- C1
- 8es
- PSG-Manchester United (1-3)
Les leçons tactiques de PSG-Manchester United
Sous le rythme des chants incessants d’un Parc des Princes désenchanté, l’opportunisme calculateur du Manchester United de Solskjær s’est vu offrir sa qualification au terme d’un scénario aussi arbitraire qu’invraisemblable. Dominateur dans le jeu, le Paris Saint-Germain de Thomas Tuchel a livré une prestation qui invite à explorer la frontière qui sépare et réunit les influences de la maîtrise tactique et de la gestion mentale au cours d’un match de football. Analyse.
Malédiction : état de malheur inéluctable qui semble imposé par une divinité, un sort maléfique, jeté sur un individu ou une communauté, ou le destin. Désillusion : sentiment produit lorsqu’un individu se rend compte que la réalité est différente de ce qu’il avait imaginé, et ce, au terme d’un processus détruisant progressivement une illusion.Ce jeudi matin, le peuple parisien se réveille d’un effroyable cauchemar, noyé sous les mains cruelles de ces deux concepts qui partagent le quotidien de la souffrance du supporter de football. Comment analyser le processus du jeu quand il se résout à laisser l’arbitraire décider du résultat final ?
Il y a trois semaines, l’escouade de Thomas Tuchel revenait d’Old Trafford avec un triple trésor. D’une part, une performance tactique digne de ce stade de la compétition, avec une gestion mûre du rythme de la rencontre, un but sur coup de pied arrêté, comme les grands, et un autre but sur une action accomplie, comme les grandioses. D’autre part, Paris semblait avoir vaincu son duel contre la peur de l’Europe, en allant jouer sa propre partition à l’extérieur. Enfin, le tout était couronné par un résultat autoritaire : 0-2.
Le plan de jeu de Tuchel
Contre Naples, Paris ne pouvait pas perdre. Contre Liverpool, Paris devait gagner. Hier soir, pour la première fois, la formation de Thomas Tuchel avait le luxe de choisir son match. Par respect pour l’identité offensive du club, par éthique de travail pour aller dans le sens des huit mois de travail réalisés par le staff et le groupe jusque-là, ou par principe esthétique – « ma philosophie est esthétique, et l’esthétique appliquée au football, c’est le contrôle du ballon, le rythme, l’attaque à chaque minute » –, Paris fait le choix de « jouer son jeu » . Tuchel déploie donc le 3-4-2-1 du match aller, pour contrôler la possession et dominer la rencontre, qui retrouve la forme d’un 4-4-2 en phase sans ballon.
Le plan de jeu de Solskjær
N’ayant pas les footballeurs ni les idées pour prendre la direction du scénario, Ole Gunnar Solskjær fait le choix de l’organisation, de la patience et de la réaction. Deux objectifs : marquer vite, et survivre jusqu’aux dix dernières minutes. En l’absence de son meneur Pogba, du métronome Matić, de l’équilibriste Herrera, de l’énergie verticale de Lingard et des différences individuelles de Martial – c’est-à-dire les éléments qui ont construit l’animation offensive mancunienne de ces trois derniers mois –, le Norvégien s’en remet à un 4-4-2 à plat classique. Une formation que l’Europe pourra observer uniquement en phase sans ballon, d’ailleurs, puisque l’équipe anglaise n’est pas venue pour jouer avec. L’audace. Éric Bailly se place en arrière droit et pousse Ashley Young en position de lanceur de contres sur le côté droit. Le milieu est complété par des remplaçants : Fred, McTominay et Pereira. Devant, Lukaku et Rashford ont la mission de transformer des cailloux en bijoux.
Le processus et le résultat
Moqueur, le jeu semble adorer nous faire croire à ses raisons avant de rompre brutalement nos illusions. Tout-puissant et infini, le football aime remettre en question notre entendement. Ici, heureusement, le défi est seulement de raconter et de (tenter de) comprendre la descente aux enfers parisienne.
