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Les leçons tactiques de France-Belgique

Par Markus Kaufmann
Les leçons tactiques de France-Belgique

Les Bleus ont plus défendu, plus attaqué et aussi plus souffert. Au bout de 96 minutes de résistance défensive et d’attaques rapides, un corner de Griezmann brossé sur le crâne d’Umititi a suffi pour grimper la montagne Courtois et éviter les slaloms d’Hazard (1-0). Martínez avait remporté la première bataille tactique du match, mais les Bleus ont sorti une nouvelle prestation de caméléon. Embrassée par un « dauphin sophistiqué » comme dirait Roméo Elvis, la Belgique s’incline face à plus belle et plus forte.

« Je suis convaincu d’une chose : le talent, cela n’existe pas. Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétends qu’un homme qui, tout à coup, rêve de manger un homard, a le talent de manger ce homard dans l’instant, de le savourer convenablement. Avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent. Et tout le reste, c’est de la sueur. C’est de la transpiration, c’est de la discipline. Je suis sûr de cela. L’art, moi, je ne sais pas ce que c’est. Les artistes, je ne connais pas. Je crois qu’il y a des gens qui travaillent à quelque chose et qui travaillent avec une grande énergie. L’accident de la nature, je n’y crois pas. Pratiquement pas. » Un demi-siècle plus tard, les mots de Jacques Brel nous racontent cette génération des Bleus : du talent et de la sueur, de l’envie et de la discipline. Et si Brel ne croyait pas encore aux artistes, ou « pratiquement pas » , c’est qu’il n’avait pas eu la chance d’observer les œuvres en transition de Paul Pogba, N’Golo Kanté et Antoine Griezmann. Ou encore d’imaginer le dernier « accident de la nature » du football bleu : Kylian Mbappé.

« Jouer à rien » , vraiment ?

Contre le Brésil, les Belges avaient concédé 27 tirs et n’avaient pas eu besoin de la possession (41%) pour faire mal : deux buts pour neuf tirs. Portés par un Hazard à mettre au panthéon des grandes performances individuelles en Mondial, ils avaient surtout maintenu un taux de passes réussies supérieur à 80% malgré l’urgence brésilienne. Hier soir, c’était au tour des Bleus d’abandonner le ballon. Et de « jouer à rien » , comme Courtois a osé l’affirmer à chaud ? Privée du grand classique des Mondiaux de notre génération – le légendaire France-Brésil –, la troupe de Deschamps a tout simplement amélioré la performance des Diables rouges : avec 36% de possession, les Bleus ont beaucoup plus attaqué (19 tirs à 9), mieux conservé le ballon en transition (84% de passes réussies).

Et surtout mieux défendu : pas d’action litigieuse dans la surface et seulement neuf tirs concédés, dont trois cadrés. Si cela avait suffi pour en mettre deux à Alisson, un grandissime Lloris n’a rien laissé passer. Varane le skipper résume sa régate : « Une partie d’échecs ? Un peu, certainement. Ce type de match, on attaque, on défend, on sait quand il faut laisser le ballon à l’adversaire. » Dans son style de boxeur, Umtiti raconte son combat : « On a fait le job, on s’est déchirés, il y avait onze chiens sur le terrain. » De la classe et du caractère.

Martínez remporte la première bataille tactique

Sur le papier, Martínez fait croire à un nouveau 3-4-3. Sur le terrain, c’est bien une ligne de quatre et un milieu à trois que l’Espagnol met en place en phase sans ballon : Chadli-Alderweireld-Kompany-Vertonghen devant le ptérodactyle Courtois, Witsel et Dembélé devant la défense, et Fellaini dans un rôle bâtard de milieu prisonnier des déplacements de Pogba. Devant et partout, la paire magique Hazard-De Bruyne. Et Lukaku en pointe, esseulé là-haut. En face, Deschamps aligne son 4-2-3-1 asymétrique – toujours plus proche du 4-3-3 – avec Matuidi de retour dans son rôle de milieu intérieur gauche capable à la fois de blinder le milieu en défense et de l’étirer en attaque.

