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Les leçons tactiques de l’Euro 2000 des Bleus

Par Maxime Brigand
24 minutes
Les leçons tactiques de l’Euro 2000 des Bleus

Deux ans après avoir décroché son premier titre de champion du monde à la maison, l'équipe de France débarque aux Pays-Bas et en Belgique. Résultat : elle en repart avec l'Euro dans les poches, premier trophée remporté loin de ses bases. Mais comment ce sacre a-t-il été rendu possible ? Récit tactique de l'épopée des Bleus : des hommes qui, selon leur sélectionneur, Roger Lemerre, « savaient qu'ils ne savaient pas jouer ».

D’abord, la guerre. Les guerres, même, toutes plus psychologiques les unes que les autres. On a voulu le faire passer pour « une bonne pâte » : grossière erreur. Roger Lemerre s’est transformé en mur. Comment expliquer ce caractère ? « À l’école laïque, j’étais leader. Au service militaire, chef de piaule. À Sedan, j’ai eu d’entrée la responsabilité du capitanat. Pareil dans mes stages d’entraîneur. Tu peux taper sur moi, ça ne résonne pas. Parce que je suis normand, peut-être. »

À l’école laïque, j’étais leader. Au service militaire, chef de piaule. À Sedan, j’ai eu d’entrée la responsabilité du capitanat. Pareil dans mes stages d’entraîneur. Tu peux taper sur moi, ça ne résonne pas. Parce que je suis normand, peut-être.

Voilà pour les explications de l’intéressé, livrées lors d’un rare entretien donné à Vincent Duluc en mai 2012, à Bruxelles. Au départ, Lemerre, c’est pourtant autre chose : c’est ce type capable de souffler des blagues paillardes à l’oreille du président Chirac, cet adjoint, nommé par Aimé Jacquet six mois avant le sacre de l’été 1998, qui va s’installer au fond du bus avec les joueurs, ce mec qui n’a pas peur de la pression médiatique et qui avance même « un naturel bon enfant ». Le jour de sa prise de pouvoir, il précise alors ne pas être « l’homme d’une institution, mais de tout le monde. Moi aussi, je suis champion du monde. Au soleil, avec les autres ! » Partant, que va-t-il changer ? Bonne question, la victoire au mondial 1998 ayant fait basculer l’équipe de France dans une autre dimension et habillant automatiquement les Bleus en favoris désignés de l’Euro 2000. Interrogé par Libération au lendemain de son arrivée aux manettes, Lemerre cherche alors à donner le ton de son mandat et se décrit comme « un compagnon, un artisan », tout en expliquant qu’à ses yeux « entraîner, c’est aussi moral, c’est entraîner les gens dans une mouvance » .

Deux ans plus tard, si les Bleus ont finalement réussi, non sans galérer, à se qualifier pour l’Euro, le sélectionneur n’a plus grand-chose de l’ancien adjoint bonnard. Il est entré progressivement en guerre contre les plumitifs, propriétaires selon lui de bombes pouvant « faire changer les choses ». Pour approfondir, il prendra un exemple, douze ans plus tard : « Un jour, dans une conférence de presse à la FFF, vous étiez une quarantaine. Parmi vous, il y en avait un, je ne sais plus qui, qui me déglinguait, incendiait l’équipe, prétendait que mon organisation ne servait à rien. Je me suis rappelé un test à l’école, j’ai pris une feuille, j’ai mis un point noir dessus, je lui ai montré et je lui ai dit : « Je n’ai pas de réponse à vos invectives. Mais qu’est-ce que vous voyez sur cette feuille ? » Il a répondu qu’il voyait un point noir, et je lui ai lancé : « Moi, la différence avec vous, c’est que je vois une feuille blanche. » Je me suis levé, et je suis parti. » Ainsi Lemerre traversera l’Euro à sa manière, slalomant entre les péripéties du destin : Deschamps qui refuse un jour de venir en conférence de presse, les journalistes qui boycottent dans la foulée sa conférence de presse, le décès de son père le jour du match contre la République tchèque, la rencontre de sa femme… Puis, bien sûr, la victoire. Au bout, il souffle, mais qu’en retient-il ? « J’ai rempli ma mission avec l’équipe de France, j’ai enterré mon père, et après, se pose toujours la même question, dans le bien comme dans le mal : pourquoi moi ? » Mais aussi pourquoi eux ?

