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Les leçons tactiques de l’épisode 10 de Koh-Lanta
Après ses chutes de 2011, 2012 et 2014, le monde entier en rêvait, mais Teheiura ne l’a pas fait. Tel Zizou en 2006, le prince polynésien a quitté le navire d’une façon inattendue, héroïque, brutale, entraîné dans sa chute par une Charlotte définitivement aux fraises. Et au-dessus des aventuriers, un aigle du nom de Régis tourne. Historique.
« La défense dicte ses lois à la guerre. » Si Carl von Clausewitz, auteur du traité de stratégie De la guerre, ne s’est jamais retrouvé en slip sur un archipel volcanique fidjien, ce théoricien militaire prussien se poile probablement ce matin d’où il est. Dans la nuit noire de Kadavu, alors que le ballon ne cesse de tourner entre les différents réunifiés, un homme, errant comme un joueur de devoir prêt à surgir sur le moindre mollet afin de profiter des moindres failles offertes par un adversaire aventureux, a décidé de « jouer son jeu ». Il a le destin d’une jeune agent immobilier plus malléable qu’une pâte à modeler Play-Doh et celui d’un cuistot que l’on imaginerait bien taquiner le poisson aux côtés d’Edinson Cavani entre ses pieds. Dans la vie, ce type est directeur de magasin, inutile de dire qu’il sait donc serrer la vis quand la situation le demande et flairer les opportunités. À cet instant, Régis, le guépard de l’Yonne, lève le menton, cherchant un mouvement inexistant. Il comprend : c’est seul qu’il fera la décision, seul qu’il sortira son sabre laser et donc seul qu’il coupera le souffle au chancelier Denis Palpatine.
Palpatine, justement : depuis deux jours, ce parfait connaisseur des rouages politiques sur Koh-Lanta travaille son plan et s’amuse à poser des bombes tactiques. Denis sait que les destins liés font et défont souvent une aventure, qu’ils révèlent les caractères, testent les aptitudes des uns et des autres à agir dans les petits espaces et à résister à la pression. Régis a eu la chance de tomber sur une lionne, l’animatrice Jessica, armée d’une amulette d’héroïne. Cette femme a un statut, des gros bras et paraît-il qu’elle maîtrise une moto Brough Superior SS100 comme Xavi dompte l’espace. Que craint donc Régis ? Peut-être d’abord de réveiller des cauchemars d’enfance où Chantal Lauby et Alain Chabat le faisaient évoluer « de con à gros con » en moins de sept secondes. Alors, dès les premières minutes du conseil, il prévient : « Les destins liés ont rendu les alliances et les stratégies complètement opaques. » Et allume : quand on ne voit pas la lumière, autant se rouler en boule et sauver sa peau, au risque de s’ouvrir aux rafales. La meilleure défense étant l’attaque, Régis sort son colt et brise les alliances. Il est 23h30, il vient de faire tomber deux têtes avec un bout de papier. Non, Régis n’a pas gagné la guerre du papier toilette dans un Vival de La Selle-sur-le-Bied, il vient d’écrire l’histoire. Régis est un roi.
La boxeuse qui élimine les artistes du jeu noble
Un roi seul, mais un roi sauvé, et à Koh-Lanta, un monde où une boxeuse ne cesse d’écrire des discours sur l’honneur et le mérite, puis élimine derrière des artistes du jeu noble (Sam, Teheiura) pour laisser des amoureux du monoï bronzer sur la plage, c’est le plus important. Cette fois, tout semblait pourtant protéger le prince polynésien, qui rêve toujours de réunir les esprits de la terre, du ciel et de la mer, ce qui est une noble cause. D’entrée, l’épreuve du confort – des exercices combinés qui ont permis de prouver que certains humains ne savent toujours pas utiliser les masques en période de crise sanitaire – lui filent l’opportunité de partir faire cuire un steak et de se rouler dans un lit en compagnie d’une Charlotte pas encore aux fraises.
