- Coupe du monde 2014
- Groupe E
- Équateur/France (0-0)
Les leçons tactiques de France-Équateur
Un 0-0 n'est pas forcément inintéressant. En revanche, la nouvelle mi-temps des Bleus jouée en supériorité numérique réduit la portée de l'analyse de ce France-Équateur. Il y avait des nouvelles têtes, des enjeux nouveaux et des espoirs naissants : pas moins de six changements par rapport au match contre la Nati, et quelques changements de rôle. Face à une équipe d'Équateur jouant à la vie, à la mort, les Bleus ont résisté, ont réussi à jouer, mais n'ont pas marqué. En fait, ce n'était même pas le but.
Pourquoi regretter les 9 points ? Avec une première place quasiment acquise, la France ne jouait pas pour la victoire. Ce petit jeu de recherche de la perfection provisoire, inutile même, les Bleus le laissent volontiers aux habitués. Les Pays-Bas, l’Argentine, l’Allemagne (pas cette fois) : ceux qui vivent avec un besoin de flatterie. Deschamps, lui, a plutôt besoin de gagner son huitième de finale. Si cela avait rendu son groupe plus fort, il aurait peut-être même signé pour une qualification à 3 points, laborieuse mais enrichissante.
Ce matin, le Wall Street Journal – qui n’a aucune légitimité pour parler de football, mais qui a le mérite d’avoir regardé le match – a publié ces lignes : « Après avoir coupé en tranches leurs premiers adversaires comme des camemberts rôtis, les Français ont inexplicablement perdu leur finesse (…) ce manque de caractère de la part d’une équipe qui a marqué 8 buts depuis le début de la compétition peut être attribué à un onze de départ tout neuf. » La France a fait tourner, la France s’est économisée (seulement 6 fautes, contre 15 face à la Suisse) et la France se connaît encore mieux maintenant. Par ailleurs, cette heure et demie à courir après Eder Valencia aura eu le mérite de les préparer aux 90 minutes qui l’attendent face à Ahmed Musa.
La France préfère jouer en contre
Pour commencer, le premier enseignement vient du comportement général de l’équipe : ces Bleus ont un banc fourni, et tout le monde est impliqué. S’il faut le préciser, c’est parce que ce n’est pas le cas de toutes les équipes nationales. Hier soir, Sagna, Koscielny, Digne et Rémy, ont tous apporté leurs qualités à un groupe qui aura besoin de tout le monde dans cette compétition climatiquement éprouvante. Sagna a centré et s’est imposé physiquement, Koscielny est resté concentré, Digne s’est montré plus vif et plus technique qu’Évra – mais bien moins tranchant et tranquille – et Rémy a offert sa vitesse et son ambition du but à un couloir droit qui en a besoin. Résultat : 22 tirs et 3 corners à Salvador contre la Suisse, 21 et 7 au Maracaña. 69% de possession et 87% de passes réussies contre les Jaunes, seulement 41% et 80% contre les Rouges. Ressorties ainsi, ces statistiques ne font pas le poids par rapport aux buts, évidemment. En revanche, les mots de Mamadou Sakho pèsent : « Si on fait le même match et qu’on marque deux ou trois buts, les gens auraient dit qu’on avait fait un match exceptionnel. Il y a des jours où tu arrives à concrétiser tes occasions rapidement, et d’autres où tu as un peu moins de réussite. Voilà, c’était un jour sans. Mais dans l’esprit, on a été costauds. » Les deux coups de tête de Pogba, la tête de Giroud, les frappes de Benzema, la reprise de Griezmann, la frappe de Rémy. Finalement, cette France soi-disant « stérile » aura produit plus d’occasions que l’Argentine hier après-midi. De vraies occasions – et donc du jeu – mais aucun but. Comme on l’observe depuis l’arrivée de Deschamps, ces Bleus sont plus à l’aise en contre : plus l’adversaire prend le jeu, plus les Bleus marquent des buts. Les Pays-Bas en ont fait les frais en mars à Paris. Vivement un choc contre la Mannschaft en quarts, en espérant que Löw tombe dans la pédanterie de la possession.
