- C1
- 8es
- Juventus-Lyon (2-1)
Les leçons tactiques de Juventus-Lyon
Alors que l'Europe avait les yeux tournés vers Manchester, la France a vu l'Olympique lyonnais écrire une page d'histoire et devenir le premier club français vainqueur d'une double confrontation face à la Juventus. S'il est tentant de résumer l'exploit des hommes de Rudi Garcia à la réussite du plan défensif du technicien français, cela serait réducteur : l'OL, battu à Turin (2-1), mais qualifié, aura surtout réussi à tenir en poussant la Vieille Dame sur ses points faibles et aura vécu une nuit en tuant les grandes vagues attendues.
Filtre au bec, Maurizio Sarri sautille. On ne joue que depuis quelques secondes, et le sexagénaire, qui avait demandé lors de l’apéro médiatique à ses joueurs d’être « lucides et froids », assiste à ce qu’il pense être une déclaration d’intention : le premier mouvement turinois du soir. Sur un dégagement de Szczęsny, Maxwel Cornet dévie maladroitement de la tête entre deux – Marçal et Marcelo – des trois centraux lyonnais, zone où Gonzalo Higuaín vient fourrer son nez avant de remettre en retrait vers Bernardeschi. À cet instant, l’OL se fissure, et Bentancur est trouvé au cœur du milieu à trois têtes de Garcia (Aouar, Guimarães, Caqueret), endroit d’où l’Uruguayen va faire pivoter le jeu vers la gauche. Dubois sorti sur Ronaldo, Caqueret dépassé sur la séquence et alors que Denayer décide de défendre en reculant, Rabiot peut chercher Higuaín à l’entrée de la surface. Peur d’entrée sur l’OL, mais Marçal intervient parfaitement et contre la reprise de son grassouillet vis-à-vis. Anthony Lopes ne panique pas : ce décalage va être l’un des seuls réussis d’une première période où un piège s’apprête à se refermer sur le bec de la Juventus.
Un piège étiqueté ainsi par Rudi Garcia 90 minutes plus tard : « Il s’agit de ma défaite la plus belle en Ligue des champions. » La plus belle, vraiment ? Il y a de ça, oui, sachant qu’au cours de sa carrière, le Patrick Swayze de Nemours est souvent ressorti des grands cols avec les jambes sciées et la langue pendante. Alors qu’on pouvait s’attendre à voir son OL souffrir sous les vagues turinoises, Garcia a réussi à poser sur la table du champion d’Italie un bloc compact, courageux, mais aussi joueur, avec ses défauts, mais aussi de belles qualités. S’il est tentant de simplifier la réussite du plan lyonnais à la physionomie de la rencontre, Memphis Depay ouvrant le score avec une panenka couillue après douze minutes de jeu et forçant la Juventus à planter trois fois pour voir Lisbonne, ce serait ici trop simple. Bien trop simple. Car à Turin, Lyon ne s’est pas contenté de marquer et de fermer la boutique avant de se pavaner avec la première élimination de la Juve sur un aller-retour obtenue par un club français. Au contraire, l’OL a débarqué en Italie avec un plan précis et a poussé la Vieille Dame dans ses propres failles. Un plan découpable en trois parties : pose du piège, réaction de la victime et gestion intelligente des derniers souffles de l’adversaire.
La pose du piège
À l’aller, fin février, Rudi Garcia avait décidé de ne pas attendre la Juve et de la regarder dans les yeux. Cinq mois plus tard, le coach lyonnais a renouvelé cette demande auprès de ses hommes, avec quelques petits ajustements, mais en conservant l’idée qu’une qualification s’obtiendrait avec un pressing généreux et malicieusement coordonné sur plusieurs étages. Comme face au PSG en finale de la Coupe de la Ligue, l’OL a notamment été capable de rapidement boucher les espaces d’entrée, avec un bloc assez haut tout en subissant moins les prises de balle des ailiers adverses (Bernardeschi et Ronaldo) que face aux décrochages de Neymar et Di María. Constat froid et rapidement visible : cette Juve a été moins bien armée que le PSG pour gêner offensivement l’Olympique lyonnais et a eu moins de menaces que les Parisiens à l’intérieur du jeu, Bernardeschi et Cristiano Ronaldo n’étant pas aussi dangereux que Neymar et Di María lorsqu’ils sont posés à 35-40m du but adversaire et les relayeurs turinois (Rabiot et Bentancur) ayant des profils qui posent problème sur plusieurs séquences.
