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- J21
- Manchester City-Liverpool (2-1)
Les leçons tactiques de Manchester City-Liverpool
Au bout d’un affrontement aussi fantastique que dramatique, Pep Guardiola a enfin réussi à prendre le dessus sur Jürgen Klopp au cours d’un match de Premier League disputé à égalité numérique (2-1). La clé ? Une inversion progressive des stratégies, un apprentissage des erreurs du passé et un Guardiola qui a accepté de changer de visage pour faire la différence. Résultat : Liverpool est tombé pour la première fois de la saison au coeur d'un championnat relancé.
Glissée dans les mémoires, la scène est restée comme un symbole de la dernière bataille. Il faut imaginer Pep Guardiola, entouré de ses hommes de confiance, en pleine préparation d’un quart de finale de Ligue des champions, et se dessiner le Catalan au-dessus d’un gouffre. « Ils me font peur. Ils sont dangereux, vraiment » , glisse-t-il à ses adjoints, au beau milieu du fleuve de certitude que peut être par séquences le documentaire All or Nothing, diffusé au mois d’août dernier sur Amazon Prime, retraçant la dernière saison à 100 points en championnat de Manchester City. « Ils », c’est eux : ces types en rouge, armés d’un trident offensif tranchant, d’un milieu étouffant et d’une défense devenue référence en Angleterre, venus faucher City à trois reprises lors du premier semestre de 2018. Un gang que Pep Guardiola n’a réussi à calmer qu’une fois en sept confrontations depuis son arrivée dans le coin (à dix contre onze, le 9 septembre 2017, ndlr).
Une défaite qui n’est d’ailleurs qu’une tâche sur le CV de Jürgen Klopp, tête pensante de ce Liverpool sauvage et difficile à dompter, qui affiche toujours à ce jour le meilleur ratio de succès d’un entraîneur face à Guardiola. L’Allemand tient une recette, ce que les trois premières confrontations de l’année avaient prouvé : grâce à une parfaite gestion des espaces -ce qui est la clé de tout et que Rafael Benítez a un jour parfaitement résumé : « Si tu ne sais pas occuper l’espace, le restreindre ou le conquérir, le système ne sert à rien » – et à un pressing offensif chirurgicalement coordonné, Klopp sait probablement mieux que personne, si ce n’est le José Mourinho version Inter, nullifier le football de position de Guardiola, dont le style repose sur la création de joueurs libres entre les lignes.
Le choix Laporte, le roi Fernandinho
Et cette fois, alors ? Si les acteurs n’ont que peu changé, le décor, lui, n’a rien à voir : mois de trois mois après un match aller sans vainqueur (0-0), Manchester City a retrouvé jeudi soir Liverpool, leader jusqu’ici intouchable, dans le costume du chasseur, un déguisement que Guardiola maîtrise historiquement mal. Dos au mur, privé d’un De Bruyne à 100% et à sept points des Reds avant de grimper sur le ring, le Catalan vient pourtant entre les cordes avec ses certitudes et en ressortant une vieille idée : Aymeric Laporte en arrière gauche d’une défense qui a encaissé onze buts sur ses sept matches disputés en décembre. Le même Laporte dont l’estomac avait été retourné par Mohamed Salah, à Anfield, lors du quart de finale aller de C1 l’an passé. Si Klopp a appris à jongler avec les registres cette saison, le voilà avec son habitude des soirs décisifs : un milieu à trois (Henderson-Milner-Wijnaldum), et en avant.
Le show se déplie en deux City. Le classique, d’abord, qui a besoin de la possession pour avancer (57% en première période), qui cherche à fabriquer des supériorités en cassant les lignes de pressing de Liverpool et où Fernandinho prend rapidement les platines. Le rôle du skipper brésilien est de démolir pour offrir l’équilibre à l’organisation offensive de son équipe, tout en servant de premier créateur. Parce qu’ils connaissent ce texte sur le bout des doigts, les joueurs de Guardiola tiennent un début de match au coeur duquel Klopp sort de sa zone technique pour secouer une première fois Sadio Mané, incapable de péter la relance adverse. Sans un placement parfait de l’ailier sénégalais, et de Salah de l’autre côté, la « fermeture » de l’intérieur du jeu, et par conséquent la récupération haute, deviennent impossible. Alors, l’Allemand hurle, recadre, et voit finalement ses gars articuler une première séquence verticale consécutive à une sortie de balle parfaite de Wijnaldum : poteau sortant de Mané, puis gribouillage et sauvetage défensif de Stones dans la foulée. Premier souffle.
