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Les leçons tactiques de la Grèce 2004

Par Maxime Brigand
Les leçons tactiques de la Grèce 2004

À l'été 2004, alors que personne ne l'attendait, la Grèce a débarqué à l'Euro et en est repartie avec un flot de haine. Son crime ? Avoir sorti l'Espagne, le tenant du titre (la France), l'équipe la plus sexy de la compétition (la République tchèque) et le pays hôte (le Portugal), pour finalement remporter un championnat d'Europe. Reste que cette équipe mérite tout sauf le mépris : la Grèce, c'est la vie.

Imaginons. Il est 21h15, à Porto, le 1er juillet 2004. Alors que la sonde Cassini-Huygens se met en orbite autour des anneaux de Saturne, Tomás Galasek a le ballon dans le rond central du stade du Dragon. Voilà 80 minutes que la République tchèque et la Grèce s’étouffent au milieu d’une demi-finale de championnat d’Europe angoissante. Le milieu de l’Ajax le sait, il est l’heure de craquer une allumette et, depuis que le scintillant Pavel Nedvěd a quitté ses potes plus tôt dans la rencontre, un seul homme semble capable de le faire. Il a 23 ans, joue au Borussia Dortmund et se balade depuis quelque temps déjà avec l’étiquette de « petit Mozart ». Son nom : Tomáš Rosický. Son mode opératoire : descendre à hauteur de Galasek et casser les lignes grâce à des séquences répétées d’appui-remise, souvent réalisées grâce au pivot génial qu’est Jan Koller. Séquence en cours. Il reste une grosse dizaine de minutes à jouer, Rosický est trouvé dos au jeu par Tomás Galasek, fait le tour de Theodoros Zagorakis et trouve Koller dans la surface. L’himalayesque buteur tchèque décide alors de rejouer avec son numéro 10, qui lui remet alors que Kapsis a lâché le marquage : en position idéale, Jan Koller bat Nikopolidis, et la Grèce, qui rêvait d’un titre européen historique,

Par le passé, les joueurs faisaient ce qu’ils voulaient. Maintenant, ils font ce qu’ils peuvent.

tombe avec les muscles encore gonflés. La belle aventure s’arrête ici, tout le monde descend et les regrets éternels avec. Le football aime les belles histoires, et la Grèce en restera une : tout le monde se souviendra longtemps de cette victoire inaugurale contre le Portugal, de cette qualification arrachée au bout d’un premier tour mal maîtrisé et de cette prise luxueuse – l’équipe de France, tenante du titre – lors des quarts de finale. Tout le monde se souviendra longtemps de ces types gentils, perdants, mais fiers. Mais non : Koller a foiré sa frappe, Dellas a marqué un but en argent moins de trente minutes plus tard, et la Grèce, victorieuse en finale, est devenue vilaine, honnie, détestée de tous. Le sport tolère les losers magnifiques, pas les winners moches.

Raz-de-marée et après-rasage

Au départ, pourtant, il n’y a rien. En dehors d’un nul obtenu contre une RFA future championne (0-0) en 1980, le football grec est un désert. Qualifiés pour leur première Coupe du monde en 1994, les Galanolefki sont repartis des États-Unis avec une note salée : trois défaites en trois matchs, aucun but marqué, dix encaissés. Et puis arrive un prophète. Lors de l’été 2001, Otto Rehhagel, ancien défenseur du Hertha Berlin et de Kaiserslautern, club avec lequel l’entraîneur allemand a réussi l’exploit d’être champion en 1998 alors qu’il venait juste d’être promu en Bundesliga, prend le gouvernail du Bateau pirate. Ce qu’il trouve en arrivant : un bordel. La Grèce vient d’être battue à Athènes par l’Angleterre, est déjà décrochée dans la course au Mondial 2002, et la première sortie internationale du roi Otto, en Finlande, est un raz-de-marée (défaite 5-1). Alors, Rehhagel sort les ciseaux et se met à l’origami. Il en récoltera les fruits trois ans plus tard, au Portugal, où il soufflera ceci : « Par le passé, les joueurs faisaient ce qu’ils voulaient. Maintenant, ils font ce qu’ils peuvent. » Ayant parfaitement conscience de la faiblesse du vivier national, Otto Rehhagel a d’abord réussi en une poignée de rassemblements un compromis semblable à celui réalisé par Óscar Tabárez en Uruguay quelques années plus tard : les matchs internationaux étant trop peu nombreux, ce qui limite la possibilité de faire entrer des concepts forts dans le crâne de joueurs qui n’ont pas l’habitude d’évoluer ensemble au quotidien, il faut revenir à l’essentiel. Bâtir un mur compact, donc. Mais pas n’importe quel mur : la sélection doit dégouliner de fierté, d’amour du maillot, de sens du sacrifice, et les individualités sont supprimées. La Grèce doit être un ensemble de pions déterminés, organisés, humbles, parce qu’elle ne peut s’en sortir, au fond, que comme ça. Et elle le sait, mieux que personne.