Relisons l’entraîneur espagnol Juanma Lillo dans The Blizzard : « Vous ne pouvez valider un procédé à travers ses résultats. L’être humain a tendance à vénérer ce qui se finit bien, pas ce qui a été bien fait. On critique ce qui finit mal, et pas ce qui a été mal fait.(…)Le même procédé peut avoir des conséquences différentes, et parfois les mêmes conséquences viennent de causes complètement différentes. Le Bayern était une grande équipe à la 90e minute de la finale en 1999, et à la 92e minute, ils étaient nuls. Comment est-ce possible ? » Lillo poursuit : « Le truc, c’est qu’une fois que tout est terminé, on est tous des génies. Je les appelle les prophètes du passé, ceux qui jugent les processus à la seule lumière du résultat final. » Ce matin, toute l’Europe juge le projet sportif parisien à la lumière de ce penalty cruel. S’il n’avait pas été sifflé, elle rigolerait grassement du football développé par le projet millionnaire de Manchester United. Ainsi, pour faire le tri entre l’analyse du processus, des faits de jeu, de la maîtrise tactique et de la gestion mentale d’une telle rencontre, découpons l’analyse en cinq phases et trois faits de jeu :
– Premier fait de jeu : Lukaku (2e) – La réaction parisienne (3e-12e) – La domination et les regrets (13e-29e) – Deuxième fait de jeu : Lukaku (29e) – Le retour de la peur, la gestion d’un temps faible (30e-45e) – Faux rythme et fausse domination (46e-70e) – Les changements, le trompe-l’œil et le bouquet final (70e-99e)
Premier fait de jeu : Lukaku (2e)
Dès la première minute, après une première faute rose de Fred sur Di María, une mauvaise passe en retrait de Thilo Kehrer invite Lukaku à découvrir un premier diamant : interception, esquive de Thiago Silva, puis Buffon, superbe tacle glissé au ras du poteau et déjà 0-1 après 1 minute et 51 secondes.
Le PSG impose son jeu (3e-12e)
Après une nouvelle perte de balle de Kehrer à la 3e minute, Paris met enfin le pied sur le ballon (tactique) et sur le match (mental). La rencontre se transforme en attaque-défense, et Paris trouve vite des espaces. Sous le rythme des prises de balle de Verratti, la paire d’ailiers Di María-Bernat enchaîne les appels dans la profondeur et détruit la protection de Bailly et Young sur le côté gauche. À droite, Dani Alves dicte brillamment le jeu, mais les mouvements de Draxler sont moins incisifs. Derrière, la « structure » chère à Tuchel fonctionne : Kimpembe et Kehrer entrent tour à tour dans le camp adverse pour porter le jeu parisien aux portes de la surface de Lindelöf et Smalling. Marquinhos, lui, se retrouve dans son rôle du match aller et parvient à accélérer le jeu d’une aile à l’autre quand le jeu le demande. Le pressing parisien, emmené par Verratti, est implacable. La structure supporte donc l’intensité.
C’est finalement par la droite qu’une inspiration de Dani Alves fait sauter l’organisation de Solskjær : collé à un Di María qui fait ses lacets (drôle de diversion), Mbappé se lance dans la « profondeur » et centre au second poteau, où Bailly a oublié de suivre Bernat. 1-1.
L’occasion manquée (13e-29e)
Le quart d’heure qui suit laisse des regrets aux Parisiens. D’une part, l’animation offensive parisienne prend aisément le dessus sur l’organisation mancunienne. Di María domine l’aile gauche, et les mouvements constants de Mbappé et Draxler devant la surface empêchent les Anglais de trouver leurs repères au marquage : Smalling et Lindelöf repoussent les centres, mais ne peuvent rien faire face aux courses dans les demi-espaces. Au milieu, alors que Lukaku et Rashford se placent devant Verratti et Marquinhos pour les empêcher de recevoir le ballon directement des pieds de Thiago Silva, et pressent de temps à autre, le capitaine parisien ne manque pas une relance et trouve sans peine Dani Alves à droite ou Di María et Bernat à gauche pour faire respirer le jeu. Comme à l’aller, Paris maîtrise sa prestation, et les situations dangereuses se multiplient. Mais Alves manque sa volée, Bernat tire sur De Gea, et Mbappé se montre maladroit sur ses déviations. Des occasions manquées que la C1 ne pardonne pas. De l’autre côté, Manchester lance des longs ballons en direction de Lukaku, qui trouve Rashford une seule fois en une demi-heure.
Le second fait de jeu : Lukaku (29e)
À la 29e minute, une glissade de Kehrer offre une autoroute pour Rashford, mais sa passe est bien trop pauvre. Il faut noter que sur cette situation de jeu, Manchester applique parfaitement le plan de jeu opportuniste (intelligent) de son entraîneur : Lukaku et Young se ruent vers la surface pour un deux-contre-deux face à Thiago Silva et Kimpembe. Une minute plus tard, Lindelöf dicte la relance anglaise pour la première fois de la rencontre. La possession des Diables rouges touche consécutivement les pieds de ses milieux pour la première fois, jusqu’à la frappe reptilienne de Rashford aux trente mètres. Trompé par le rebond mouillé, Buffon ne peut capter le ballon ni le repousser sur un côté, et Lukaku le punit furtivement. 1-2.