De l’impossible création d’un chaos organisé
Après trente minutes de chatouilles, City n’a tiré qu’une fois au but pour huit ballons touchés dans la surface des Reds. Sergio Agüero ? Aucun. Peu importe, l’Argentin a une autre bataille à mener conjointement avec Bernardo Silva, là où David Silva fait le muet : celle de l’espace, de la vie entre les lignes et du dépoussiérage alors qu’un losange s’organise progressivement en phase défensive pour trancher les transitions Robertson-Mané et Alexander-Arnold-Salah (Fernandinho en 6, Sané-Sterling sur les côtés, Bernardo Silva en 10 – David Silva et Agüero devant un bon Van Dijk et un Lovren bancal). Une réussite logiquement saluée par la quarantième minute de jeu, traversée comme un facteur négatif -comme la suite de la rencontre- par un Dejan Lovren aux fraises dans son alignement défensif, son marquage et sa prise de repères devant un Agüero clinique, qui vient allumer Alisson avant la pause. De l’autorité, de l’intensité, du caractère, pour ce que City était venu chercher et que Vincent Kompany souligne : « Une grosse performance plus qu’un résultat. »
Face à sa feuille, Jürgen Klopp joue du crayon et cherche la bonne formule pour enfin réussir à créer « le chaos organisé dans la défense adverse » habituel : le 4-2-3-1 revient à l’heure de jeu, après quinze minutes de souffrance au pressing, Leroy Sané ne cessant au passage de monter en puissance défensivement. Exit Milner, bonjour Fabinho, place au Liverpool qui attrape la possession au vol (65,3% sur la dernière demi-heure !) et qui se met au niveau d’un excellent Robertson. Et qui réagit avec brio, surtout, grâce à la plus clinique des combinaisons offensives : aimanter le bloc adverse d’un côté pour l’attaquer de l’autre grâce à deux transversales délicieuses (une première de Fabinho pour Firmino, une seconde d’Alexander-Arnold en direction de Robertson), ce qui permet la densification d’une zone pour en vider une autre et qui débouche sur une égalisation de Firmino. Une merveille d’action collective et de séquences du football de position imaginé Guardiola retourné par Klopp sur la tête du coach catalan. Royal.
Le miroir inversé et le test mental
Comme à l’aller à Anfield, Pep Guardiola accepte en réaction de jouer contre-nature, regarde Liverpool tenir le ballon, lance Gündoğan pour soutenir le colonel Fernandinho sur la dernière demi-heure et pique en attaque rapide. Sur une nouvelle erreur d’appréciation de Lovren, Danilo lance alors Sterling, qui décale Sané : poteau entrant, le camp du destin. Pour la première fois de la saison, Liverpool a encaissé deux buts sur un match de Premier League et pour la première fois depuis qu’il est arrivé en Angleterre, Guardiola termine une rencontre avec moins de possession de balle que son adversaire (49,6%). Il y a un prix à payer pour Klopp : jeudi soir, Manchester City a réussi à pousser les limites des Reds, Liverpool ne réussissant pas à réduire l’intensité mise par City, ne se montrant dangereux que sur les rares erreurs individuelles adverses, et se retrouvant placé face à un miroir inversé. Lors des trente dernières minutes, on a vu Guardiola servir des contres rapides là où Jürgen Klopp a été poussé dans un jeu de possession. Drôle de scénario et ultimes poignards évités par Alisson devant Agüero et Bernardo Silva, de loin meilleur joueur sur le terrain avec 13,7 kilomètres avalés sous les semelles (plus trois tacles, trois interceptions, une passe décisive, 85% de passes réussies…). Klopp avait prévenu : « Jouer City, chez lui, est l’un des matches les plus difficiles du football moderne. » Ce matin, c’est une course au titre qui est relancée et un résultat juste qui a été éjecté par bataille stratégique brillante. Un test mental qui pourrait aussi avoir des conséquences électriques. Plus personne n’a peur : place à la guerre des nerfs, celle qui se gagne à distance.
Par Maxime Brigand