Si Mbappé lâche une accélération foudroyante dès la première possession, la première bataille tactique de la rencontre tourne clairement à l’avantage de Martínez. Pogba est mis « hors jeu » par le marquage de Fellaini, Griezmann est trop loin du jeu, pris entre Witsel et Dembélé, tout comme Giroud entre les deux centraux. Kanté redescend entre Varane et Umtiti, mais l’option Matuidi est trop incertaine pour que les Bleus puissent progresser dans le camp adverse : les Bleus abandonnent la construction, installent leur bloc bas et se préparent à souffrir.

Hazard brillant

En phase de possession belge, Griezmann et Giroud bloquent les lignes de passes vers la paire Dembélé-Witsel, tous deux incapables de dépasser leur rôle de distributeurs sans risque, et Matuidi gêne les appels de De Bruyne entre les lignes. Alors que Fellaini se transforme en passager clandestin, la créativité belge se tourne rapidement vers les montées de Chadli et la magie de Hazard, qui profite de la faible couverture de Mbappé. En un contre un face à Pavard, le meneur de Chelsea déséquilibre les Bleus à chaque invention (6e, 16e, 19e).

À la 22e, Lloris doit réaliser un exploit face à son coéquipier Alderweireld. En juin 2017, Deschamps abordait l’éternelle question du style des Bleus : « C’est quoi une identité de jeu à part des mots ? Est-ce que l’équipe reste derrière, attend et joue en contre ? Non. Je demanderai toujours à mon équipe d’aller de l’avant. Après, on a le ballon ou on ne l’a pas. Ça dépend du rapport de force. » Si ce rapport de force est bien dominé par les Belges en ce début de rencontre, il serait réducteur de le mettre sur le compte d’une quelconque supériorité technique collective ou individuelle : c’est bien la mise en place tactique de Martínez qui domine les 25 premières minutes.

Les Bleus s’adaptent encore et punissent toujours

Comme contre l’Uruguay et le Pérou, les Bleus s’organisent en fonction du rival. Jusque-là, la France parvient déjà à se montrer dangereuse sur les quelques erreurs de contrôle belges pour se projeter vers l’avant via Pavard et Hernández. À la neuvième, Pavard trouve Matuidi qui remet sans contrôle vers l’avant (!) pour Griezmann. À la treizième, une récupération de Kanté trouve Griezmann en pivot, qui sert parfaitement Pogba. Le Black Swan élimine Dembélé avec élégance et donne le vertige à Vertonghen en lançant Mbappé dans la profondeur. Mais les Belges continuent à nous faire souffrir. À partir de la 25e, Pogba et Kanté bouleversent les équilibres. Dos au but et marqué par Fellaini, la Pioche parvient à se retourner pour servir NG dans l’axe vers l’avant et se libérer enfin du marquage individuel.

Sans ballon, la paire s’adapte aux incursions de Hazard en venant en aide. Malgré les transversales intelligentes de son 10, le côté droit belge ne se montrera jamais aussi dangereux. À partir de là, le quadrillage du terrain belge faiblit et les Bleus attaquent chaque transition pour aller au bout, suivant la baguette magique d’un Griezmann au volume extraordinaire : ils tenteront sept tirs entre la trentième et la quarantième minute, variant entre contres rapides et attaques placées. Deschamps résume Pogba : « Il a été monstrueux dans ce qu’il a fait. Martínez lui avait mis Fellaini, il a eu très, très peu de déchet. Lui est plutôt un créatif, dans le duel, il a été très, très performant. Il a pris beaucoup, beaucoup de poids dans l’équipe. Il assume. »

Bataille des airs dans le ciel bleu

En contre, la lecture du jeu de Kanté domine – encore et toujours – largement les intentions belges, tandis que la justesse technique de Pogba et Griezmann lance brillamment les Bleus, portés par un jeu long ou mi-long excellent : Pogba 4/5, Kanté 4/4, Griezmann 3/3, Varane 6/8 et Mbappé 1/1. En attaque placée, les Bleus misent sur les accélérations de Mbappé – un amour de passe pour Pavard à la 39e, et puis cette passe roulette mythique – et les passes créatives de Pogba, mais les Bleus n’exercent jamais de pression constante sur le but adverse via la possession. Dans les deux surfaces, il faut noter que les centraux remportent absolument tous leurs duels contre Giroud et la paire Lukaku-Fellaini, mise à part la frayeur Umtiti en fin de première période. Une fois l’ouverture du score acquise par les Bleus, Martínez fait un changement pour la verticalité : Mertens pour Dembélé. Le Napolitain vient se placer en ailier droit et bombarde la surface de centres bien brossés, mais les centraux bleus s’interposent.

