- Ligue des champions
- 1/2 finales aller
- Juventus/Real Madrid (2-1)
Les leçons tactiques de Juventus-Real Madrid
À la suite de cette bataille tactique italienne entre Allegri et Ancelotti, c'est le moins expérimenté des deux qui se retrouve en position favorable avant le match retour. Si le score n'est que de 2-1 et si le Real Madrid a marqué un but précieux à l'extérieur, la partie d'échecs a été largement remportée par la Juventus. La mauvaise lecture du match d'Ancelotti pourrait coûter cher au Real, alors qu'Allegri a confirmé les facteurs-clés de ses succès jusque-là : des changements d'attitudes tactiques en cours de match et la maîtrise de deux schémas différents aux objectifs opposés.
On joue les premières secondes de jeu, et la Juventus montre d’entrée que ces grands rendez-vous lui manquaient comme jamais auparavant. Première action dans la forteresse du Stadium : le pressing lancé par un Vidal conquérant pousse le ballon madrilène dans les pieds fébriles de Casillas, qui dégagent maladroitement. Marchisio récupère et sert le Chilien en position de tir. Première occasion. Une minute et trente secondes de calme plus tard, le marquage de Bale est trop large sur Pirlo, qui trouve très facilement un Tévez qui se démarque une première fois entre les lignes rigides du 4-4-2 d’Ancelotti. Deuxième occasion : l’action se termine sur la première frappe du match, par Sturaro. À chaque relance, Buffon surprend l’organisation madrilène en contre-attaquant très rapidement à la main, et le Real se fait déséquilibrer par les remontées de Tévez.
Puis viennent les premières erreurs du match : une mauvaise passe de Pirlo force Bonucci à prendre un jaune pour arrêter une percée de Bale, mais le coup franc de Cristiano est repoussé. Côté madrilène, ces erreurs se multiplient : Bale et Marcelo manquent grossièrement leurs centres et Ramos rate une transmission facile. À la suite de ces erreurs, c’est la Juve qui réagit le plus vite. En partant d’une possession lancée par Lichtsteiner, un nouvel appel profond de Tévez surprend les Madrilènes. Casillas ne peut capter sa frappe croisée et Morata ouvre le score. Isco et Kroos répondront par des frappes lointaines, mais c’est trop tard : Ancelotti s’est laissé surprendre par l’entame de match courageuse d’Allegri.
Une Juve ambitieuse puis prudente, mais toujours compacte
Au Stade Louis-II, la Juventus avait étonné et inquiété par le manque de sérénité de sa protection défensive. Si le bon travail de ses trois excellents centraux avait suffi pour écarter la menace monégasque, la formation turinoise ne s’était pas montrée à la hauteur du rendez-vous sur de nombreux secteurs : devant la défense, où Pirlo ne suffisait pas face à Kondogbia, mais surtout dans la conservation, où la distance séparant le duo Tévez-Morata du reste de l’équipe avait abouti sur des pertes de balle à répétition et 60% de possession pour les hommes de Jardim. Mardi soir, la Juventus a lancé son match de manière bien plus ambitieuse que lors de ses derniers rendez-vous, prenant à la gorge la relance madrilène. Mais après avoir débloqué le score, il a surtout été intéressant d’observer les habiles transitions de jeu d’Allegri, entre un pressing ambitieux et un repli défensif complet très prudent. À la perte du ballon, la Juventus recule rapidement pour reproduire le schéma de l’Atlético – « notre objectif » d’après Pirlo – et ne laisser aucun espace à la vitesse madrilène, comme contre Monaco. Si Lichtsteiner, toujours limite dans une défense à quatre, prend plus de temps que les autres et laisse souvent Marcelo ouvrir les brèches, le reste de la formation est appliqué, à commencer par les soldats du milieu : Marchisio, Sturaro et Vidal. Compact et mobile, le bloc turinois ne peut que se laisser déborder par des changements de côté.
Alors que la Juve mène et continue à agresser la relance blanche, la 24e minute est un tournant : à la suite d’une passe somptueuse d’Isco et d’un appel réussi de Cristiano dans le dos des Turinois, Allegri abandonne l’idée d’une position haute de sa défense, et limite l’ambition à un but d’avance. La Juventus recule définitivement, quitte à subir la largeur des offensives madrilènes, ses centres et sa présence dans la surface. Deux minutes plus tard, Ancelotti rappelle à ses compatriotes que Cristiano et James Rodríguez sont autre chose que la paire Martial-Bernardo Silva. Un partout. Mais la leçon tactique est ailleurs : Allegri a construit une formation docile et réactive, des cinq premières minutes de pressing intense au recul qui suit le premier appel de CR7, en passant par les cinq minutes de fautes à répétition au retour des vestiaires et au changement de schéma tactique immédiatement après l’entrée en jeu de Chicharito.
Le 4-4-2 d’Ancelotti, de la souplesse à la rigidité
La deuxième partie de la première période est le moment fort du match du Real Madrid, le seul lors duquel on aurait pu croire à un grand match des hommes d’Ancelotti. Par peur de la vitesse de Cristiano et Bale, par réflexe après l’ouverture du score ou par respect des consignes d’alternance d’Allegri, la Juve recule et oublie de contraindre l’élaboration madrilène. Lorsque le Real se place dans les trente derniers mètres, tout semble plus facile. Les présences de James, Isco, Marcelo et Kroos – quatre meneurs de jeu, grosso modo – forcent les situations dangereuses et le numéro 10 colombien est tout proche de mettre le tenant du titre en position très favorable sur sa tête qui heurte la transversale. Mais alors que le Real Madrid n’a pas à se forcer pour atteindre la surface adverse, les hommes d’Ancelotti ont déjà des difficultés à gérer la phase défensive, d’où une domination ralentie.