C’est d’ailleurs ainsi qu’elle va se présenter, à Old Trafford, dans la foulée de sa gifle finlandaise. Le 6 octobre 2001, la Grèce rentre dans le lard d’une Angleterre dos au mur, ouvre le score grâce à Charisteas, voit Sheringham égaliser et Nikolaidis lui refiler l’avantage.

Je veux connaître l’après-rasage utilisé par chaque joueur en Europe.

Au bout du bout, David Beckham sortira le plus beau coup franc de sa carrière de son chapeau, mais peu importe, un esprit est né. Le même esprit que l’on va retrouver en juin 2003, à Saragosse, d’où les Grecs repartiront avec une victoire fondatrice (0-1), ou lors du premier jour de l’Euro, face au Portugal. « Otto donne les ordres et nous les suivons », glisse poliment Stélios Giannakopoulos au Guardian. En arrivant au deuxième Euro de l’histoire du pays, les règles sont simples. « La discipline, la rigueur, le sens tactique, tout cela est essentiel pour faire des résultats », explique Rehhagel en arrivant sur place, là où les joueurs ne se fixent qu’un seul objectif, révélé par Vassilios Tsiartas à ESPN : « Gagner un match, rien qu’un match. C’est quelque chose que la Grèce n’a jamais réussi à faire lors d’un tournoi majeur. Un match et on aura réussi notre mission. » Pour ça, Otto Rehhagel réunit ses hommes avant la compétition et fait un vœu : « Je veux connaître l’après-rasage utilisé par chaque joueur en Europe. » C’est parti.

« Secouer le monde du football »

De leur voyage réussi en Espagne un an plus tôt, les matelots grecs ont ramené une intime conviction de pouvoir « secouer le monde du football ». À Porto, le 12 juin 2004, il faut les voir se tenir par les cœurs et par les yeux. Le concentré de ce que sera la Grèce lors du championnat d’Europe est là. Chaque match sera préparé de la même manière : imaginer comment détruire le jeu de l’adversaire, quitte à se mettre en position de miroir, et avancer en un bloc défensif solide et adaptable. La première règle posée par Otto Rehhagel est défensive : peu importe où, peu importe quand, l’entraîneur allemand souhaite évoluer avec une supériorité numérique sur le secteur offensif adverse. Cette approche s’explique par une volonté de compenser par la quantité de joueurs alignés un déficit de talents bruts. En ouverture, face au Portugal, cela se traduit simplement : Kapsis est chargé de Pauleta, Seitaridis s’occupe de Simão, et Fyssas contrôle Figo, tandis que Dellas, lui, est seul, en couverture. Le défenseur de la Roma est la voiture-balai de Rehhagel. Tout ça n’a rien de révolutionnaire – bloc bas, fermeture des espaces, un marquage individualisé -, mais est terriblement efficace, surtout face à des Portugais qui ne mettent aucun rythme et n’offrent aucune variété offensive. Il faudra d’ailleurs attendre les arrêts de jeu de la première période pour voir Figo cadrer la première frappe du Portugal : un coup franc. Tout est dit. Rehhagel tient son plan, et la Grèce livre même lors des 45 premières minutes l’une de ses meilleures mi-temps de l’Euro (avec la première contre la France et la prolongation contre la République tchèque). Son jeu long ultra direct (aucune sortie de balle au sol) est rendu efficace par l’excellent début de match d’un Vryzas euphorique, une défense maîtresse dans la profondeur, des ailiers (Giannakopoulos et Charisteas) généreux dans le repli et un Karagounis clinique sur la première occasion de la rencontre.