Au contraire, elle est aux anges et a le luxe de voir un cuisinier professionnel lui faire des pâtes. Royal. Dans son coin, Régis tente de se transformer en Jafar et réussit à entrer dans le crâne de Moussa : au retour sur le camp, Teheiura et sa pâte à modeler devront cracher leur indice pour trouver un collier qui pourrait être décisif. Le bonhomme veut blinder sa défense avant d’attaquer par les ailes. Classique.
Dwight Yorke et Andy Cole débarquent au conseil
Il est inutile d’évaluer les scénarios a posteriori. Qui sait ce qui se serait passé si Régis avait trouvé le collier ? Qui sait comment aurait évolué l’aventure si Rico la défonce avait passé son après-midi à fouiner plutôt qu’à se goinfrer de manioc auprès du mage Claude ? Perché sur son rocher comme un aigle qui observe ses congénères au-dessus de la montagne, le chauffeur de maître place ses pions et cherche à infuser l’esprit d’âmes sensibles. N’oublions pas que Claude n’est pas non plus un saint et qu’il a un jour transformé un trek avec Kunlé – lors duquel ils devaient ramener de la nourriture à la tribu – en festin. En arrivant sur la plage, le mage et son padawan avaient alors trouvé quatorze bananes et six noix de coco. Qu’avaient-ils fait ? Bien sûr, ils avaient gobé les quatorze bananes avant de rentrer au camp. Malin, le Claude. Cette fois, sa cible est Charlotte : « Pourquoi tu veux pas sauver ta tête ? » Réponse : « Parce qu’il y a d’autres gens à sortir avant… »
Confiante et sensiblement avancée stratégiquement pour quelqu’un qui ne sait pas que l’humus n’est pas qu’une purée de pois chiches et de tahini. Reste que, convaincue par Teheiura,
avec qui elle semble protégée comme Vincent Péricard le serait sous les cornes de Christian Vieri, Charlotte fonce chercher un collier, qu’elle trouve, malgré le gegenpressing de l’intégralité des aventuriers. Une question dans cette foire : comment peut-on tuer trois heures de sa vie à chercher un collier en résine si c’est pour ne pas l’offrir au chancelier Denis Palpatine ? Teheiura et Charlotte possédant à cet instant deux colliers, c’est Dwight Yorke et Andy Cole qui débarquent au conseil, sûrs de leurs combinaisons. Dans leur tête, tout est fluide, il n’y a plus qu’à pousser le ballon au fond. Petite note : Régis n’a rien promis à personne à cet instant. Ainsi peut-il préparer sa symphonie, lui, passé maître du jeu sans mouvement, à l’aise dans les espaces lors de la dernière demi-heure de la rencontre et prêt à casser les lignes. Le chancelier s’avance, tente de faire jouer ses talents de télékinésiste, mais rien ne vient. Charlotte n’ouvre pas sa poche.
C’est là que le pire arrive. Derrière elle, Teheiura, dont l’objectif est de passer cette étape sans utiliser son collier. On parle d’un prince qui a déjà trois aventures dans la couette et qui connaît les lois du milieu. L’expérience, c’est apprendre à perdre et se souvenir, il sait aussi que sur Koh-Lanta, le mieux est l’ennemi du bien. À quoi pense-t-il à cet instant plutôt qu’à sortir son bazooka ? À un burger ? À ses vieux numéros de Picsou Magazine ? À tout sauf à l’essentiel : tirer. C’est Hervé Revelli face à Sepp Maier à Glasgow en 1976 après la barre de Dominique Bathenay. Deux colliers viennent alors de tomber aux oubliettes. L’histoire est en route, Denis Palpatine a compris : c’est le GP de Chine 2007 qui se rejoue sous ses yeux. Pas de collier, les têtes roulent, Éric, 26 votes contre lui depuis le début du championnat, peut souffler. Claude, lui, se prend la tête à deux mains : son pote ne comprend donc décidément rien. « Mais joueeeeeeeeee ! Gagne quelque chose », semble-t-il hurler. Teheiura est maudit. Ou peut-être est-ce un héros, un vrai, à vie, soit un homme condamné à se péter les dents sur une autoroute dégagée. Du rire aux larmes, gravé dans la roche.
Par Maxime Brigand