- International
- Amical
- France-Italie (3-1)
Les leçons tactiques de France-Italie
Un derby niçois contrasté. Alors que Didier Deschamps évaluait ses options latérales, suggérait un possible duel de relayeurs entre Pogba et Tolisso, et lançait le trio de la contre-attaque, les Bleus ont offert une prestation double face. De l’ordre de la première période au chaos de la seconde, les Français ont une nouvelle fois montré une attaque mortelle et une défense amicale. Un football libre paradoxal.
L’évaluation des profils se poursuit. Dans une logique de sélection de joueurs plutôt que de construction de jeu, Deschamps s’est probablement rendu à Nice avec trois objectifs : tester les latéraux Hernández et Pavard, observer Tolisso et Pogba, et enfin donner du temps de jeu compétitif à un trio offensif taillé pour le contre. Le tout en espérant répéter l’équilibre de lundi contre l’Irlande. En face, la nouvelle Italie de Mancini se construisait autour de l’axe formé par le leadership de Bonucci, le sens du jeu et la mobilité de Jorginho, le déséquilibre de Chiesa et enfin Balotelli. Malgré une gestion de la possession souvent maladroite – Jeunesse ? Vacances ? –, les Italiens ont proposé plus de jeu que nos trois derniers adversaires (Colombie, Russie, Irlande), avec des intentions dans la possession, les superbes intuitions de Chiesa et le métier de Supermario. Une préparation intéressante.
Si le résultat est roi en Italie, la leçon se veut implacable : trois buts à un dans la ville natale de Garibaldi, et arrivederci. Et si le style ne se négocie pas chez nos voisins, les Français n’en ont pas manqué : l’imaginaire niçois – et italien – restera marqué par la vitesse dorée dégagée par la paire Mbappé-Dembélé et orchestrée par Griezmann. Un potentiel d’accélération à la carte qui aurait pu marquer six fois, bien accompagné par le combo de puissance et technique du milieu Kanté-Pogba-Tolisso. Mais les Italiens ne lisent pas le football à travers le spectacle offert, le potentiel, le mérite ou le nombre d’occasions créées. Dans la Botte, les poteaux ne se comptent pas, et Didier Deschamps le sait très bien. Parce qu’au-delà de certaines impressions flamboyantes, les Bleus n’ont pas étouffé les inquiétudes des matchs amicaux de mars et de cette équipe « coupée en deux » , dixit Matuidi.
La baguette, le gruyère et les éclairs
Ce qui compte en Italie, avec et sans ballon, c’est l’organisation. Roberto Mancini le racontait avant de s’engager à l’Inter en 2014 : « Avant tout, il faut savoir défendre pour gagner des matchs. À City, on encaissait deux ou trois buts lors des premiers matchs… Puis on a été la meilleure défense du championnat pendant trois saisons. Il suffit de regarder l’histoire des championnats : chaque année, normalement, la meilleure défense remporte le championnat. La phase défensive est primordiale car elle concerne tout le collectif. En attaque, si tu as de grands attaquants, tu vas quand même finir par marquer. Les attaquants savent attaquer. » À deux semaines de France-Australie, les attaquants bleus ont une fois de plus prévenu leurs futurs adversaires : il sera difficile d’arrêter Griezmann et ses complices. Ils savent attaquer, surtout en contre.
En revanche, au milieu des absences (Varane) et des tests individuels à répétition, la seconde période aux onze tirs italiens a inquiété : l’équation de l’équilibre tactique des Bleus est-elle résolue ? Les Bleus savent-ils vraiment défendre ensemble ? Un concept tactique italien permet de l’étudier : la compattezza. Compacité ou cohésion, dans le dictionnaire. Sur le rectangle vert, il s’agit de l’analyse de deux mesures. D’une part, la distance couverte par le bloc-équipe, en longueur, du premier attaquant au dernier défenseur. D’autre part, les distances formées entre les joueurs au sein de ce bloc. Avec un air moqueur, les Italiens les plus exigeants diraient que la France était aussi longue qu’une baguette et se perçait comme du gruyère, malgré les éclairs de son trio offensif.
