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Les leçons tactiques de France-Danemark

Par Markus Kaufmann
Les leçons tactiques de France-Danemark

Au terme d’un long match nul (0-0) mathématiquement favorable aux deux nations, les Bleus terminent leur phase de poules premiers, invaincus et avec seulement un petit penalty encaissé. Comme à la fin des poules de l’Euro 2016, le compte est bon pour la méthode Deschamps et le bloc Bleu semble fin prêt pour affronter la tension de la phase finale. Et son animation offensive, alors ?

Enfin. Après la longue attente des matchs de qualification et de la phase de poules, les émotions de la phase finale sont arrivées. Comme en 2014 et 2016, la méthode de la gagne de Deschamps n’a fait aucune concession et l’équilibre l’a emporté sur le jeu. Comme en 2014 et 2016, Deschamps a préparé une défense solide et une formation très équilibrée. Et comme en 2014 et 2016, le jeu offensif des Bleus ne semble pas prêt pour déséquilibrer les meilleures défenses du monde. Parce que les Bleus ne s’étaient pas inclinés contre l’Allemagne (0-1 en 2014) et le Portugal (0-1 en prolongation en 2016) à cause d’un manque d’équilibre : c’était bien une pauvre animation offensive qui leur avait été fatale.

Alors, 2018 a-t-il offert un débat sur le manque de jeu de notre sélection nationale ? Comme en 2014 et 2016, la presse a préféré offrir son attention aux prestations individuelles (Griezmann, Pogba, pour changer) plutôt qu’aux idées collectives, comme si c’était encore Roland Garros. Malheureusement, ce France-Danemark a rappelé la réalité : l’équipe de France part samedi à la conquête du Mondial en espérant que ses étoiles parviennent tour à tour à sortir de cette logique collective d’équilibre pour réussir une série d’exploits individuels, comme Griezmann en 2016. L’exploit individuel devrait être un bonus rare pour couronner un système offensif huilé et récompenser une préparation défensive travaillée, mais il est devenu la norme attendue de la sélection française.

Le bloc bleu et le plan danois

Comme contre le Pérou, les Bleus commencent la rencontre discrètement. Dans les dix premières minutes, les Danois se montrent dangereux sur de (très) longs ballons pour Cornelius dans le dos des latéraux ou des percées plein axe via Eriksen. Mais Braithwaite ne fait pas le Toivonen, et Kimpembe s’impose d’entrée de jeu. Vers la 9e minute, les Bleus imposent un schéma d’attaque-défense et les Danois dessinent leur 4-1-4-1 préparé sur-mesure : Christensen monte sur Griezmann entre les lignes, Delaney gêne Kanté à la relance. De son côté, Deschamps choisit un schéma similaire à celui employé contre le Pérou. En phase défensive, les Bleus optent pour le 4-4-2 ou 4-4-1-1 en fonction du placement de Griezmann autour de Christensen. En phase offensive, on retrouve une paire de milieux devant la défense (Kanté-Nzonzi), un milieu gauche (Lemar), un ailier droit (Dembélé), un créateur libre (Griezmann) et un avant-centre (Giroud).

À la 20e, le Danemark apprend que le Pérou a ouvert le score contre l’Australie et abandonne presque toute ambition offensive : à la demi-heure de jeu, Schmeichel est le Danois ayant réalisé le plus de passes (dix). À partir de là, les Danois auront trois situations offensives dignes d’être énumérées. Un contre rapide à la 29e : Delaney récupère le ballon dans les pieds de Kanté et lance Cornelius qui centre pour Eriksen. Mandanda s’interpose, comme l’avait fait Lloris dans des situations similaires à 0-0 contre l’Australie et le Pérou. Un coup de pied arrêté : coup franc plein axe d’Eriksen à 35 mètres (54e). Et enfin, plus tôt à la 41e : les Danois remontent rapidement le ballon, installent une phase de possession et se retrouvent obligés de revenir à une tentative lointaine. Comme le Pérou, le Danemark n’a pas trouvé de solution face au bloc bleu compact. Cette préparation défensive est bien le plus bel enseignement de la phase des poules à l’heure d’affronter les émotions d’un huitième de finale contre l’Argentine.

Organisation oui, distribution oui, animation non, accélération non

Découpons la construction du jeu des Bleus en concepts. Contre le Danemark, l’équipe de France a aisément réussi à enchaîner les phases de relance, organisation et distribution. Bien aidée par le mordant Lucas Hernández, la paire Nzonzi-Kanté a assuré ordre et protection. Face à un bloc danois bas, une fois la distribution du jeu facilement installée, les circuits de possession se répètent et le jeu atteint la phase de l’animation offensive et de l’accélération. Là, les ressources se retrouvent limitées. Dans l’axe, Giroud est encerclé et vite isolé. Et lorsque le jeu long de Mandanda le trouve parfaitement, Dembélé ne suit pas comme Mbappé. Plus près du milieu, Christensen empêche Griezmann de se retourner, et c’est donc sur les côtés que les Bleus progressent.

À gauche, Griezmann et Lemar tissent du jeu avec Hernández, mais la relation ne se rapproche pas assez du but pour que Giroud puisse participer. La construction lente dans les petits espaces à gauche alterne avec des moments de grande verticalité à droite, où Dembélé et Sidibé ne parviennent pas à s’associer. Les offensives bleues viendront du jeu à gauche (Giroud, 15e), d’un corner (Varane) et de frappes de l’extérieur de la surface (Griezmann et Dembélé). Pour ce qui est du jeu sans ballon, ce plan de jeu peu agressif ne récupère pas de ballons intéressants près de la surface (comme Pogba contre le Pérou), malgré les 72% de possession. Sans une accélération tonitruante de Mbappé ou une ouverture magistrale de Pogba, les Bleus n’ont pas de solution schématisée pour casser le cadenas d’un bloc compact. Il manque la vitesse dans la circulation de balle et la volonté de presser l’adversaire pour réduire son espace vital. Le monde entier a peut-être jugé que l’Allemagne a « mal joué » contre le Mexique et la Suède, mais les schémas de notre animation offensive sont à des kilomètres de la sophistication de ceux des hommes de Löw.