Puisqu’elle mène 1-0 depuis la septième minute et une passe foireuse de Paulo Ferreira, la Grèce n’a plus vraiment à jouer en seconde période. Son objectif initial de l’Euro sera rempli dans 45 minutes. Scolari, lui, sort dès la pause Rui Costa et Simão pour faire entrer Cristiano Ronaldo et Deco, deux joueurs qui seront ensuite les piliers de son parcours jusqu’en finale. Résultat ? Le Portugal, notamment Ronaldo, va faire apparaître quelques failles dans le marquage en zone grec, qui craque automatiquement lorsque l’un de ses pions est mangé. Problème pour les Portugais, le jeune Cristiano va aussi filer un penalty aux Grecs six minutes après la mi-temps pour une faute sur Seitaridis. Basinas, sorte de Philippe Violeau du Péloponnèse, transforme l’affaire, et la Grèce n’a plus rien à faire, si ce n’est résister : c’est l’art de souffrir à onze. Ce match offre aussi une note précieuse pour le futur de la compétition, car, lors du passage en 4-4-2 du Portugal, Katsouranis glisse aux côtés de Dellas et Kapsis pour s’occuper de Nuno Gomes, entré en jeu. La Grèce va alors défendre pendant 25 minutes de la sorte, en 3-5-2, avec deux centraux en marquage strict, un en couverture et quasiment tout le onze face au ballon. C’est à cet instant précis que cette équipe est plus forte que jamais : lorsqu’une rencontre s’éteint, qu’il est question de rester debout et fier pour ne pas se faire piétiner par les puissants du continent. La Grèce n’est pas un appel à la fête, c’est une ode au sacrifice et au combat sans merci : elle pose sur la table un problème auquel les entraîneurs n’ont alors plus la solution. Et c’est comme ça qu’elle repart de Porto, d’entrée, avec la tête du pays hôte sous le bras (2-1).

Un tel football impose une rigueur de tous les instants et aucune marge d’erreur. En ça, l’Espagne va être le parfait test pour la Grèce, puisque la vitesse de déplacements offensifs de la Roja, pourtant emmenée par un duo Albelda-Baraja assez neutre au milieu (champion d’Espagne et vainqueur de la C3 avec Valence cette saison-là), et sa maîtrise des duels aériens vont neutraliser le plan rehhagelien. Malin entre les lignes, Raúl fait péter à de nombreuses reprises le bloc grec, et sans la maladresse d’Helguera, auteur d’une reprise à l’envers sur un coup franc de Vicente et d’une tête molle aux six mètres, les Espagnols auraient pu se retrouver avec trois points dans les poches et la Grèce, battue lors du troisième match par la Russie, aurait certainement pris la porte. Le but marqué par Morientes à la 28e minute est parfait pour la mise en lumière des limites du système grec : si les éléments offensifs adverses permutent et ne restent pas statiques sur leur position initiale, les pièces du puzzle sont éparpillées (c’est le problème d’un marquage individuel strict). Ainsi, sur l’action, Raúl réussit au départ à éliminer deux joueurs grecs sur une passe, puis Kapsis tente une remise en retrait – une rareté dans la compétition – pour son gardien et la foire. Morientes est à l’affût, 1-0. Ce jour-là, le nul de la Grèce, arraché grâce à un but inscrit par Charisteas à la suite d’une touche et une ouverture délicieuse du magnifique Tsiartas, va être très bien payé. L’entrée de Joaquín à la pause, sur le même modèle que celle de Cristiano Ronaldo lors du premier match, aura, en plus, de nouveau mis en exergue les difficultés de certains éléments en un contre un (Fyssas et Seitaridis ici).