L’EDF paradoxale
Premier paradoxe : la France de la Liga a vaincu avec des armes italiennes. Les acteurs viennent du royaume ibérique : Umtiti, Griezmann – via Lucas – et Dembélé (Barça et Atlético). La manière est transalpine – dans le sens noble du terme – celle du savoir-faire footballistique : un coup de pied arrêté, un penalty et une contre-attaque. Comme contre l’Irlande, les Bleus ont une nouvelle fois créé beaucoup autour de la surface pour finalement ouvrir le score à la suite d’une action arrêtée. Une efficacité offensive paradoxale qui rappelle le Brésil de Dunga des années 1990 : une équipe qui accélère avec Romário, Ronaldo ou Rivaldo, mais qui s’impose aux tirs au but.
Second paradoxe : alors que les Bleus ont unanimement dominé leur adversaire du soir, les Italiens terminent la rencontre avec quinze tirs (contre douze pour les Bleus). C’est beaucoup, comme contre la Colombie et la Russie. Les Bleus ont gagné la possession (57%), ce qui touche une mèche de cheveux de Mancini sans bouger l’autre. Mais en seconde période, la Côte d’Azur a attendu la 68e minute pour voir les Bleus défendre avec le ballon, menant enfin une véritable phase de possession. Une meilleure défense passera par un meilleur contrôle du ballon.
Vive le football libre ?
« Vive le football libre » , criait la campagne de la virgule américaine pour relancer l’attrait de l’équipe de France en 2011, dans une séquence affichant Abou Diaby, Kakuta, M’Vila et Sakho, entre autres. Avec Mbappé et Dembélé guidés par Griezmann, les Bleus ont mis le concept en images. Des accélérations sans fatigue, des enchaînements de crochets sans frappe, et d’innombrables Italiens au sol. Mbappé a commencé à droite, mais c’est depuis le côté gauche qu’il obtient le coup franc qui amène le but d’Umtiti. Griezmann commence tout en haut pour finalement jouer tout en bas, aidant ses milieux dans le pressing et la relance rapide. Maître absolu de la contre-attaque, le Colchoneroa mené les contres français à la perfection.
Dembélé, enfin, a épousé les formes de ce football libre. Toujours aussi imprévisible, du gauche et du droit, dans la prouesse et le déchet. Discret lors d’une première période contrôlée dans le camp adverse, il s’est éclaté dans le chaos de la seconde, devenant le moteur d’une équipe de France aussi dangereuse que vulnérable. Sans ballon, Deschamps semblait souhaiter voir un 4-4-2 avec Dembélé en défenseur appliqué sur un côté. En réalité, les Bleus ont souvent montré un 4-3-3 offrant des boulevards sur les côtés et des espaces entre les lignes. L’autre face du football libre : ces onze tirs concédés en seconde période. Sans Giroud devant, on notera trois observations : les Bleus se montrent plus à l’aise et rapides en contre, Griezmann se retrouve forcé à donner beaucoup plus qu’il ne reçoit, et les Bleus perdent en structure, aussi bien avec et sans ballon.
Double examen latéral
Il compte déjà 19 rencontres européennes dans la tête, dont deux finales, et 88 rencontres pour l’une des cinq meilleures équipes d’Europe. Pourtant, l’histoire retiendra peut-être que le football français a finalement cédé aux avances de Lucas Hernández lors de sa quatrième sélection contre l’Italie. Comme Griezmann, Lucas apporte aux Bleus trois ingrédients de la recette du Cholo Simeone : la discipline tactique, l’état d’esprit de lutte et, enfin, la lecture des opportunités qu’un match peut offrir. Jouant chaque duel comme si c’était le dernier, Lucas fait dans le trash-talk et n’hésite pas à entrer dans la tête de son adversaire direct. Un latéral qui aime défendre, mais aussi attaquer : toujours appliqué en phase de possession lors de ses trois dernières sélections, le gaucher a aussi montré qu’il pouvait devenir une menace offensive de poids.