La saison dernière, à ce stade de la compétition, c’est bien la souplesse du 4-4-2 d’Ancelotti qui avait étonné le monde entier face au Bayern. Un schéma en trois lignes, simpliste, qui semblait pourtant lier les joueurs par des élastiques. Souple et dense, solide pour subir et rapide pour réagir, le Real était difficile à interpréter. Mardi soir, ce 4-4-2 est tombé dans ses travers. Que ce soit Tévez, Vidal ou même Morata, les armes offensives turinoises n’ont eu aucun mal à se situer entre la paire Kroos-Ramos et la défense centrale madrilène. En première période, Ramos a d’ailleurs semblé perdu à de nombreuses reprises, pris au dépourvu par les déplacements de Tévez. À gauche, Isco a paru esseulé face à Lichtsteiner et Marchisio, tandis que Cristiano trottinait. Et l’autre trou du schéma, dans l’axe devant Kroos et Ramos, a permis à Pirlo d’avoir quelques instants supplémentaires pour aider la relance des siens, à défaut de la diriger. Bien trop rigide, ce 4-4-2 n’a jamais montré les solutions nécessaires pour limiter l’impact de Tévez et Pirlo, les deux éléments les plus importants des manœuvres offensives italiennes. Comme si Ancelotti s’était trompé d’équation, chose rarissime.
Les limites de l’élaboration madrilène
Mais la cause de cette raideur n’est pas à chercher dans le schéma à proprement parler. C’est son interprétation qui a été erronée : les mouvements de Gareth Bale et de Sergio Ramos ne sont jamais parvenus à atteindre la compréhension du jeu de ceux de Karim Benzema et Luka Modrić l’an passé, tous deux absents mardi soir. Deux instruments jouent faux, et le concert est à jeter. D’une part, Bale a été – une nouvelle fois – un handicap pour la manœuvre madrilène. Trop lourd pour presser la zone de confort de Pirlo, trop lourd pour jouer vite et sans espace pour accélérer, Bale a dû se demander où se placer durant toute la seconde période. Rien à voir avec un Benzema à l’aise dans l’axe, qui aurait pu mettre Pirlo en difficulté et libérer Cristiano du marquage de Bonucci. Aurait-il fallu placer James dans l’axe ? D’autre part, le choix de Sergio Ramos au milieu a vite sonné faux, tant l’Andalou n’a pas réussi à prendre ses marques devant la défense, se plaçant systématiquement sur le côté d’un Kroos qui, peut-être, ne voulait pas le laisser seul. Pourtant, le 4-3-1-2 italien était destiné à souffrir des renversements de jeu espagnols. Et ces derniers auraient pu être décisifs, mais l’Andalou était dans un mauvais jour, sans raison apparente pourtant (pas de pressing en deuxième période). Avant le match, Juanma Lillo avait justifié ce choix dans El Confidencial, affirmant qu’ « il faut se souvenir que le Real Madrid est l’un des grands d’Europe qui utilisent le moins le milieu de terrain pour créer des occasions » . Ramos au milieu devait permettre à Kroos, Isco et James d’offrir leurs pieds à l’élaboration du jeu sans la compromettre.
Pertinent : Lillo avait aussi raison lorsqu’il affirmait à propos de Ramos que « même si c’est un footballeur qui est plus formé pour annuler les actions que pour les provoquer, Ramos est habitué à jouer derrière le ballon et il a un certain critère dans ses décisions. Sergio devant la défense n’est pas un poulpe dans un garage » . Seulement, Allegri a fait en sorte de plonger le garage dans le noir. Face à l’Atlético en finale de Ligue des champions, Carletto s’était retrouvé face à une équation similaire : devoir créer beaucoup dans un espace très réduit. À la 59e, Ancelotti avait remplacé Coentrão par Marcelo, et Khedira par Isco. De la verticalité remplacée par du jeu, des passes horizontales, du contrôle. Mardi soir, le Mister a préféré lancer Hernandez et Jesé, deux exécuteurs d’actions, à la place d’intensifier l’élaboration. Si Illarramendi n’était pas la solution adéquate, il ne la sera jamais. Mais Isco aurait été utile face à ce bloc reculé. Comme toujours dans ces situations d’élaboration sans invention, il en a fallu peu pour que l’adversaire joue avec les idées claires : à chaque ballon récupéré, la Juventus a trouvé des solutions. Et elle peut remercier la conservation de balle légendaire de Tévez.
Balle au centre, mais au Bernabéu
Finalement, le Real Madrid a généré trois occasions : celle du but, la transversale de James et la talonnade de Chicharito pour Cristiano dans la surface. Trois situations qui sont toutes nées de l’association contextuelle entre des centres et de la présence dans la surface. À Turin, Ancelotti a donc échoué à mettre son Real Madrid dans les conditions de faire briller ses propres qualités. Pour résoudre l’équation d’Allegri au Bernabéu, il faudra non seulement profiter de ces actions de circonstances, mais aussi forcer une dynamique qui favoriserait le jeu madrilène, les espaces et sa vitesse. De son côté, Allegri devra empêcher cette possibilité sans laisser ses centraux à la merci d’une répétition de centres dangereux. Sa Juve n’a cessé de s’adapter et de défendre intelligemment, mais elle n’a pas créé plus de danger que son adversaire, ce qui pourrait la condamner au Bernabéu. À Madrid, Allegri devra donc montrer un profil plus ambitieux que prudent s’il veut se qualifier et surtout passer un cap.
Par Markus Kaufmann
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