Le retour de la peur, la gestion d’un temps faible (30e-45e)
Le contraste est alors affolant entre la supériorité autoritaire du PSG dans le jeu et le sourire rebelle du tableau d’affichage : Manchester United n’a réussi qu’une vingtaine de passes en une demi-heure, et mène 1-2. Où se situe la frontière entre la maîtrise tactique et la gestion mentale d’une rencontre de ce niveau ? En Ligue des champions, cette folle coupe enchantée, les rapports de forces se jouent bien souvent sur la capacité d’un collectif à résister à ses temps faibles et à profiter de la moindre erreur adverse. En clair, le jeu est moins récompensé que l’intelligence ou l’opportunisme, comme l’a froidement démontré le Real Madrid de Zizou et Cristiano. Thomas Tuchel le sait bien, il en parlait dans L’Équipe en septembre dernier : « Tellement de choses peuvent arriver. La Ligue des champions n’est pas une compétition seulement tactique, c’est plus une compétition de générations. Le Real Madrid a une génération qui sait comment gagner les grands matchs, comment résister à la pression. Pour moi, il faut inverser les choses : si on travaille bien chaque jour, si on vit bien chaque jour en tant que groupe, nous devrions être prêts pour les grands matchs. Et si on ne se focalise pas trop sur ces grands matchs à venir en février, peut-être qu’on peut mieux les aborder. »
C’est donc à ce moment-là que le PSG doit grandir et gérer, sous pression, son temps faible. Alors que Bailly doit céder sa place à la 35e, un coup franc brossé de Young trouve Rashford seul dans la surface (signalé hors jeu). Lukaku se déplace côté gauche pour aller provoquer Kehrer, qui se fait sauver habilement par son capitaine. À la 42e, après une démonstration de jeu dos au but de Lukaku, Manchester attaque finalement le camp adverse. Un débordement de Dalot trompe Bernat et fait paniquer la surface parisienne. Paris a résisté et reste qualifié à la mi-temps.
Faux rythme et fausse domination (46e-70e)
Les Parisiens reprennent l’ascendant au retour des vestiaires. Plus conservateur que jamais, le plan de jeu de Manchester repose sur les épaules du pied droit courbé de Young et de ses projectiles pour trouver Rashford entre Kimpembe et Thiago Silva. Lorsque le ballon est récupéré dans le camp parisien, Manchester centre à l’aveugle sans attendre. Les hommes de Solskjær évoluent dans une formation en U : une ligne défensive robuste, des bombardiers de centres sur les côtés et deux avants-centres. Comme dans le football anglais des années 1980, la passe semble être, pour eux, un geste surcoté. En réalité, le scénario est tel que cela les arrange de conserver un tel équilibre – un but d’écart – jusqu’aux dernières minutes, comme l’a expliqué Solskjær en conférence de presse. Un complexe d’infériorité assumé.
Côté parisien, la structure tactique retrouve ses repères, mais n’emballe absolument pas la rencontre. Si Verratti continue de ratisser au milieu et si l’énergie de Di María trouve toujours de l’espace entre les lignes, les débordements sont de moins en moins nombreux. L’absence de la menace constante de Cavani et Neymar manque alors terriblement. À la 57e, l’Argentin marque tout de même sur une talonnade inspirée de Mbappé (hors jeu). D’un point de vue géométrique, plus les minutes passent, plus le bloc parisien s’allonge et perd en compacité. Avoir 80% de possession de balle, cela fatigue les esprits. Heureusement (ou pas) pour eux, Manchester n’a toujours pas envie d’attaquer. Un numéro de Lukaku arrête la respiration du Parc à la 68e, mais c’est bien la seule production footballistique des Diables rouges en seconde période. Avec 5 duels aériens gagnés, 3 dribbles et 12 passes réussies, le Belge est le Mancunien qui aura proposé le plus de football au Parc.