Didier Deschamps peut-il se passer de Mathieu Valbuena ?
Face à la Suisse, Deschamps avait aimé son Sissoko à la Paulinho : un nombre de ballons touchés inversement proportionnel à son impact physique et son sens de la verticalité. Du coup, Sissoko la grosse moto remplaçait hier le petit vélo sur le côté droit. Engagée dans une guerre de tranchées avec un contrôle total de la possession, les Bleus se sont réorganisés, et Sissoko s’est retrouvé avec Benzema et Griezmann à tenter de créer de l’espace là où il n’y en avait pas, devant la surface adverse. Un endroit où Valbuena aurait pu être bien plus dangereux. Hier, Moussa aura fait une vingtaine de passes et de prises de balle en moins par rapport à Mathieu contre le Honduras, au même poste. Mais la France n’avait pas été plus dangereuse, ni plus organisée pour autant. Elle avait été plus constante, c’est évident. Mais les buts étaient venus des longs ballons de Cabaye. Face à un adversaire équatorien regroupé, et sans Valbuena, la France a tout de même eu des idées. Des centres dangereux, des mouvements intéressants devant la surface, des combinaisons sur les côtés. Quand l’homme du match est le gardien adverse, c’est plutôt bon signe. Grâce à la finesse de Benzema et Griezmann, DD a donc appris que ses Bleus « peuvent jouer » sans Valbuena (mais pas nécessairement remplacé par Sissoko), ce qui lui permettra peut-être d’opérer des changements pour mieux protéger sa phase défensive si nécessaire. Mais les matchs de Valbuena ont été si bons jusqu’ici qu’il n’y a aucune raison de bouleverser la hiérarchie. Ainsi, la théorie de la dépendance Valbuena – que tout le monde a tenté de faire vérifier hier soir – n’a pas encore son brevet. Et tant mieux, elle n’en a pas besoin.
Schneiderlin est-il une option pour remplacer Cabaye ?
La France sait ô combien Deschamps donne de l’importance à son numéro 6. Le socle, le bouclier, la sentinelle, l’organisateur. Le Bayonnais n’a pas attendu l’éclosion du modèle de meneur reculé à la Pirlo, ni même la domination des milieux défensifs costauds de Premier League dans les années 2000, pour comprendre son importance. Hier, il a offert 90 minutes au débutant Morgan Schneiderlin plutôt qu’au vétéran Rio Mavuba. C’était inattendu, et révélateur : si DD avait voulu faire plaisir à l’Alsacien, il lui aurait donné une demi-heure de temps de jeu. Au Maracaña, en Coupe du monde, cela aurait été plus que suffisant. Mais une heure et demie de manœuvres, c’est un vrai test. Et si Deschamps comptait sur Schneiderlin pour remplacer Cabaye ?
Cela paraît improbable, mais deux raisons pourraient l’expliquer. D’une part, le métier : en numéro 6, Cabaye fait des erreurs de relayeur, commet des fautes de relayeur et a tendance à se projeter comme un relayeur. D’autre part, la taille : avec six centimètres en plus (1m81 contre 1m75), Schneiderlin donne à l’impact physique du milieu bleu une autre dimension. C’est cette taille que Deschamps n’a jamais eue, et qu’il a peut-être toujours fantasmée. Et alors, ça donne quoi ? Schneiderlin aura convaincu DD pour un motif : zéro faute commise, alors que Cabaye a pris deux jaunes en deux matchs. Mais le Parisien reste devant pour trois raisons : plus d’activité et de mobilité, malgré l’omniprésence de Valbuena à ses côtés, plus de polyvalence et de ressources en fonction du visage que Deschamps voudra donner aux Bleus au cours des prochains matchs, et enfin ce jeu long merveilleux : 9 longs ballons contre seulement 5 pour Schneiderlin. Une menace constante, aussi bien en phases de transition qu’en possession. Mais qui sait si la hiérarchie sera la même en 2016… À visiter :
Le blog Faute Tactique sur SoFoot.com
Par Markus Kaufmann