Les maux bleus, ceux qui rendent les gens heureux

Aidée par la victoire du Portugal contre l’Espagne lors du troisième match, la Grèce retrouve alors l’équipe de France en quarts. Les Bleus sortent d’un premier tour plutôt réussi, mais souffrent de nombreuses absences au moment de se pointer à Lisbonne : pas de Vieira, pas de Sagnol, pas de Desailly. Le rôle de Zidane est en question et l’alignement de deux profils similaires au milieu (Makélélé-Dacourt) interroge. On se demande aussi comment Rehhagel va régler l’équation Thierry Henry. En conférence de presse d’avant-match, l’Allemand donne une piste : « J’ai dit aux gars : « N’ayez pas peur si Thierry Henry apparaît dans vos rêves la nuit. » » Henry sort alors d’une saison monstrueuse en club et du titre des Invincibles avec Arsenal.

J’ai dit aux gars : « N’ayez pas peur si Thierry Henry apparaît dans vos rêves la nuit. »

Encore une fois, le roi Otto va simplement se calquer sur le système français et s’adapter. Il pose alors un 3-4-1-2 sur la table, tenu par les consignes suivantes : Kapsis aux basques de Trezeguet, Seitaridis (arrière droit) à la gestion d’Henry, Dellas en couverture, un milieu Zagorakis-Basinas-Katsouranis pour contrôler les déplacements de Zidane et Pirès, Karagounis en soutien d’un duo Charisteas-Nikolaidis. Ce plan va permettre à la Grèce de contrôler le milieu de terrain et de profiter d’une équipe de France déséquilibrée, en partie à cause de la faible implication défensive de ses éléments offensifs, ce qui donne le plus clair du temps un 6+4 où Zidane livre probablement le plus mauvais match de sa carrière internationale.

Les Grecs, eux, retrouvent leur allant de la première période face au Portugal et utilise Fyssas, libre de toute couverture côté gauche, pour créer le surnombre dans le cœur du jeu. La Grèce domine le tenant du titre, défend en avançant, presse haut, cherche à jouer le moins longtemps possible près de la surface et obtient les occasions les plus franches. Barthez est alerté par une première tentative de Nikolaidis (14e), est aidé par son poteau sur une reprise de Katsouranis (15e) et doit de nouveau intervenir sur une frappe lointaine (28e). Juste avant la pause, Fyssas ose une reprise complètement excentrée, que le gardien français doit claquer au-dessus de sa barre. Sans complexe, la Grèce gobe une France stérile, « sur la réserve » (Santini), et aurait pu, avec un vrai finisseur, rentrer aux vestiaires avec un ou deux buts d’avance. Ce match permet aussi de faire ressortir deux éléments : la Grèce a réglé ses soucis défensifs sur coups de pied arrêtés vus lors du premier tour et a une incroyable capacité à provoquer les fautes de son adversaire (23 fautes françaises, dont 9 sur le seul Karagounis, et la qualité bancale des interventions de Dacourt y est pour beaucoup).

En seconde période, la France revient dans le coup et affiche un bloc médian bien plus haut. Si Makélélé passe proche du rouge après une semelle de district sur Zagorakis, il permet surtout aux Bleus de cadrer la Grèce autour de sa surface. Pour ? Pas grand-chose, si ce n’est une frappe d’Henry et une belle incursion de Lizarazu à qui la vie n’a malheureusement pas offert de pied droit. À l’inverse, l’équipe de France va se faire planter en plein temps fort. Sur une merveille de changement d’aile de Basinas, Zagorakis est trouvé entre Pirès et Lizarazu (le côté fort français), réussit un coup du sombrero sur le latéral basque et sert au millimètre un Charisteas qui n’a plus qu’à lâcher la plus belle tête de sa carrière devant Barthez. Sur l’action, il faut noter l’intelligence de Katsouranis, lâché par Dacourt, qui vient passer devant Thuram et donc forcer le défenseur de la Juve à le suivre, abandonnant au passage Charisteas. Clinique.