« Ces gens-là savaient qu’ils ne savaient pas jouer »

En 2000, comme souvent avec les Bleus depuis la fin des années 1980, le jeu n’est pas au centre du projet.

En 1996, en 1998 et en 2000, la chance, c’est que ces gens-là savaient qu’ils ne savaient pas jouer. On peut me raconter tout ce qu’on veut. S’ils étaient là, je leur dirais. Toi, t’as les pieds carrés, toi, tu sais pas défendre…

Il paraît d’ailleurs que c’est la force de cette génération. « En 1996, en 1998 et en 2000, la chance, c’est que ces gens-là savaient qu’ils ne savaient pas jouer, expliquait Lemerre, toujours en 2012. On peut me raconter tout ce qu’on veut. S’ils étaient là, je leur dirais. Toi, t’as les pieds carrés, toi, tu sais pas défendre… » Le tour de force de Lemerre se situe alors plutôt dans la gestion de groupe. Le rééquilibrage offensif progressif des Bleus, lui, s’explique avant tout par la confirmation de certains profils. Ainsi, exit Guivarc’h, c’est avec Nicolas Anelka en pointe et Thierry Henry côté gauche que l’équipe de France se pointe à son premier rencard – un tête-à-tête avec le Danemark – et donc avec de nouvelles armes : les Bleus se veulent plus tranchants, plus variés, plus rapides et plus audacieux. Du moins, sur le papier.

Un France-Danemark est un repère. En 1984, 1992 et 1998, les deux nations ont déjà été placées dans le même groupe. À chaque fois, le vainqueur de la confrontation est allé chercher le trophée quelques semaines plus tard. Intrigant, donc, et déjà décisif. Premier match et premier système pour Lemerre, qui décide de coucher sur la table un 4-2-3-1 avec Petit et Deschamps à la récupération. Dès cet apéro, c’est une sale habitude française du premier tour que l’on retrouve : le début de match panique, qui offre aux Danois un temps fort d’une petite dizaine de minutes, marqué par un alignement défensif approximatif, une communication fébrile (à deux reprises, Thuram et Blanc vont ensemble à la retombée d’un dégagement danois, ce qui conduit d’abord à une énorme occasion pour Tomasson sauvée par Barthez, puis à une autre pour Sand), un retour héroïque de Deschamps à la suite d’un corner tricolore et une sortie suicide de Fabien Barthez… Cette entrée en lice des champions du monde est surtout intéressante, car elle permet de faire ressortir plusieurs éléments. S’il est difficile de scotcher un style précis aux Bleus de 2000, il est possible d’établir ici deux de leurs circuits préférentiels.

Le premier mène logiquement à Zinédine Zidane, seul élément tricolore permettant à l’équipe de France de ressortir proprement balle au pied et qui a la responsabilité d’assurer les transitions tricolores, ce qu’il va réussir de mieux en mieux au fil de la rencontre. Ce constat raconte beaucoup d’une époque où ces phases ne sont pas aussi essentielles qu’aujourd’hui, ou en tout cas plus délaissées, les gardiens s’amusant la majorité du temps à balancer des javelots d’un bout à l’autre du terrain (en ça, Peter Schmeichel n’a rien à envier à Jan Zelezny). Pour exister, Zidane décroche alors souvent de sa position de dix pur et vient apporter une solution technique à deux purs récupérateurs (Petit et Deschamps) afin d’accélérer le jeu des Bleus tout en réussissant à prendre souvent vite et bien les décisions dans le camp adverse. Ici, ce n’est pas la qualité de dribbles de Zizou qui est mise en avant, mais sa capacité à se retourner rapidement et à combiner parfaitement avec ses partenaires. Il suffit de voir la première action française de la compétition, où Zinédine Zidane est trouvé entre les lignes par Djorkaeff avant de lancer un Anelka maladroit pour comprendre. C’est d’ailleurs cette version du double Z qui attrapera les yeux lors de certaines séquences face à la République tchèque, contre l’Espagne et surtout lors de la demi-finale face au Portugal.

