- Copa América 2015
- Gr. B
- 1re journée
- Argentine/Paraguay (2-2)
Les leçons tactiques de l’Argentine
« Il allait y avoir 4-0 et il y a eu 2-2. » C'est Ramón Díaz, sélectionneur argentin du Paraguay, qui résume la première surprise de cette Copa América chilienne. L'équipe de Tata Martino, appliquée et efficace, aurait pu commencer la compétition par une démonstration. Mais deux petits exploits paraguayens ont suffi pour balayer la sérénité et installer les doutes dans le camp du vice-champion du monde.
À environ 400 kilomètres au nord de Santiago, La Serena date du XVIe siècle et se classe dans les livres d’histoire comme la deuxième ville la plus ancienne du Chili. Durant des siècles, la petite cité balnéaire a ainsi été la cible des pirates du Pacifique. Une histoire que Ramón Díaz a peut-être lue à ses joueurs à la mi-temps samedi soir. Car si le Paraguay n’a pas d’océan à conquérir, les Guaranis sont allés récolter un très joli butin samedi soir au stade de La Portada, en plein centre ville et sous les yeux de toute l’Amérique du Sud. Bien avant l’abordage, à situer aux alentours de l’heure de jeu, les corsaires argentins avaient pourtant pris un contrôle absolu sur la rencontre, tant sur le plan de la maîtrise du ballon que de la création.
Le schéma de Tata Martino, la recherche de Pastore
Tata Martino n’a pas modifié son dessin pour commencer sa première compétition avec l’Albiceleste. Le 4-3-3, comme lors des amicaux. Di María à gauche, Agüero devant en vrai 9, Messi à droite dans le même style qu’au Barça, à savoir libre. Le manque de projection du milieu à trois Mascherano-Biglia-Pérez de la finale a été remplacé par de l’élaboration et de la finesse : Mascherano, inamovible, accompagné par Banega et Pastore. Le premier à gauche, ouvert sur le jeu et très à l’aise samedi : des crochets de numéro 10 pour faire sortir le ballon et la grinta d’un classique cinco pour le récupérer.
À droite, Pastore s’est montré plus timide. Caché au milieu de la circulation argentine, entre la fonction de constructeur de jeu et celle de créateur, le Flaco n’a pas retrouvé sa continuité parisienne : seulement 36 passes reçues, moins que le milieu Banega (55) et même l’ailier Di María (44). Un début de match derrière l’attaquant, puis un recul progressif vers le milieu, sans jamais trouver une position pertinente : Pastore a souvent été gêné par les déplacements axiaux de Messi, et ignoré par une possession qui passait trop peu par Garay et un Roncaglia décevant par rapport au triangle Otamendi-Masche-Banega. Pourquoi Pastore n’a-t-il pas joué à gauche ? Si certains amoureux du double pivot demandent déjà sa tête en Argentine, il faut rappeler que l’équipe a perdu son contrôle défensif à sa sortie, et non avant. Enfin, à la place de Demichelis, Otamendi a déjà séduit les siens par sa présence physique, tandis que Garay avait sa place réservée depuis le Mondial. Romero était aux cages.
La possession argentine pour repousser l’engagement paraguayen
En conférence de presse d’avant-match, Ramón Díaz avait chatouillé les Argentins : « S’il le faut, on jouera à la limite du règlement… » Belle tentative, mais Tata Martino ne cède pas à la moindre provocation. Alors que les plus téméraires espéraient un début de match à l’argentine, hystérique et plein de fureur vers l’avant, l’ex-coach du Barça a installé du contrôle et de la prévision dès les premiers ballons. Après 20 minutes, l’Argentine crée peu, mais contrôle près de 90% de la possession de balle. Quand le Paraguay presse, Banega crochète. Et quand personne n’a d’idée, le ballon finit toujours dans les pieds prudents de Mascherano. Fini l’ère bilardesque de Sabella, voilà le retour de l’influence de Bielsa. Au-delà des principes et de l’idéologie, ce contrôle du ballon donne à l’Argentine les moyens de s’installer dans le camp adverse et de défendre avec le ballon. Au moment du 2-0, l’Albiceleste donne même l’impression d’avoir vaincu sans forcer. Avec 76% de possession à la mi-temps et quelques rares accélérations, le travail semblait terminé.