Il y a un prix à payer : protégée seulement par Witsel et De Bruyne dans l’axe, la défense belge souffre sans le ballon, comme contre le Japon. Les Belges se retrouvent avec moins de contrôle et donc de menaces offensives : dans le quart d’heure qui suit, leurs armes se résument aux centres pour Lukaku-Fellaini (le second s’impose à la 65e) et aux frappes lointaines (De Bruyne 76e, Witsel 81e), bien mieux défendues par les Bleus que contre l’Argentine et le Pérou. Carrasco entre pour Fellaini, Nzonzi et Tolisso remplacent Giroud et Matuidi. Les dernières minutes sont une souffrance plus psychologique que tactique, les Bleus se procurant les dernières occasions de la rencontre dans les boulevards belges (Tolisso puis Grizou).

La structure du caméléon : Matuidi, Giroud et triangle magique

Le onze est structurellement construit pour s’adapter. Autour du nouveau triangle magique Griezmann-Pogba-Kanté, Matuidi et Giroud offrent des armes différentes pour s’adapter à toutes les situations. De retour dans le onze, Blaise n’a pas fini de nous surprendre : la France s’attendait au marquage sans faille sur De Bruyne et aux frappes en bout de course, mais pas forcément à cette habileté dans les petits espaces (cette passe à la neuvième…) et cette faculté à obtenir des fautes en transition (quatre fois). Des stats à la Lampard : trois tirs, deux passes clés, six tacles réussis, trois interceptions. Devant, dans ce contexte tactique, Giroud est une pièce à part, adaptée au défi physique gaulois et au devoir défensif, mais certainement pas aux contres rapides et à ce 4-6-0. Alors, pourquoi Giroud ? Parce que si la Belgique avait choisi un autre projet tactique, le 9 aurait été l’élément central de l’animation offensive française. À noter qu’en matière d’armes individuelles, les Bleus ont de la marge (Fekir, Lemar, Thauvin), mais pas au poste d’avant-centre.

De l’efficacité et de l’ambition des Bleus

Deschamps dira que « la Belgique a eu plus de maîtrise que nous. On lui a fait mal par moments. Avec plus de justesse, on aurait pu leur faire encore plus mal » . Mais les Bleus ont-ils vraiment manqué de justesse ? Ou d’ambition ? Entré à la 84e, Nzonzi n’a touché que trois ballons. En dix minutes, Tolisso n’a fait que deux passes. Et si les Bleus avaient fini par encaisser un but sur un exploit individuel inévitable – toute solidité défensive est toujours relative aux exploits offensifs adverses – comme contre l’Argentine, aurait-on mis l’égalisation sur le dos d’un manque d’efficacité en contre ? Il serait opportun de poser la question de ce recul systématique du bloc bleu, même quand il a les armes pour défendre avec le ballon et mettre la pression sur le camp adverse. Obsession de l’équilibre de Deschamps ? Refus du jeu ? Ou confiance en ses propres moyens pour défendre en bloc ? Contre l’Argentine, les Bleus avaient eu quarante minutes pour renverser la tendance face à un bloc défensif très ouvert. Contre le Portugal il y a deux ans, face à un bloc regroupé, une petite dizaine de minutes n’avait pas suffi. Mais les Portugais n’avaient pas croisé la route de Mbappé.

Le leader Mbappé

Définissant match après match les limites de son propre monde, l’ado a réalisé une nouvelle performance de leader : deuxième Bleu le plus sollicité avec 56 ballons, il a maintenu les Belges sous pression avec six passes clés, sept dribbles réussis et trois fautes provoquées. Comme Neymar, Mbappé tente, rate, réussit, tombe, se relève et repart à l’assaut. Un accident de la nature, à l’image de sa passe roulette qui nous a tous cassé la voix. Suffisant pour lui pardonner de ne pas savoir encore obtenir un corner… En 1812, lors de la campagne de Russie, Napoléon avait voulu attaquer directement Moscou en espérant faire plier la capitale St-Pétersbourg. Cette fois-ci, la France a d’abord pris la forteresse de Pierre le Grand pour se diriger vers la conquête du Kremlin. Et y retrouver la marine anglaise ?

Dans cet article :
« La Belgique vit dans un monde de déception »
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Par Markus Kaufmann

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