- Ligue des champions
- 1/4 finale aller
- Juventus Turin/Monaco (1-0)
Les leçons tactiques de Juventus-Monaco
Jardim et ses soldats avaient tout bien fait, du plan de jeu parfait à sa réalisation, et se sont inclinés par manque de chance plutôt que par manque de qualités. Un bilan gratifiant pour une ASM limitée, mais pas forcément inquiétant pour une Juve qui a su se réajuster à deux reprises en cours de match sous les ordres d'un Allegri inspiré. La Vieille Dame peut sourire : elle a tenu et marqué. Et tant pis si elle n'est pas parue très voluptueuse.
Allegri aborde ce quart avec les intentions et la méthode qui lui ont permis de mener jusque-là une belle conquête de l’Italie. Pogba n’est pas là, mais Pirlo répond présent dans ce 4-1-2-1-2 qui intègre Vidal et Marchisio au cœur du jeu, Pereyra entre les lignes et la doublette mobile Tévez-Morata. Dans la structure ordonnée par Jardim, Martial joue seul face au reste du monde en pointe, et Moutinho occupe un rôle de meneur de jeu sans ballon. Sur les côtés du 4-4-1-1, Dirar et Ferreira Carrasco courent partout. Toulalan n’est pas là au milieu, et c’est donc la paire Kondogbia-Fabinho qui protège l’axe. Cette ASM est construite pour subir et repartir, mais toujours en contrôle : Moutinho, positionné dans la zone de Pirlo, ne fait que gêner l’architecte, mais ne vient jamais l’agresser. Les replis sont très rigoureux, les marquages ne divaguent pas, et les contres arrivent rapidement. Et en plus de bien préparer ses matchs, Jardim est honnête dans son analyse : « Ça s’est bien passé pendant les 20 premières minutes, avec une bonne qualité de jeu. Après, il y a eu une réaction de la Juventus dans les 25 autres minutes. En seconde période, ça a été l’inverse, la Juve a été meilleure au début et on est revenus dans les 20 dernières minutes. On a perdu 0-1, sur un penalty inexistant. » Trois parties, donc : piège monégasque, domination italienne et réaction française.
Le piège monégasque
Monaco rime avec luxe, soleil et soirées princières, mais son football préfère le travail et la concentration. Partant des méthodes de la périodisation tactique de l’école universitaire portugaise, Jardim a réussi à monter un ensemble que l’on pourrait qualifier d’ « organisation défensive faite de technique et d’intelligence, qui peut devenir très dangereuse avec un peu de vitesse » . Un football joué avec quatre défenseurs dont la mission est strictement défensive, certes. Un football qui transforme deux ailiers en milieux latéraux, évidemment. Et un football qui aurait préféré conserver James Rodríguez plutôt que Moutinho. Mais Jardim s’adapte et rappelle les bons mots de son prédécesseur Claudio Ranieri : « Vous, vous avez la possession. Moi, Italien, je m’en fous. Vous pensez que vous dominez. Mais si en fait, moi, je vous attirais dans un piège ? » La conduite de balle de Martial occupe l’attention de trois Turinois, Ferreira Carrasco est un drôle de cow-boy, mais n’est jamais rattrapé, et Dirar anticipe très intelligemment. En tout, la ligne offensive des Bleus aura intercepté 10 ballons et aura toujours suivi en punissant la Juve d’au moins un tir. 16, au total, contre 13 pour son adversaire. Au bout de 20 minutes, la Juve a le ballon dans les pieds, mais seul Monaco sait comment l’utiliser. Le prix à payer ? Le travail défensif épuisant de Ferreira Carrasco et Dirar (qui sortira dès la 50e) pour suivre Vidal et Marchisio sur les côtés. Offensivement, c’est leurs appels qui forcent Lichtsteiner et Évra à jouer timidement. Une statistique valide à elle seule leurs superbes partitions (ainsi que la performance aérienne d’Abdennour) : 21 centres tentés pour la Juve, 3 réussis.
Analyse du mouvement turinois
Qu’est-ce qui a changé lors de la deuxième partie de la première période ? La mobilité turinoise. Sous l’ère de Conte, les courbes que dessinait le 3-5-2 étaient telles que le mouvement survivait largement à la structure. Le schéma semblait mouvant, et Lichtsteiner et Asamoah finissaient toujours par partir dans le dos du latéral gauche adverse. C’était intégré. Dans un milieu en losange, le mouvement doit venir des joueurs. S’il a manqué lors du début de match, Allegri a corrigé le tir, approximativement à partir de la 23e minute. Tévez se transforme en milieu, et Pereyra s’exile sur les deux côtés, retrouvant sa nature d’ailier plutôt que celle de « trequartista à la Boateng » . Lors des dix minutes suivantes, ce mouvement semble plutôt désordonner les offensives turinoises que l’organisation monégasque, mais il a l’avantage de fluidifier la possession d’Allegri et de créer quelques positions de tirs lointains et des centres.
