué laisse passer systématiquement Marcelo (d’où le besoin de l’aide de Rakitić), les ballons se multiplient dans la surface. Une possible main, puis une vraie main et un pénalty, une transversale de Benzema, et des tirs contrés de James. Un Madrid volontaire plutôt que que virtuose. En face, peut-être que le Barça n’a pas envie de gagner, mais de jouer.
Alors, il joue. Xavi aura livré une heure à créer des triangles comme à la belle époque. 59 minutes, 59 ballons touchés, 52 passes. Seulement, le jeu du Real ne se compte pas en passes, mais en occasions. Et avec un pressing aussi faible, chaque possession barcelonaise est une nouvelle occasion de contre-attaque pour le Real. Chaque corner, aussi. Luis Enrique peut-il vraiment récupérer l’intensité de 2009-2011, avec Xavi et Iniesta au milieu ? Porté par l’avantage au score, le pressing madrilène s’intensifie après le but de Pepe. Isco, Carvajal, Modrić et James aspirent les ballons. Derrière, il faut les multiples sauvetages au sol du Jefecito Mascherano pour garder le Barça en vie. Devant, Luis Suárez occupe l’axe comme un vrai numéro 9, et il faut ses contrôles orientés pour faire accélérer un Barça en recherche constante d’espaces. Messi, lui, a longtemps semblé ailleurs. Pourtant, Luis Enrique souhaitait lui réinventer un rôle pour mettre en valeur sa vision du jeu…
« Ils vivent grâce aux contres » ?
Peu importent les évolutions, Xavi n’a pas changé. « Ils vivent grâce aux contres » , déclare-t-il en analysant la défaite. Piquée, Madrid sursaute et se vexe, avec les yeux rouges de Pepe : « Ce n’est pas vrai, nos supporters ont fait des olé » . Dans le vertige de ce Bernabéu fièrement suspendu au-dessus de la Castellana, le Barça répète que son projet de jeu est toujours le même alors qu’il devient de plus en plus vertical, du fait des accélérations de Neymar, du jeu vers l’avant de Rakitić et bientôt de Suárez. En face, le Real est toujours aussi vertical mais prend le soin de se classer de plus en plus dans la catégorie des équipes joueuses. Parce que Modrić à la place de Khedira, parce que Carvajal à la place d’Arbeloa. À défaut d’avoir mis en place un collectif réellement constructif, le Real a entrepris le chemin qu’il connaît le mieux : acheter des joueurs constructifs. Depuis Mourinho, Ancelotti n’a pas changé d’ « idée de jeu » . Et il a eu raison.
Par Markus Kaufmann
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