Sur l’action du penalty, personne ne l’obligeait à continuer à accélérer, et même Griezmann lui demandait de temporiser. Lucas a saisi le moment et offert un but aux Bleus. Finalement, peu de défenseurs bleus montrent autant de maturité des deux côtés du terrain. Merci Diego. De l’autre côté, Pavard a encore répondu présent. Toujours solide dans les duels et précis dans la conservation du ballon, même dans les espaces réduits, l’ex-Lillois a marqué des points sur le centre brossé qui amène l’ouverture du score. Conservateur lorsqu’il faut et offensif quand le jeu le requiert – comme Lucas –, il pourrait être plus qu’un second couteau.
La bataille du milieu
Vendredi soir à Nice, DD s’est aventuré à proposer un milieu de terrain à trois sans le vice-capitaine Matuidi. Questions sous-jacentes : Deschamps voulait-il voir Tolisso et Pogba ensemble ? Ou souhaitait-il observer Tolisso et Pogba séparément, avec dans la tête le retour de Matuidi dans le onze ? Partons pour une fois d’une logique de jeu pour arriver aux joueurs. Entre une attaque de feu et une arrière-garde en construction, l’objectif numéro un du futur trio/duo du milieu est l’équilibre tactique. Sans ballon, cela signifie organisation, compacité, couverture, protection, mais aussi pressing et récupération.
Avec ballon, cela veut dire maîtrise de la possession et lecture des moments du jeu. Pour aller plus loin, le second objectif dépend en réalité de l’adversaire. En phase de poules, les Bleus auront certainement besoin d’une circulation de balle rapide et de maîtrise technique pour maintenir la pression. Face aux grosses écuries à partir des huitièmes ou quarts, ils auront plutôt besoin d’une maîtrise des phases de transition, aussi bien pour relancer que pour couvrir vite et bien. Enfin, dans ces moments décisifs, quand un crochet de Mbappé ne suffira plus, les Bleus feront appel à leur impact, leur personnalité et leur capacité de décision (dans le sens être décisif).
L’éternel souci Pogba
À partir de cette lecture, la prestation du milieu bleu est contrastée. L’équilibre a été maintenu en première période : seulement quatre tirs concédés, dont trois sur coup de pied arrêté. Moins responsable avec le ballon que contre l’Irlande, Tolisso a montré un visage plus discret, mais aussi travailleur. Il provoque des fautes intelligemment, maintient le rythme, casse les lignes quand le jeu le demande. Sobre. Mais il a aussi abandonné les clés du jeu à Pogba (hiérarchie naturelle ?). Une prestation extravagante pour le génie de Manchester United : de longs moments de discrétion, des transversales de grande classe, et toujours ces pertes de balle étonnantes.
Un milieu travailleur capable d’enchaîner une caresse de la poitrine et un contrôle porte-manteau digne des plus grands 10 des années 1980. Un milieu travailleur qui n’a pas peur de frapper de quarante mètres malgré les ricanements – et sifflets – du stade. Le tout en affichant toujours un immense sourire. Si Pogba jouait numéro 10 ou venait d’Amérique latine, il serait un symbole du football de joie brésilien. Mais parce que la nature lui a offert un corps de milieu défensif, la possibilité de surpasser les conventions du jeu et les jugements de la raison française, le joueur se retrouve enfermé dans un paradoxe perpétuel, tel un artiste dans un costume d’ouvrier. Ayant juré leur loyauté à l’équilibre requis par Deschamps, ses concurrents n’ont pas ce problème.
À visiter : Le site Faute Tactique Le blog Faute Tactique sur SoFoot.com
Par Markus Kaufmann