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Le second circuit, lui, repose sur une autre bombe essentielle du bon parcours des Bleus : Thierry Henry, 22 ans à l’époque, dont les qualités de vitesse brouillent la lecture de certaines rencontres, notamment celle face au Danemark, tant le joueur d’Arsenal va deux fois plus vite que tous les autres pions posés sur le terrain. Cet Euro 2000 fait apparaître une version plus collective et complète d’Henry, qui va profiter à plusieurs reprises de la hauteur de certaines lignes défensives et qui ne va cesser de jouer avec le rythme. Résultat, à plusieurs reprises, les Bleus vont le chercher dans la profondeur et procéder par de longues ouvertures, ce qui met ici en lumière la qualité de relance de Laurent Blanc. Au passage, Blanc va être à la conclusion du premier but français face au Danemark, en partant à l’aventure au quart d’heure de jeu avant de profiter d’un ballon mal capté par Schmeichel dans les pieds d’Anelka pour ouvrir le score. La suite de la rencontre est un combiné des deux circuits évoqués, Zidane s’essayant d’abord à une frappe de loin après avoir été trouvé par Lizarazu (son pourvoyeur préféré, ZZ se déportant souvent naturellement côté gauche, alors que Djorkaeff recentre côté droit), puis Henry enchaînant les occasions dans la profondeur. C’est d’ailleurs lui qui inscrira le deuxième but des Bleus après une passe de Zidane (et si c’était l’autre passe décisive de Zizou pour Henry ?), mais surtout au bout d’un rush solitaire démentiel. En cours de match, sûrement lassé par les tacles répétés et souvent ratés de Petit (ce qui déséquilibre à plusieurs reprises les Bleus), Lemerre va aussi installer la deuxième version de l’Euro de son équipe de France : un 4-3-1-2 sans Djorkaeff, mais avec Patrick Vieira au milieu, un Vieira qui va être passeur décisif pour Wiltord en fin de match (3-0).

La question Deschamps et la pièce qui tombe du bon côté

Ce premier match permet de poser les armes françaises sur la table. Beaucoup d’observateurs affirment alors instantanément

Vous avez besoin de quelqu’un comme Dédé sur le terrain. Peut-être que j’aurais pu apporter plus au jeu de l’équipe que lui, parce que j’étais meilleur pour faire avancer le ballon dans les phases offensives, mais je ne pense pas que je pouvais apporter autant que lui en ce qui concerne sa couverture et sa capacité à lire le jeu.

que cette équipe de France est supérieure à sa sœur de 1998. Elle avance malgré tout avec des doutes, notamment au sujet de Deschamps, dont les failles techniques sont difficiles à masquer lors de ce premier tour. Reste qu’on parle d’un joueur qui est plus qu’un joueur et que Patrick Vieira définira bien à l’époque : « Vous avez besoin de quelqu’un comme Dédé sur le terrain. Peut-être que j’aurais pu apporter plus au jeu de l’équipe que lui, parce que j’étais meilleur dans les transitions et pour faire avancer le ballon dans les phases offensives, mais je ne pense pas que je pouvais apporter autant que lui en ce qui concerne sa couverture et sa capacité à lire le jeu. » Refusant de se passer de son capitaine, Roger Lemerre va alors tenter de mixer les qualités de son groupe, où se mêlent des joueurs préférant jouer la possession et d’autres étant plus tranchants dans les transitions. Vieira est en ça un cadeau, car il peut tout faire, d’où le passage face à la République tchèque à un système liant davantage entre eux les créatifs (Djorkaeff, Henry, Zidane, un peu Anelka), les défensifs (Thuram, Desailly, Blanc, Lizarazu) et les porteurs d’eau (Petit, Deschamps).