Vidéo

Derrière, les Bleus se réveilleront un petit peu en fin de match, notamment grâce à la bonne entrée de Saha, mais ça ne suffira pas : le 4-2-3-1 français, système historique des succès des Bleus, a échoué au Portugal, et certaines micro-querelles naissent dans les couloirs, Zidane annonçant sa retraite internationale, Henry se plaignant de transitions « pas assez rapides » (Zizou est ici un peu visé) et Pirès, pourtant meilleur joueur français de la compétition, sortant progressivement du cadre pour des raisons multiples. La Grèce, elle, avance.

« Je n’ai jamais pris un but sur corner »

Et elle se présente avec la même approche en demi-finales face à la République tchèque : Jan Koller et Milan Baroš sont pris en marquage individuel (respectivement par Kapsis et Seitaridis), Dellas est libre… C’est ici le fameux « miroir » . Les Tchèques sont alors les épouvantails de la compétition, ce qui est vrai lorsqu’on s’attarde sur le premier tour des hommes de Karel Brückner (victoire contre les Pays-Bas 3-2 et face à l’Allemagne 2-1), moins sur leur quart de finale. Car si la République tchèque a largement battu le Danemark (3-0), elle a été bousculée dans le jeu. Brücker reste malgré tout un aventurier, porté par son propre carré magique : Galasek pour faire le ménage et enchaîner les fautes tactiques, Rosický, Poborský et Nedvěd pour embrouiller l’adversaire. Le tout sublimé par Baros et Koller, venus au Portugal pour planter (Baros finira meilleur buteur du tournoi avec 5 unités, Koller avec 2 pions). La République tchèque domine d’ailleurs très largement le début de match. Tomáš Rosický touche la barre après trois minutes de jeu, Jankuloski allume un deuxième pétard éteint par Nikopolidis dans la foulée et la Grèce, elle, refuse d’avancer. Ce n’est pas son objectif du jour : la bande de Rehhagel reste dans son camp, balance des sacoches sur lesquelles Vrzyas et Charisteas n’existent pas, et Ujfalusi se régale. Il va d’ailleurs se goinfrer pendant 104 minutes. Dans son coin, Pavel Nedvěd fout le bordel, mais le drame arrive : sur une tentative de reprise, le prince se blesse en se heurtant à Katsouranis et sort quelques minutes plus tard dans un combo larmes-boitillements déchirant. Qui sait ce que serait devenu Nedvěd (Ballon d’or 2003) sans cette blessure et cette finale de C1 manquée en 2003 ?

Qui sait surtout ce que serait devenue cette demi-finale d’Euro ? Personne. Tout le monde sait, en revanche, la forme qu’elle a prise : les Grecs ont continué à résister, à remporter leurs duels directs, à s’offrir quelques phases de possession stérile pour résister, à gratter des fautes (encore 27 !) et ont laissé Pierluigi Collina afficher un arbitrage ultra flexible. Engagée comme rarement, cette demi-finale a été un duel de chasseurs de prime, que Galasek aurait pu rapidement quitter, et qui s’est donc terminée sur un but en argent. Signe que la Grèce a énervé les gens, cette règle a été supprimée directement après la compétition et le but décisif inscrit pas Dellas dans les arrêts de jeu de la première période de la prolongation. Il faut noter que la République tchèque a eu des occasions énormes en fin de match, mais aussi qu’elle a complètement abandonné le jeu lors de ces quinze minutes supplémentaires, dominées par la Grèce. Puis, l’histoire, Ujfalusi qui concède un corner, Dellas qui coupe au premier poteau… « Cela fait trois ans que je suis à la tête de la sélection, nous avons joué 30 matchs et je n’ai jamais pris un but sur corner », souffle Karel Brückner après la bourrasque. Rehhagel, lui, ne se cache pas : « Ce ne sont pas toujours les meilleurs qui gagnent. » « Nous avons battu la France, les Tchèques et nous avons éliminé l’Espagne, pourquoi ne pourrait-on pas continuer ? » interroge de son côté Fyssas, qui résume ensuite la philosophie de son camp : « En finale, nous allons tout faire pour arrêter le Portugal. »

Le renard et les héros

La Grèce a déjà joué le Portugal et sait alors qu’il lui faut repenser son système.