Les changements et le trompe-l’œil (71e-89e)
Qu’il est difficile d’interpréter le dernier quart d’heure et son terrible dénouement. Pour remédier à l’allongement du bloc parisien, Tuchel effectue deux changements à la 70e : Meunier pour Kehrer, Paredes pour Draxler (blessé). Jugé probablement trop juste, Cavani n’entrera en jeu qu’à la 90e. Marquinhos prend la place du défenseur allemand, Meunier se positionne en ailier droit, tandis que Paredes s’installe devant la défense et fait remonter Verratti d’un cran, alors qu’Alves se glisse à l’intérieur pour former un milieu à trois (3-5-2). Dans le jeu, le PSG essaye de contrôler le ballon pour ne pas prendre de but et, si possible, aller chercher la qualification en marquant une dernière fois. Alors que l’entrée de Paredes verrouille le milieu, Manchester insiste sur les longs ballons pour Lukaku, marqué sérieusement par Thiago Silva et Kimpembe. Entre les deux animations, les fautes se multiplient et un faux rythme s’installe sans favoriser un camp ni l’autre. Devant Paredes et Verratti, l’animation offensive repose entièrement sur les inspirations de Di María, la qualité de passe de Dani Alves et les appels de Meunier et Mbappé. À la 82e, un joli mouvement collectif ponctué par Meunier provoque un arrêt de De Gea. À la 84e, le PSG se crée une ultime occasion franche, mais Mbappé glisse et Bernat se heurte au poteau.
La stratégie peut sembler raisonnable : pourquoi aller chercher un but à tout prix alors que la qualification semble acquise et que l’opposition s’avère inoffensive ? Sauf que les matchs à élimination directe de Ligue des champions ne se gèrent pas, ils se tuent. La tactique gestionnaire est renforcée par le manque de menace apparent (la patience trompeuse) de Manchester United qui attend encore, patiemment ou impuissamment. Une approche forcée par d’effroyables limites footballistiques ? Ou une stratégie féline de chasseur qui sait ce qu’il fait ? Le jeu a ses secrets. À partir de la 85e, le milieu parisien enchaîne quelques pertes de balle sans suivi de pressing, et le bloc défensif recule logiquement pour prendre la forme d’une ligne à cinq. La réplique de Manchester United reste étonnamment passive, et les entrées de Chong et Greenwood n’apportent pas plus de pression à la surface parisienne : zéro corner, zéro ballon chaud.
Le bouquet final arbitraire (89e-99e)
À la 89e, le chasseur s’en remet finalement à la foudre pour faire tomber sa proie : c’est une frappe lointaine (et non cadrée) de Dalot qui offre à la VAR le luxe de proposer un penalty à l’arbitre et la qualification au mental de Rashford. Sans même s’en rendre compte, le PSG s’en est remis au hasard de la trajectoire d’un projectile lancé à pleine vitesse dans sa surface pour décider du sort de sa saison européenne.
Et maintenant ? Il faut apprendre et continuer à grandir, comme les 78 autres clubs qui auront participé à cette édition de la C1 sans la remporter. Au Camp des Loges, d’une part, le chantier de la maîtrise tactique semble être sur le bon chemin, et les prochains mois en diront certainement plus sur les circuits de l’animation offensive travaillée par le staff de Thomas Tuchel. D’autre part, la gestion mentale de ces rencontres sous haute pression sera certainement un axe de travail majeur à de nombreux niveaux. La course vers les applaudissements continentaux est longue, tortueuse et douloureuse, il n’y a pas de raccourci, et le football apprend à perdre à tout le monde, même si certains clubs le savent mieux que d’autres. Avant d’enchaîner les demi-finales et les titres, le Real Madrid de Sergio Ramos s’était incliné six fois d’affilée en huitièmes de 2005 à 2010. En tout, les supporters de la Juventus ont vu leur institution perdre neuf finales de C1. Plus au sud, les supporters de l’Atlético de Madrid ont vu Diego Simeone bâtir une équipe tactiquement et mentalement exceptionnelle avant d’échouer deux fois en finale au bout de la prolongation et des tirs au but. Tout comme en 1974. Désillusions et malédictions.
Par Markus Kaufmann
Markus Kaufmann est l’auteur de Thomas Tuchel, Faire grandir Paris (éditions Marabout, 336 pages), ouvrage dans lequel il raconte l’aventure du parcours de l’entraîneur allemand et la construction de sa méthodologie en tant que formateur, puis en Bundesliga.
Le prologue et les premières pages sont en libre accès ici (cliquer sur « feuilleter ») :
https://www.amazon.fr/Thomas-Tuchel-Markus-Kaufmann/dp/2501139690
À visiter :
Le site Faute Tactique
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