Comme à l’aller, la structure défensive lyonnaise a rapidement été identifiable avec comme premier objectif de couper l’alimentation de Miralem Pjanić, seul garant de la créativité du milieu turinois, grâce au duo d’attaquants de Garcia, Memphis Depay et Karl Toko-Ekambi. À Turin, Toko-Ekambi a été la seule demi-surprise du onze lyonnais, et sa présence s’explique facilement par la volonté de l’OL de jouer les transitions et les contres, mais aussi de mettre plus de pression qu’avec Moussa Dembélé sur une paire De Ligt-Bonucci fébrile. À la 9e minute, ce choix s’est d’ailleurs justifié par les faits lorsque Depay a été à l’entrée du dernier tiers turinois sur une déviation de Cornet, qu’il a bougé De Ligt à l’épaule et a ensuite vu Toko-Ekambi profiter de ce duel gagné pour percuter. Derrière : projection de Caqueret sous le nez d’Alex Sandro, ballon mal renvoyé de la tête et Aouar a alors fait monter le premier frisson de la nuit le long du cou de Szczęsny. Mieux, cette première secousse a été suivie une trentaine de secondes plus tard par un ballon parfaitement mordu par Marcelo sur les côtelettes d’Higuaín, bien exploité par Caqueret et qui a débouché sur un penalty gratté par Aouar dans les pattes de Bernardeschi. Pas mal de l’OL conquérant est sur cette séquence : pressing haut qui permet de casser la sortie de balle adverse, facilité à jouer entre les lignes et capacité à se jouer de l’adversaire grâce à des dribbleurs nés.
La Grande Vague d’Hokusai n’est pas tombée sur les yeux de l’OL
Aux manettes, l’OL a alors pu mettre en place son piège autour de la Juve en faisant varier la hauteur de son bloc par rapport à la finale de la Coupe de la Ligue. Cette fois, Denayer et Marçal ne sont pas sortis aussi haut sur les ailiers adverses et une ligne de cinq têtes s’est clairement mise en place. Triple objectif : protéger la profondeur, fermer l’intérieur – où l’OL était en supériorité numérique (3v2) – et pousser la Juve à passer sur les côtés, donc à multiplier les centres. Si l’OL a joué plus bas que face au PSG et qu’il a un peu plus subi, il n’a en aucun cas vu La Grande Vague d’Hokusai lui tomber sur les yeux. Au contraire : au cours de la partie, la Vieille Dame a tenté 39 centres et n’en a réussi que 8. Ce qui a confirmé deux choses : d’abord que l’OL possède avec Marcelo et Denayer (6 ballons renvoyés chacun) deux types capables de renvoyer efficacement les centres adverses ; ensuite que cette Juventus, ce qui est triste à constater lorsqu’on se souvient du Naples de Sarri, est systématiquement sans solution lorsqu’elle affronte un bloc bas, car incapable de changer de rythme. Sans Dybala, c’est alors le grand vide, et Bernardeschi, posé côté droit, est un homme mystérieux, au registre hyper limité et dont l’apport au jeu est de la poussière (cette saison, il n’a délivré que trois passes décisives et n’a inscrit que deux buts toutes compétitions confondues). Néanmoins, c’est lui, individuellement, car hors des coups de pied arrêtés, la Vieille Dame n’a su avancer qu’ainsi, qui n’est pas passé loin de remettre la Juve sur les rails en s’offrant un slalom hirscherien côté droit, finalement sauvé par Marcelo.