Surtout, la Juve manœuvre de plus en plus haut, et c’est ainsi que son pressing fait la différence : si Kondogbia parvient toujours à faire respirer le jeu avec une qualité étonnante (4 tirs, 4 fautes subies, 3 passes clés, 4 dribbles réussis), Moutinho est moins à l’aise entre les lignes (malgré la précision indispensable du Portugais : 5 centres réussis sur 6 mardi soir). Monaco perd le ballon de plus en plus vite et de plus en plus loin du but adverse. Dans l’axe, les Italiens jouissent de la supériorité numérique que lui donnent les déplacements de Tévez. Et Pirlo en profite alors pour opérer quelques changements de côté inspirés, tout comme un Marchisio très précis. Derrière, Bonucci est un vrai poumon. Un but vient presque récompenser l’animation offensive d’Allegri : si Tévez marque sur sa reprise ou si Vidal place son enroulé du droit sous la barre quelques instants avant la mi-temps, on parlerait d’une Juve aux belles formes. Mais la Vieille Dame gâche ses occasions. 76% de possession, mais 8 tirs partout. À la mi-temps, Subašić est le Monégasque qui a réalisé le plus de passes : 19, contre les 58 de Pirlo.
Le penalty au pire moment
Dix minutes après la reprise, le travail de l’ombre de Morata paye enfin : l’Espagnol pousse Carvalho à la faute. Une faute indiscutable, quoique involontaire, mais à l’extérieur de la surface. L’œil humain ne peut éviter de siffler penalty, et Vidal efface ses longs mois de récupération avec une lucarne. 1-0 : consécration de la bonne phase de la Juve, ou épisode isolé ? Difficile de trancher. Pour Monaco, c’est d’autant plus difficile à accepter que Jardim entamait une seconde phase d’intensité à ce moment-là. Effectivement, à la 50e, le Portugais avait changé ses cartouches : Dirar quittait la pelouse après 6 interceptions en 50 minutes, et Bernardo Silva entrait en scène. Mais à 1-0, Monaco doit donc gérer le ballon avec un schéma de contre. Les premières manœuvres longues ont lieu à la 62e, et sont loin d’être maladroites. Fabinho n’est pas gêné devant la défense, Kondogbia et Moutinho créent devant lui, mais le trio offensif est bloqué par le boulot de Vidal et Marchisio. Monaco se montre tout de même dangereux à deux occasions : une nouvelle interception haute de Kondogbia, enchaînée par une belle frappe, et un raid enchanté de Bernardo Silva sur le côté. Toujours les mêmes armes, donc.
Monaco se relève, mais Allegri tacle
Jardim modifie sa configuration à la 70e avec la sortie du capitaine Raggi et laisse deviner ses idées du match retour. Entrée du merveilleux Berbatov en pur numéro 9, Martial se décale sur le côté droit et Fabinho remplace Raggi en arrière droit. Devant la défense, la paire Kondogbia-Moutinho nettoie, tandis que Bernardo Silva est le créateur du 4-2-3-1. Mais alors que l’organisation promet, Allegri anticipe brillamment dans la foulée. Trois minutes plus tard, tout juste le temps de concéder une tête dangereuse de Berbatov, le Turinois fait sortir Pirlo et entrer Barzagli. La défense à trois se charge de Berbatov. Lichtsteiner et Évra montent d’un cran pour faire facilement reculer les ailiers monégasques, orphelins des combinaisons de leurs latéraux, qui viennent de passer 70 minutes à défendre dans leur propre camp (Kurzawa tentera deux montées timides en fin de rencontre). Enfin, dans l’axe, le trio Vidal-Marchisio-Pereyra annule tout, porté par l’intensité d’un Chilien hyperactif (7 tacles réussis, 2 interceptions, 4 fautes commises). Monaco gagnera donc le ballon, et la Juve finira par souffrir chez elle, mais Jardim ne parviendra jamais à imprimer un nouveau rythme à cette rencontre. Les entrées de Matheus, Sturaro et Matri ne changeront rien. Au stade Louis-II, la mission sera de réaliser un nouveau chef-d’œuvre tactique tout en dégoûtant la faim d’espaces des enjambées de Tévez et Morata.
Par Markus Kaufmann
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