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Les leçons tactiques de France-Colombie

Par Markus Kaufmann
7 minutes
Les leçons tactiques de France-Colombie

Les Bleus ont perdu une rencontre, mais ont trouvé un chemin. Une première demi-heure de haute volée, sophistiquée et inspirée, a précédé une heure de football sans enjeu ni jeu. D’une part, l’attitude des centraux balle au pied et les mouvements des latéraux ont posé les conditions pour produire du jeu. D’autre part, portée par la versatilité de Lemar, la classe de Kanté et la baguette de Griezmann, l’allure de l’animation a convaincu. Dans une certaine mesure.

Il y a un peu plus d’un an et demi, l’Allemagne favorite de l’Euro français se faisait renverser par un 4-4-2 bleu armé de « cœur » et de « solidarité » . C’est du moins ce que la mauvaise mémoire de notre histoire collective aime répéter. Lors des prochains mois de construction de notre Mondial, il sera opportun de lui rappeler que les deux buts français à Marseille étaient apparus dans les pieds d’une identité de jeu naissante : une relance courageuse (Umtiti) et un pressing audacieux (Matuidi-Pogba) avaient fait chuter la mécanique germanique.

Hier soir au Stade de France, Deschamps aligne un 4-4-2 schématiquement similaire avec des armes nouvelles : Varane-Umtiti derrière (Koscielny-Umtiti), Digne-Lemar à gauche (Évra-Payet), Sidibé-Mbappé à droite (Sagna-Sissoko), Kanté-Matuidi au milieu (Pogba-Matuidi) et Griezmann-Giroud devant. Du côté de Pékerman, la Colombie s’adapte et adopte un 4-4-1-1 : James derrière Falcao, et Muriel improvisé en ailier. Durant la première minute, le 4-4-2 bleu s’étale de façon académique sur Saint-Denis, à l’italienne, à la Deschamps. Mais alors que l’Euro 2016 avait vu les Bleus maintenir leurs positions de façon parfois militaire, les premières courbes de ce France-Colombie s’enlacent dès le premier duel. Des rondeurs et de la sensualité, comme un hommage aux volumes exaltés de Botero, peintre colombien et parisien.

La relance : la tête des centraux, les poumons des latéraux

Digne pousse dans la profondeur comme Jordi Alba, Sidibé se lance comme un train à droite, Lemar se jette vers l’intérieur et trouve d’emblée un relais avec Mbappé. Si le schéma est identique, les traits suivent un autre dessin. À la 3e, la première accélération de Griezmann à droite aboutit dans l’axe sur Mbappé qui lance Giroud en profondeur. À la 7e, Kanté défend en avançant, récupère et trouve immédiatement Giroud en profondeur, encore une fois. Deux minutes plus tard, Giroud redescend, gagne son duel en pivot face à Mina, et lance à son tour Griezmann dans la profondeur. Les accélérations bleues utilisent des moyens variés, mais le procédé de distribution et d’animation est toujours le même.

La structure du jeu bleu se construit en six niveaux. D’une, par rapport à l’Euro, la charnière Varane-Umtiti insiste balle aux pieds pour libérer ses latéraux dans le sens du jeu. Si la circulation du ballon n’est pas assez rapide pour déséquilibrer le bloc adverse et si Varane se retrouve souvent en difficulté, le principe pousse les Colombiens à se découvrir tôt ou tard (soit en pressant la surface de Lloris, soit en pressant le central qui avance dans son camp). Le second mécanisme provient des latéraux : alors que Sagna et Évra maintenaient une ligne extrêmement conservatrice, Digne et Sidibé plongent dans la profondeur pour emmener leurs défenseurs respectifs et libérer leurs milieux. Sur le premier but, Digne se retrouve au niveau de la ligne de fond. Et quand ils se lancent en même temps aux avant-postes, ils peuvent compter sur la couverture kilométrique de Matuidi et Kanté. Cette organisation offensive de l’arrière-garde ouvre les portes de la distribution du jeu aux milieux.