Pour le reste, où a-t-on vu le gang de Sarri ? Quasiment nulle part, si ce n’est sur quelques ballons touchés dans les airs par Ronaldo (20e) ou Higuaín (37e), et sur un coup franc du Portugais boxé par Lopes (40e). Dans le jeu, la Juve a rendu un nouveau brouillon, Pjanić étant bien contrôlé par les attaquants lyonnais et s’attachant surtout à bien contrôler la poupée folle de l’aller (Guimarães), là où Rabiot et Bentancur n’ont jamais su profiter des espaces laissés dans le dos d’Aouar et Caqueret pendant qu’Alex Sandro et Cuadrado n’ont rien apporté. Symbole de l’impuissance de la troupe : l’entrée forcée de Dybala, qui n’a pu tenir que treize minutes avant de partir pleurer sur le banc et qui n’aura pu délivrer qu’un bon corner pour Cristiano Ronaldo. En achetant le Portugais, la Juventus rêvait de pouvoir enfin s’offrir la troisième C1 de son histoire, mais a oublié de construire autour de lui. Une photo permet d’illustrer l’évolution du onze turinois. En 2015, la Juve a défié le Barça à Berlin avec l’un des milieux les plus joueurs d’Europe (Pirlo, Pogba, Marchisio, Vidal). Aujourd’hui, elle se bat en son cœur avec un milieu déséquilibré, vidé de sa créativité et qui a peiné à contenir les quelques décollages techniques de son homologue lyonnais. Un môme de 20 piges, lui, a montré qu’il pouvait tout faire : gérer le rythme, intercepter, dribbler et offrir de la personnalité. Il s’appelle Maxence Caqueret et a rendu une feuille de match plus que propre : 3 tacles, 3 interceptions, 5 passes adverses bloquées, 4 dribbles réussis (deuxième meilleur dribbleur du match derrière Aouar), plus de 85% de passes réussies…
Jeff Reine a remis des glaçons
Sur le papier, le milieu Aouar-Caqueret-Guimarães est très joueur et vendredi soir, face à une Juventus souvent incapable de récupérer le ballon et de le sortir proprement, ces trois hommes, notamment les deux premiers, ont pu combiner à plusieurs reprises (49 passes réussies par les Lyonnais dans le dernier tiers adverse en première période contre 26 pour la Juve) à l’intérieur du jeu et permettre à l’OL de passer du temps dans le camp adverse. Ce secteur de jeu est aussi l’axe de progression principal des Lyonnais, qui doivent mûrir dans la relation entre les centraux et les milieux. Comme face au PSG, l’OL a parfois rendu trop rapidement le ballon et sauté les lignes, ce qui peut s’expliquer par le fait que Dubois et Cornet peinent à sortir sous pression et à apporter de la profondeur aux sorties de balle lyonnaises. Problème : cela a donné quelques biscuits à la Juve en début de seconde période et a par exemple permis à Ronaldo de sortir sa baguette pour nettoyer la lucarne de Lopes à l’heure de jeu. C’est alors à cet instant que Rudi Garcia a aussi réussi son match en faisant entrer Jeff Reine-Adélaïde, qui a permis à l’OL de respirer en gagnant des mètres et en obtenant des fautes loin de son but. À un moment du match tendu pour les Lyonnais, le poumon de Rivière-Pilote a bu la pression et a amené énormément de personnalité, alors qu’Aouar commençait à marquer le pas physiquement. Conséquence : l’OL a su résister, a été grand au moment où il a fallu être grand et a su tenir lorsqu’on l’imaginait tomber du fil sur lequel tenait ce huitième de finale retour. La Juve, elle, est tombée, déréglée, incapable d’amener le grain de folie nécessaire qui lui avait permis de retourner l’Atlético en mars 2019. Ronaldo ne peut pas tout faire tout seul et Sarri peut hurler qu’il n’a rien à « redire de la prestation » de ses hommes vendredi soir. La vérité est que ce match a été l’examen final pour lui d’une saison compliquée dans le jeu, durant laquelle la Vieille Dame s’en est souvent sortie grâce ses individualités, mais sans réussir à faire exploser son bloc.
Lyon a réussi à passer grâce à son plan, mais aussi – et surtout ? – aux failles de la Juve : aucun débat là-dessus. Désormais, Garcia et sa bande vont filer à Lisbonne et y retrouver Manchester City, monstre qui admire Houssem Aouar et que l’OL va devoir affronter sans Maxwel Cornet. Ainsi, le technicien français va devoir redessiner une partie de sa défense et a une question devant lui : faut-il lancer dans le bain Melvin Bard ou faut-il décaler Marçal au risque de faire entrer dans le onze un Andersen qui ne rassure personne ? « Peu de gens nous pensaient capables de le faire, mais on l’a fait, savoure pour l’instant la mèche de l’OL. C’est une belle chose, mais il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. L’OL est en quarts de la C1. On ira en outsiders et ça nous ira très bien. » Il faudra surtout y aller sans peur, avec le jeu aux chevilles et en ayant effectué un gros boulot dans la gestion des transitions, au risque de se faire rafler sous les vagues. Un exploit, c’est bien. Construire dessus, c’est désormais l’enjeu.
Par Maxime Brigand