Le 4-3-1-2 a aussi pour objectif de favoriser les lancements vers Henry et de permettre aux Bleus de davantage cogner en contre, eux qui s’amusent à attirer les adversaires dans les mailles de leur bloc bas, où Thuram et Desailly sont des sénateurs. Problème : comme face au Danemark, l’équipe de France peine à se mettre en route, et Barthez doit intervenir en boxant – son geste signature – une praline de Nedvěd. Affronter les Tchèques est un test parfait, et les Bleus souffrent face à l’organisation des hommes de Jozef Chovanec – un 3-5-2 – où les milieux (Nedvěd, Šmicer, Rosický) se projettent énormément dans l’axe pendant que Koller emmerde Desailly. Surtout, la République tchèque décide de ne pas attaquer du côté de Thuram et d’insister sur le côté « faible » tricolore, le gauche, où Candela a été préféré à un Lizarazu patraque. Face à lui, Poborský danse, et les Bleus plient à plusieurs reprises.

Mais un cadeau est tombé du ciel : à la septième minute, à la suite d’une passe en retrait foirée par Petr Gabriel, Thierry Henry trompe Srníček. La France a donc pris la main et va se contenter de résister, sachant que Zidane peine à arracher le boulet génial posé à ses pieds (Radek Bejbl). Elle va malgré tout se faire percer sur une transition – ce qui est étrange étant donné le déroulé de la rencontre – qui va se conclure par une faute de Deschamps sur Nedvěd. Penalty transformé par Poborský. À 1-1 à la pause, le scénario joue encore en faveur des Français, compte tenu de l’amère défaite des Tchèques face aux Pays-Bas lors du premier match. Ils doivent gagner, point, ce qui va pousser Chovanec à sortir Bejbl, et donc à libérer un peu Zidane, tout en balançant sur le gazon un deuxième géant, Vratislav Lokvenc. La République tchèque perd alors certains circuits, va moins relancer au sol, moins combiner entre les lignes et laisser les Bleus soudainement exister en transitions. Lemerre a déjà senti le coup venir et a de nouveau bousculé son système à la pause en demandant à Djorkaeff de se déshabiller. Bingo : c’est lui qui va filer les trois points à la troupe après un bon travail en contre d’Henry et une projection utile (qui attire deux joueurs) de Candela. Lors du troisième match, la France s’inclinera face aux Pays-Bas (2-3) avec une équipe de coiffeurs, et en sortant de ce premier tour, difficile d’établir de grandes certitudes autour d’une sélection dont on recherche encore l’exact projet offensif, qui n’impose qu’un pressing faiblard, mais reste incroyablement généreuse défensivement. Jusqu’ici, tout va à peu près bien, donc. Assez pour voir la pièce toujours tomber du bon côté, en tout cas.

Un quart au carrefour des styles

Le deuxième tour va définitivement confirmer le côté caméléon de ces Bleus : puisqu’ils n’ont pas de réels schémas pré-établis dans les transmissions, Lemerre va s’adapter à ses proies sans réellement chercher à les dominer. Il est intéressant de voir qu’au contraire des Pays-Bas ou du Portugal, brillant vainqueur de la Turquie lors des quarts de finale grâce notamment à un Figo proche des étoiles, l’équipe de France n’a jamais réussi à dominer la majorité d’une rencontre. Malgré tout, elle va progresser dans son approche, notamment offensivement, et va réussir à répondre à l’intensité imposée par l’Espagne. Nouveau match, nouveau schéma : retour du 4-2-3-1, avec Lizarazu arrière gauche, Vieira-Deschamps à la récupération et Dugarry ailier gauche. Henry est de retour en pointe. En face, l’Espagne n’a alors rien de sa fille de 2008, mais réussit à gêner les quelques tentatives de construction française grâce à des prises à deux ou trois, notamment sur les côtés. Là encore, les Bleus répondent, et Deschamps en tête : soudainement, le capitaine réussit à gagner quelques mètres balle au pied et à dépasser sa fonction de récupérateur strict. Le jour et la nuit par rapport au premier tour. Autre élément central : grâce à sa capacité à résister à la pression et à faire grimper le bloc, la doublette Djorkaeff-Zidane permet à l’ensemble de souffler et réussit à combiner à plusieurs reprises avec Vieira. Sur de multiples séquences, le milieu espagnol, tenu par Pep Guardiola et Ivan Helguera, est ainsi dépassé par des situations de trois contre deux.