L’excellence de Nzonzi pour comprendre le phénomène Pogba

Auteur d’une prestation distinguée, Nzonzi a certainement coché les cases de la feuille d’analyse de Deschamps. Impérial dans les airs (onze duels aériens gagnés !) et toujours rapide et précis dans sa distribution, Nzonzi a découragé les raids danois derrière et organisé la manœuvre avec le ballon. Positionné sur la même ligne que Kanté devant la défense, il a souvent laissé au milieu de Chelsea le luxe d’essayer de lancer l’animation offensive, s’insérant seulement ponctuellement dans le camp adverse. Une prestation conservatrice qui révèle l’ambition première des Bleus hier : ne pas perdre.

Une prestation qui, aussi excellente soit-elle, en dit long sur l’impact unique d’un Paul Pogba dans le contexte de cette équipe de France équilibriste : dans des rôles similaires aux côtés de Kanté dans le 4-2-3-1, ils ont montré deux registres différents. Quand Nzonzi joue au milieu défensif qui sait couvrir et distribuer le ballon, Pogba joue au milieu défensif qui sait couvrir, distribuer le ballon, créer des occasions et marquer des buts. Un joueur d’équilibre capable de gagner des matchs (presque) tout seul. Contre l’Australie puis le Pérou, Pogba avait distillé sept bons longs ballons par match, ce qui est le total de Nzonzi et Kanté à eux deux hier à Moscou. Un volume de création hors du commun auquel l’exigence du football français s’est habituée.

Lemar pour remettre Griezmann au cœur du jeu ?

Dans la mesure où la paire Kanté-Pogba et le trident Griezmann-Giroud-Mbappé se sont imposés dans le onze, la dynamique de la phase de poules peut faire croire qu’il reste une place à prendre à gauche du milieu bleu. À la suite de la prestation disciplinée, mais maladroite de Matuidi contre le Pérou, Lemar avait l’opportunité de marquer des points à Moscou. Mais comme d’habitude, il est difficile de percevoir la grille d’analyse de Deschamps : voulait-il voir le Monégasque égaler la discipline de Matuidi ? Était-il intéressé par sa capacité à animer l’entrejeu tel un nouveau pôle de création au milieu ? Ou voulait-il voir un élément qui manque encore aux Bleus dans le tournoi : la « menace verticale » à la Sissoko ? Sans ballon, le gaucher a montré sa discipline habituelle : volume, duels gagnés et intelligence (une seule faute). Mais la production de l’adversaire limite forcément l’analyse. Avec ballon, le bilan est à nuancer.

Contre la Colombie en mars, Lemar avait été à l’origine de la majorité des décalages bleus en possession. S’il n’a pas apporté la verticalité que le public pouvait attendre, la mobilité, la justesse et le sens du jeu du gaucher ont favorisé le contrôle. Éloignés de la paire Kanté-Nzonzi (ce qui ne devrait pas être le cas avec le retour de Pogba), les mouvements de Lemar ont surtout permis à Griezmann de revenir au cœur du jeu des Bleus. En l’absence de Pogba et Mbappé, le numéro 7 s’est montré le plus actif dans l’animation offensive : tous les ballons entre les lignes passaient par le Madrilène, et les seuls mouvements collectifs se faisaient autour de lui. Bloqué par Christensen dans l’axe et par Dembélé à droite, c’est dans les pieds de Lemar (et Lucas) qu’il a trouvé refuge. En 74 minutes de moyenne contre l’Australie et le Pérou, Griezmann tournait à 37 ballons touchés et 25 passes par match. En 68 minutes à Moscou, il était à 55 ballons et 41 passes. De bon augure pour la suite, à condition qu’il se retrouve entouré de plus d’inspiration samedi.

Les centres de Mendy, les frappes de Fekir et le jeu de Mbappé

Du côté du banc, l’entrée de Mendy à la 50e nous a donné l’occasion de voir deux profils complètement différents : Mendy est une machine à centrer (huit centres en quarante minutes) tandis qu’Hernández apporte sa formation de joueur de Liga : des conservations, des fautes provoquées et un seul centre (pourquoi centrer quand Giroud est entouré de trois Danois ?). A priori, il sera difficile de sortir Lucas du onze après une telle phase de poules, surtout maintenant que les choses sérieuses commencent. Dans la dernière ligne droite, alors que les Danois n’attaquent plus depuis près de vingt minutes, Deschamps offre respectivement vingt et dix minutes à Fekir (Griezmann) et Mbappé (Dembélé).

Le Lyonnais a lâché deux tirs dangereux et s’est montré une nouvelle fois en forme. Gourmand en mouvements, le Parisien a tout tenté pour combiner avec Sidibé, quitte à bouger dans tous les sens en exigeant un appel ou de l’espace. Résigné, il a fini par aller défier l’arrière-garde danoise à mains nues. S’il avait visé la victoire, Deschamps aurait sûrement associé Fekir, Griezmann et Mbappé lors de ces dernières minutes. Mais pourquoi prendre le risque de gagner 1-0 quand le 0-0 est assuré ? Pour les supporters français qui se sont déplacés à Moscou, peut-être ? Deschamps a autre chose en tête : la gagne finale.

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