Messi, la centralisation argentine
On joue depuis plusieurs minutes, et le silence pesant des 18 000 spectateurs de La Serena – de très nombreux Chiliens, et des Argentins très exigeants et peu portés sur le chant – permet d’entendre les ordres de Mascherano et les consignes de Tata Martino. Puis, enfin, la balle arrive innocemment sur le côté droit. Leo Messi contrôle, les murmures se lèvent, et le 10 lance d’un coup d’œil Di María sur le côté gauche, avec l’une de ces diagonales dont sa patte gauche a le secret. Corner. Quelques minutes plus tard, alors que le silence est de retour, le deuxième ballon de Messi coïncide avec la deuxième accélération de l’Albiceleste. Prise de balle, accélération dans l’axe et faute rapidement obtenue, au milieu de la panique paraguayenne. En dix minutes, l’Argentine a montré un contrôle collectif intéressant, mais a surtout confirmé que sa création dépend grandement des pieds de son génie tatoué.
Le reste du match sera la confirmation de ce constat. Pour le meilleur, parce que les deux buts argentins sont nés d’un bel effort de Messi, au pressing puis au dribble. Et pour le pire, parce que ses associés ont attrapé la fâcheuse habitude de toujours chercher avant tout leur meneur, même lorsqu’il n’est pas le mieux placé, comme s’ils ne voyaient le jeu qu’à travers ses pieds. Finalement, les seules créations argentines n’ayant pas nécessité l’aide de Messi ont été deux percées de Banega, l’extérieur de Pastore pour Agüero, et une tentative de corner direct de Di María, d’où la pertinence des titularisations de Banega et Pastore au milieu. Pour Messi, ça donne 7 tirs, 6 dribbles réussis, 4 fautes provoquées et 51 passes reçues, plus que n’importe quel offensif.
La perte de contrôle
À 2-0, les supporters de Boca lancent chacun à leur tour une bonne vanne aux oreilles de Ramón Díaz, entraîneur emblématique de River Plate, ce soir sur le banc du Paraguay. Après 58 minutes de jeu, l’Argentine a la main sur sa proie et tient fermement une victime qui semble inconsciente. Et puis, à la suite d’un pressing pourtant bien pensé, un mauvais rebond met la balle dans les pieds de Nelson Valdez. La frappe est fabuleuse, et le reste est à oublier pour les Argentins. Tata Martino l’a admis en conférence de presse : « L’équipe a eu deux rendements différents. On s’est créé des doutes, on a reculé, on n’a pas supporté le pressing et on n’a pas trouvé de solution face à leur changement de schéma. On a besoin de jouer avec un contrôle absolu. (…) La fragilité a quelque chose à voir avec toute l’équipe. Ce qui nous a le plus fait souffrir, c’est le moment où Valdez et Santa Cruz se sont mis à sauter les lignes à l’intérieur. On s’est mis à avoir une équipe trop longue. »
Voulant aller chercher le 3-1 plutôt que d’empêcher le 2-2, le technicien remplace Pastore et Agüero par Tévez et Higuaín, et son 4-3-3 travaillé par un 4-2-3-1 très désordonné. Di María passe à droite, Tévez à gauche, Messi partout et Higuaín devant, ou nulle part. Au milieu, Mascherano n’a plus que Banega pour l’accompagner, qui sera ensuite remplacé par un Biglia convalescent. Alors que le Paraguay pousse enfin, bien porté par les entrées en jeu brillantes de Derlis Gonzalez, Edgar Benítez et Lucas Barrios, les occasions pleuvent, mais ne se concrétisent pas. Plus le temps avance, plus l’Albiceleste s’étire, perd en logique et la possession tombe à 61%. Le 4-2-3-1 – ou plutôt 4-2-4 – restera peut-être gravé dans les mémoires comme le 3-5-2 de Sabella contre la Bosnie au Mondial. Mais il a déjà coûté deux points et une bonne dose de sérénité à Martino. Parce que peu importent le nombre d’occasions créées et la bonne première partie, le match de l’Argentine va être analysé d’après le triste spectre du résultat, qui est le fruit de vingt minutes de désordre. Un désordre qui rappelle que cette Argentine de Martino est encore une sélection de joueurs, et non pas une équipe. Et c’est bien pour ça que cette Copa América est si importante.
Par Markus Kaufmann, à l'Estadio La Portada (La Serena, Chili)
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