Tout n’est pour autant pas parfait pour les Français. L’approche espagnole permet de noter des failles en attaque placée : Raúl, positionné en 10, peine à être contenu, et Munitis fait largement souffrir Thuram. Peinard face à un Grønkjær incapable d’arriver lancé et plutôt épargné contre la République tchèque, le latéral droit français va même concéder un penalty en première période à la suite d’une faute sur son poison du soir. Ce France-Espagne montre aussi que cet Euro est un carrefour des styles, et Pep Guardiola l’incarne parfaitement. Habitué à construire le jeu et à faire le lien entre les différentes zones d’influence, Guardiola est un joueur dont le foot n’a presque plus besoin en 2000, si ce n’est pour jouer en profondeur. Face à une équipe aussi regroupée que la France, son apport au jeu se réduit automatiquement.

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Où se décide donc ce quart de finale ? Sur un coup franc presque sans élan de Zidane claqué à la demi-heure, d’abord, puis sur une frappe de Djorkaeff après une bonne projection de Vieira avant la pause. Deux actions sur lesquelles Cañizares est quand même loin d’être impeccable. En seconde période, la France va dangereusement reculer, alors que l’Espagne va insister dans le dos des latéraux tricolores en attaquant « en U » , surtout après l’entrée de Joseba Etxeberria. On doute alors de la capacité de résistance de ces Bleus, et la pièce est de nouveau jetée en l’air lorsque Barthez s’en va faire faute sur Abelardo dans les dernières minutes après une incompréhension avec Thuram. Raúl a le penalty du 2-2 entre les pattes, mais va le balancer au-dessus de la lucarne. Derrière, Ismael Urzáiz, seul et complètement lâché, va manquer une nouvelle balle d’égalisation… Amen.

Et si Zidane avait joué dix ans plus tard ?

Sortie en vie du shaker, l’équipe de France débarque donc à sa demi-finale avec quelques petits principes collectifs et des repères plus solides. Trop simple : Roger Lemerre surprend de nouveau son monde et fait revenir Petit et Anelka dans un onze de nouveau déplié avec trois milieux, Zidane en dix et deux flèches devant. Comment expliquer ce choix ? Peut-être par la volonté du sélectionneur des Bleus de bloquer Figo avec Thuram et Vieira tout en conservant

La deuxième période de cette demi-finale de l’Euro 2000 est à elle seule un highlight du joueur qu’était Zidane et une confirmation : au début des années 2010, peut-être replacé en huit, ce mec aurait été encore plus grand.

un équilibre pour sortir correctement les ballons. L’autre objectif du jour est de contenir les montées de Rui Costa, installé dans un milieu à trois avec Costinha et Vidigal, mais qui remonte souvent le ballon sur quinze-vingt mètres avant de chercher un appui sur Nuno Gomes, de combiner avec Figo ou d’écarter sur Conceição. Résultat ? Le plan fonctionne, le Ballon d’or 2000, porteur d’une superbe dent de requin autour du cou, étant relativement éteint et Nuno Gomes se retrouvant partiellement sous-alimenté. « Partiellement » , car à la dix-neuvième minute, la gâchette de Benfica va réussir à profiter d’un bon travail de Conceição et d’une intervention mollassonne de Deschamps pour laisser Barthez sur place d’un subtil enchaînement. La première période raconte pourtant autre chose : l’histoire de deux blocs parfaitement organisés, qui défendent à onze (et non à 6+4 comment souvent dans la compétition) et laissent peu d’espaces aux individualités. Il est alors souvent impossible de briller dans les trente derniers mètres adverses, Zidane ne trouvant pas vraiment l’indispensable outil de son génie : une piste de décollage.