À la 91e minute de la finale, la Grèce obtient un coup franc dans le camp portugais. Dellas se précipite et balance une mine au-dessus du but de Ricardo. Personne ne doit redonner aussi rapidement et facilement le ballon à un adversaire lorsqu’il mène en finale d’un Euro. La Grèce, si, comme si elle voulait souffrir à onze une dernière fois.

Pauleta seul en pointe, Rehhagel repasse à deux hommes derrière et autorise de nouveau Seitaridis à bouffer son couloir. Ainsi, il peut également renforcer son milieu et reposer le 4-3-3 modulable du premier tour, avec Giannakopoulos. Cette approche permet de se calquer sur le milieu portugais (Costinha, Maniche, Deco), de compenser la suspension de Karagounis et de contrôler les incursions de Figo et Ronaldo. Contrairement au match d’ouverture, les Portugais veulent cogner vite et bien. Alors, ils cherchent à mettre de l’intensité, du rythme et à forcer les duels techniques. Le Portugal est plus équilibré que la République tchèque et fait davantage mal à la Grèce, qui peut malgré tout s’offrir des situations de transitions grâce aux nombreuses montées de Miguel (excellent pendant 40 minutes, le latéral de Benfica s’est ensuite blessé). Les Grecs souffrent dans le jeu, mais affichent quelques belles séquences, dont une exceptionnelle qui conduit à une belle occasion pour Charisteas, sauvée par une bonne sortie de Ricardo. Les deux collectifs sont cohérents et se quittent avec un 0-0 logique aux citrons.

Vidéo

Reste qu’Otto Rehhagel a fait ses devoirs et a noté que le Portugal affichait quelques faiblesses sur les coups de pied arrêtés défensifs. D’où le fait que depuis le début de la rencontre, la Grèce cherche systématiquement à trouver la surface portugaise sur les coups francs et les touches. C’est de là que va évidemment arriver la bombe : une tête sur corner de Charisteas, bien aidé par le jeu de corps de Vryzas sur Ricardo. « Je connais bien Rehhagel. C’est un vieux renard. Il peut créer la surprise », prophétisait Arsène Wenger en début de compétition. Nous y voilà. Derrière, c’est l’installation des barricades. Ce n’est plus une question de football, mais une histoire de fierté, de sueur. À un quart d’heure de la fin, Otto Rehhagel fait entrer un deuxième arrière gauche (Venetidis) et demande à ses hommes de défendre à huit dans la surface. Le Portugal n’y arrive pas, Scolari, héros par ses changements lors du quart de finale contre l’Angleterre, préfère sortir Pauleta plutôt qu’un milieu pour faire entrer Nuno Gomes. Seul Figo, grâce à un subtil exploit technique, va réussir à se créer une véritable occasion en fin de match. Et c’est sur tout un symbole que se termine cet Euro. À la 91e minute de la finale, la Grèce obtient un coup franc dans le camp portugais. Dellas se précipite et balance une mine au-dessus du but de Ricardo. Personne ne doit redonner aussi rapidement et facilement le ballon à un adversaire lorsqu’il mène en finale d’un Euro. La Grèce, si, comme si elle voulait souffrir à onze une dernière fois. C’est le sens du tragique de cette équipe, dont le malheur est d’avoir remporté cette compétition. Son crime ? Avoir été humaine et pragmatique. C’est une erreur de lecture : les petits méchants Grecs de 2004 sont des héros.

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Cet article est le premier épisode d'une série de 10 articles consacrés à des grands matchs ou des grandes équipes de l'histoire.

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