Distribution et animation : Kanté, Lemar et Griezmann en maîtres du jeu

De trois, le moteur : la distribution. Matuidi et Kanté occupent un rôle de distributeurs réparti équitablement en quantité (40 ballons chacun après 45 minutes), mais déséquilibré en qualité. Alors que Matuidi évolue dans un registre prudent (96% de passes réussies), Kanté se balade à un niveau de classe mondiale dans le camp adverse. Maître absolu de la lecture du jeu sans ballon, le milieu londonien a ajouté des tons latins à sa panoplie : habile dans les petits espaces, vif et tranchant dans le jeu vers l’avant. Il semble à présent impensable de sacrifier sa justesse autour de la surface pour le limiter à un rôle devant la défense. Le troisième distributeur du jeu est Thomas Lemar, qui est aussi le dépositaire du quatrième mécanisme : l’animation.

C’est un défi majeur du 4-4-2 à plat en phase de possession : comment tisser un lien entre les lignes en maintenant une discipline défensive ? Hier soir au Stade de France, le côté gauche du Monégasque ressemblait à une piste de ski vers le cœur du jeu. Par son toucher de balle et sa lecture ibérique du jeu entre les lignes, Lemar a créé la grande majorité des décalages bleus en phase de possession dans le camp adverse. Efficace en un-contre-un, lucide dans la circulation du ballon, le gaucher a transformé le 4-4-2 en 4-3-3 sans faire souffrir l’équilibre du bloc. D’ailleurs, le trio Matuidi-Kanté-Lemar a touché quasiment autant de ballons (40, 40, 38) en première période. Au cœur du jeu, c’est Griezmann qui a pris la responsabilité de transformer ce mouvement en danger. Omniprésent avec et sans ballon, le Madrilène a pris la profondeur, étiré la défense, décalé ses coéquipiers, sans oublier de servir et couvrir Mbappé (entre deux positions en phase défensive). Trop de responsabilités, peut-être ?

De six, il faut décrypter l’accélération finale et la réalisation. La structure de DD a utilisé cinq armes offensives différentes : quelques centres, les assists limpides de Lemar, les percées et déviations de Griezmann, les accélérations et différences de Mbappé, et enfin le jeu en pivot de Giroud, peu exploité hier soir. Malgré trente minutes de dynamisme, les Bleus terminent la première période avec seulement 3 tirs (le troisième étant le un-contre-un de Griezmann à la 39e). De quoi faire réfléchir.

Pertes de balle, précipitation et gestion du match

Cette envie de création a un prix. D’une part, la majorité des actions adverses sont nées de pertes de balle bleues dans leur propre camp. Il semble naturel que l’arrière-garde prenne du temps pour s’adapter aux nouveaux circuits de possession : il faut se tromper pour exceller. D’autre part, l’envie de créativité sans maîtrise technique a provoqué de la précipitation dans le camp adverse : cherchés dans des conditions impossibles, Griezmann et Giroud ont réussi seulement 68% et 62% de leurs passes en première période. Fougueuse, la France a souvent privilégié la fuite vers l’avant plutôt que le contrôle et le jeu de position.

Enfin, entre la 28e minute et la 62e (égalisation de Falcao), les Colombiens auront réussi à installer un faux rythme sans que les Bleus puissent réagir en équipe. Quand le pressing colombien ne force pas des pertes de balle, il commet des fautes bien pensées. La France s’essaye alors au jeu long sans chercher les seconds ballons, sans succès. Certaines phases de jeu sont une répétition enfantine de têtes dans l’entrejeu.

Côté colombien, James prend de la hauteur et parvient à contrôler le tempo du match. Rapides dans le dernier tiers, les Colombiens trompent facilement la concentration bancale des Bleus. Le reste du match fournira bien moins de repères à l’analyse : pas moins de dix changements couperont le fil de la rencontre. À la suite du penalty concédé, la circulation de balle stérile rappelle les heures les plus rigides des Bleus. Évidemment, sous l’ère Didier Deschamps, la question de l’identité de jeu et de la construction du groupe est toujours au centre des débats. Le sélectionneur aurait-il préféré gagner sans jeu ? Ou part-il satisfait des convictions de jeu retrouvées ? Les Bleus n’ont pas gagné, mais ils ont avancé. Le contexte colombien est différent : quatrième de ses éliminatoires, elle n’avait vaincu aucun des quatre gros du groupe (Brésil, Argentine, Uruguay, Chili) et avait terriblement besoin d’un triomphe, bien qu’amical.

Dans cet article :
L’Uruguay s’offre la Colombie au finish, le Chili toujours bloqué
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