Dans le fabuleux monde des meneurs de jeu, Zinédine Zidane est un drôle de cas et si la France a été assez stérile en première période, c’est avant tout par sa difficulté à faire la différence sans mouvement. Alors, ZZ s’est impliqué défensivement et n’a brillé que sur une séquence où il a quand même envoyé Costinha aux fraises. Le second acte va ensuite être le sien, car la France va progressivement retrouver du dynamisme et réussir à péter dans les interlignes. Zidane n’est pas un meneur de jeu classique et l’idée qu’être meneur est « un état d’esprit plutôt qu’une position » (Jonathan Wilson) trouve ici des arguments. Si ce type est brillant, l’époque, où les longs ballons sont encore légion et où les latéraux ne prennent que rarement le risque de jouer à l’intérieur du jeu, ne lui fait aucun cadeau. Ainsi, Zinédine Zidane disparaît souvent des rencontres et existe surtout par étincelles. Mais quelles étincelles… La deuxième période de cette demi-finale de l’Euro 2000 est à elle seule un highlight du joueur qu’était Zidane et une confirmation : au début des années 2010, peut-être replacé en huit, ce mec aurait été encore plus grand.

La prise des platines de Zizou va aussi être permise par la mise en exergue d’une faille cruciale dans le système portugais, née du repositionnement de Figo dans le cœur du jeu pour échapper au marquage combiné de Thuram et Vieira. Cette évolution va forcer Dimas à grimper et donc à se découvrir davantage. Et à plusieurs reprises en seconde période, c’est justement dans le dos du latéral gauche qu’Anelka et Henry vont être trouvés, profitant ici de la lourdeur des deux centraux portugais (Couto et Jorge Costa). L’égalisation de Thierry Henry, parfaitement servi en retrait par Nicolas Anelka, en est le fruit. Secouée à la pause par Lemerre, l’équipe de France livre probablement ici l’une de ses meilleures périodes de l’Euro et voit Nuno Gomes enchaîner les fautes face à la paire Desailly-Blanc.

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Côté gauche, Henry trouve de nouveaux espaces le long d’Abel Xavier et s’amuse même avec Couto, mais le but vers la finale tarde à venir. Pire : il semble être portugais lorsque Xavier décroise une tête sur coup franc et force Barthez à réaliser un miracle d’arrêt. Finalement, l’histoire est connue et, au terme d’une prolongation aussi hachée (53 fautes au cours de la rencontre selon le rapport de l’UEFA, dont une délirante de Desailly sur Rui Costa, N.D.L.R.) que débridée, Abel Xavier, souvent à la peine sous pression au cours de la rencontre, tend sa main sur un centre de Wiltord. Penalty, Zidane, France 2, Portugal 1.

Les vieux pots pour une belle confiture

Place au 2 juillet, à la finale, à Rotterdam, ce qui n’est pas un cadeau pour des Bleus qui ont perdu le seul match qu’ils ont eu à disputer aux Pays-Bas (contre les Pays-Bas, justement, N.D.L.R.) durant l’Euro. Face à eux, c’est l’Italie, la petite sœur miraculée en demi-finales face aux Oranje, qui se pointe.

À la mi-temps, on avait été franchement médiocres. Je voulais cadenasser, répondre aux conneries des Italiens par les mêmes conneries. J’avais fait sortir Dugarry et Djorkaeff, mais face à un 3-5-2, il ne faut pas renforcer la défense adverse en faisant entrer un deuxième attaquant, il faut passer par les côtés. Je ne voyais pas la solution.

Et elle fait peur : si ce monstre n’est pas tellement dangereux, il est cynique et fourbe. Il ne laisse surtout aucun espace à l’intérieur du jeu et ne concède quasiment rien (deux buts seulement depuis le début de la compétition, N.D.L.R.). Alors, comment la faire tomber ? Si les Pays-Bas ont fait vaciller la Nazionale au tour précédent, c’est en étirant ses membres au maximum grâce notamment à Overmars. On imagine Lemerre calquer le modèle et titulariser Pirès d’entrée. Perdu : le chef de clan décide de revenir à un 4-2-3-1, pour que Djorkaeff amène une dose de créativité nécessaire là où Dugarry est posé côté gauche. Cela s’explique par une intuition de Lemerre qui « dès le premier jour de l’Euro » sentait que « c’était avec [ses] vieux briscards » qu’il devait « commencer la finale ». En face, pas de surprise : l’Italie arrive avec sa défense à cinq, son milieu à trois – où Stefano Fiore occupe un rôle hybride – et un duo Totti-Delvecchio devant. Puisque la Nazionale attaque à seulement deux-trois éléments, la France veut chercher à la percer, mais l’Italie ferme toutes possibilités de transition.

Le début de match laisse croire à un match ouvert. Ça pète de partout : lancé par Djorkaeff, Henry glisse un grand pont sur Nesta, alors que dans la foulée, Delvecchio, cherché en profondeur, voit Barthez sortir in extremis sous son nez. C’est un leurre. Malgré les deux corners italiens qui suivent, la rencontre se ferme et voit la France être piégée. La Nazionale ferme l’expression de Djorkaeff et Zidane grâce au travail du couple Albertini-Di Biagio et à la sortie systématique d’un central (Cannavaro ou Iuliano). Cette finale est difficile pour les Bleus et se joue sur un drôle de rythme : Zidane ne participe pas vraiment au travail défensif collectif, Delvecchio et Totti ne gênent absolument pas les montées de Blanc, il n’y a qu’une faible intensité… Les débats dans l’entrejeu sont même éliminés, et le milieu français, en infériorité numérique, se fait souvent passer malgré l’énorme activité de Deschamps. Malgré ça, dans les trente derniers mètres, personne ne réussit à exister. Henry n’existe que par éclairs et réussit souvent à faire la différence sans trouver le moindre soutien. Le seul éclair français du premier acte est finalement peut-être Christophe Dugarry, qui est volontaire, fait gagner des mètres aux Bleus et sait se rendre disponible intelligemment. Malheureusement, le prime du joueur bordelais ne va durer qu’une trentaine de minutes. À la 24e minute, s’estimant touché par la grâce, il tente une talonnade foireuse en pleine contre-attaque française et concède une touche. Il prendra ensuite un coup dans le nez, ce qui sifflera pour de bon la fin de sa finale. Dommage.

De cette finale, un mythe va naître ensuite autour de Zinédine Zidane, créé par un Silvio Berlusconi critiquant publiquement Dino Zoff après la finale : « On ne pouvait pas ne pas voir certaines choses qui se déroulaient sur le terrain. On ne peut pas laisser la source du jeu adverse, c’est-à-dire Zidane, libre d’être à l’origine de toutes les actions.(…)Même un amateur s’en serait rendu compte et aurait gagné, en bloquant Zidane. » Ces propos conduiront à la démission de Zoff, mais obligent une rectification : non, la France n’a pas gagné la finale de l’Euro 2000 grâce à Zinédine Zidane, et le numéro 10 des Bleus a peut-être livré ce jour-là l’une des plus finales les plus difficiles de sa carrière. Si l’équipe de France est apparue aussi distendue, c’est avant tout parce qu’à plusieurs reprises, Zidane a trop décroché du bloc et n’a pas su faire la différence face à des blocs arrêtés. Lorsqu’il a été trouvé par Henry, qui a royalement fait souffrir Cannavaro (d’où peut-être le coup de coude du beau Fabio à Titi au début de la finale du Mondial 2006), il a également été trop court pour montrer le bout de son nez.

« À la mi-temps, on avait été franchement médiocres »

Avant de gagner cet Euro, la France a alors commencé par le perdre. Dix minutes après la pause, quelques secondes après l’entrée en jeu de Del Piero et à la suite d’un corner joué à deux, Francesco Totti démarre alors son show, attire Lizarazu et Zidane sur lui et lance Pessotto dans son dos d’une talonnade malicieuse. Centre, reprise de Delvecchio, l’Italie mène et Lemerre s’interroge. « À la mi-temps, on avait été franchement médiocres, confiera-t-il à L’Équipe, en 2012. Je voulais cadenasser, répondre aux conneries des Italiens par les mêmes conneries. J’avais fait sortir Dugarry et Djorkaeff, mais face à un 3-5-2, il ne faut pas renforcer la défense adverse en faisant entrer un deuxième attaquant, il faut passer par les côtés. Je ne voyais pas la solution. » Celle-ci s’est alors présentée en même temps que le scénario. Après le but italien, Roger Lemerre lance Wiltord et passe en 3-4-3, recentrant Thuram aux côtés de Blanc et Desailly. Une finale n’est pas un moment pour regretter des choix. On se dit que ce système est dessiné pour Pirès, surtout lorsqu’on a vu Lizarazu aussi peu monter tout au long de la compétition. Ce sera pour plus tard.

À l’heure de jeu, la France passe de nouveau tout près d’un rouge après une sale faute de Thuram sur Totti, mais surtout à deux doigts du 2-0. Décalé après une excellente percée plein axe de Totti, Del Piero bute sur Barthez. La France est sur un fil, Alessandro Del Piero ne cesse de venir jouer le surnombre au milieu et va croquer une nouvelle balle de break à neuf minutes de la fin. Puis, Pirès entre, aide Henry à fusiller le côté gauche… et Pessotto joue vers un Montella hors jeu à la toute dernière seconde. Ballon rendu à la France, dégagement de Barthez, déviation de Trezeguet, Cannavaro trop court, Wiltord clinique : si cette égalisation ne répond à aucune logique tactique, elle va complètement inverser le momentum. Lors de la prolongation, Pirès continue d’insister sur son côté, allume une première mèche et profite ensuite d’une passe mal ajustée de Cannavaro pour Albertini pour surgir et trouver Trezeguet, le sous-utilisé de la compétition pourtant adoré par Lemerre. Que se serait-il passé si la France s’était retrouvée à dix et menée 1-0 par le Portugal en demi-finale à la pause ? Qu’aurait-pu devenir cette finale si Thuram ou Desailly, coupable d’un sale coup de coude sur Cannavaro, avait été expulsé ? Et si Del Piero n’avait pas autant ouvert son pied face à Barthez ? Peu importe aujourd’hui : la France est championne d’Europe pour la deuxième fois de son histoire, faisant naître l’idée d’une équipe plus forte que jamais. C’est surtout la victoire d’un groupe composé des meilleurs éléments, où la qualité des joueurs a surpassé la recherche d’un style affirmé. S’il était possible, en 2018, de voir une ligne directrice claire dans le jeu des Bleus, sans que ce soit sexy, en 2000, la France a avant tout remporté cet Euro, le plus prolifique depuis 1984 (2,74 buts/match), grâce à une rare capacité d’adaptation et à une capacité à renverser des montagnes dans les moments X, tout ça en dribblant les quelques bombes posées par le destin. Problème : ces quelques failles stratégiques, mêlées aux départs à la retraite de Deschamps et Blanc, ne seront ensuite pas compensées, et cette génération tombera en 2002. Lemerre quittera alors son poste, seul, et sera sifflé en descendant d’un TGV arrêté en pleine nature. Loin du soleil.

Dans cet article :
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