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Les leçons tactiques de Danemark/France
Entre les vraies illusions et les fausses certitudes qui bordent le long chemin de matchs amicaux que l'équipe de France est en train de traverser, Didier Deschamps donne tant bien que mal l'impression d'avancer. Dimanche soir à Copenhague, ses remplaçants ont rappelé que l'essentiel n'est pas de trouver une équipe type, mais de bâtir un groupe.
Depuis la déroute face à l’Allemagne en 2014, les Bleus sont plongés dans un curieux moment : une succession de rencontres amicales, contre des équipes petites et grandes, et ce suspense réservé à l’heure de tirer des enseignements. Comment connaître l’état de compétitivité des Bleus alors que la compétition les fuit depuis le Mondial ? Évidemment, les défaites font toujours craindre le pire, malgré le jeu. Et les victoires rassurent, peu importe le jeu. Mais ces résultats sont tous anecdotiques. La France de Laurent Blanc n’était-elle pas championne du monde des matchs amicaux ? Dimanche soir, la France a accéléré deux fois en sept minutes. Et c’est probablement ce qui sera retenu de cette rencontre danoise : le doublé de Giroud et le service de Martial. Parce que le football est un jeu de faits. Vingt-deux hommes dessinent des courbes durant une heure et demie, mais les seuls mouvements qui comptent sont ceux qui dépassent la ligne. Ce jeu est trompeur. Tout comme il est trompeur d’avoir deux années de matchs amicaux.
Dimanche soir, cette équipe B a grandement profité de la configuration d’un match où elle n’a jamais eu à gérer la possession pour ouvrir la défense adverse. Mais est-ce que la paire Matuidi-Sissoko aurait pu dicter le jeu si le score était bloqué à 0-0 au bout d’une demi-heure ? Au milieu de ces vraies illusions et de ces fausses certitudes, Deschamps doit bien réussir à travailler, voire progresser. Le Bayonnais n’a donc conservé que Griezmann, Matuidi et Varane après le match contre l’Arménie. Stratégiquement, cette composition permet de donner du temps de jeu à ceux qui en ont le moins, à faire briller des remplaçants et à faire travailler encore plus les titulaires. Tactiquement, elle permet de voir si le jeu se développe au-delà des noms de ses interprètes. Qui allait mener l’animation offensive en l’absence de Benzema, Valbuena et même Pogba ? Quelle allait être la spontanéité des relations latéral-ailier sans les principaux titulaires habituels ? À la fin de la rencontre, le sélectionneur s’est estimé satisfait : « Ce ne sont pas les mêmes joueurs, mais c’est la même dynamique. »
Griezmann, Valbuena et le 4-3-3
« Ils ont du mal à faire des passes entre ceux de devant et ceux de derrière » , dit Bixente Lizarazu en faisant référence au camp danois en première période. Si une analyse du jeu danois aurait peu d’intérêt ici, ce concept d’apparence naïf mérite d’être confronté à la réalité de l’équipe de France. Chez les Bleus, quels éléments permettent de lier l’attaque et la défense, faire bouger les lignes, créer du mouvement et donc du jeu ? Instinctivement, les réponses sont les déplacements et le niveau technique de Benzema, la mobilité et le sens du jeu de Valbuena, et enfin Griezmann. Les trois membres du trident offensif, en premier lieu. Parce que Matuidi se nourrit de ces mouvements plus qu’il ne les crée, d’une part. Parce que Pogba évolue en bleu dans un rôle défensif de milieu organisateur. Et parce que l’influence offensive de Cabaye devant la défense n’a cessé de régresser sous le règne de Deschamps, enfin (même si aujourd’hui, Schneiderlin et Lass semblent plus titulaires que lui). En conséquence, le 4-3-3 français se repose sur la créativité de trois joueurs, ce qui limite grandement ses possibilités.
Mais dimanche soir, Griezmann a démontré qu’il pouvait mélanger le niveau technique de Benzema, la mobilité de Valbuena et le sens du jeu des deux joueurs. Avec son allure de Peter Pan et son pied gauche en forme de baguette magique, l’ex de la Real Sociedad n’a cessé d’animer les attaques françaises. En dézonant de l’aile droite, d’une part. Mais aussi en prenant la liberté de se positionner toujours en fonction du ballon, comme Valbuena. Griezmann a touché 78 ballons en 77 minutes et réussit ses quatre tentatives de longs ballons : des chiffres de meneur de jeu. Avec un tel Griezmann entre les lignes, les Bleus ont-ils vraiment besoin de Valbuena ? Le Lyonnais s’est toujours montré déterminant. D’où une autre interrogation : avec un tel Griezmann, les Bleus ne pourraient-ils pas positionner Valbuena au milieu de terrain et proposer un 4-3-3 plus équilibré et constructeur ? Ici, il faut rappeler qu’en dépit de la « même dynamique » que Deschamps a évoquée, les Bleus ont délivré une prestation sans intensité : 48% de possession seulement (les Danois couraient après le score) et surtout bien moins de tirs, tacles, passes, dribbles et duels aériens gagnés que contre l’Arménie.
Schneiderlin et Lass, deux solutions différentes
À la fin de la rencontre, Deschamps a abordé le thème de son « équipe type » : « Oui, il y aura une équipe qui débutera les deux premiers matchs de l’Euro, mais après on ne sait jamais ce qui peut arriver. » Comme le Mondial brésilien l’a montré, les Bleus doivent pouvoir compter sur des solutions différentes. Et dans la concurrence poste pour poste, il ne doit pas forcément y avoir de vainqueur par K.O. Giroud a marqué un doublé, mais ne devient pas titulaire du jour au lendemain pour autant. Cabaye a réalisé une belle performance, mais ne prend pas la place de Pogba pour autant. Et enfin, le meilleur exemple : Lass et Schneiderlin ont tous les deux convaincu devant la défense. Mais à la place de trancher de manière aussi définitive que hâtive sur les noms des onze titulaires, mieux vaut s’éclaircir l’esprit et comprendre ce que chaque solution permet d’apporter.
Devant la défense, Lass a donné de l’intensité dans les duels, des ballons gagnés et une vraie inspiration vers l’avant à la récupération, fort de son expérience à la naissance des contres du Real Madrid. Dimanche soir, Schneiderlin s’est plutôt montré dans son habileté à alimenter l’animation offensive française de longs ballons, que ce soit en cassant les lignes au sol ou en déséquilibrant l’adversaire d’une transversale rapide et précise. Alors que Lass n’avait réalisé que 2 bons longs ballons sur trois tentatives jeudi (moins que Cabaye, Varane, Sagna et autant que Sakho), Schneiderlin s’est mué en patron du jeu long français (7 longs ballons précis sur 8). Deux prestations réussies, deux solutions différentes qui pourront être toutes les deux utiles en fonction de l’adversaire et du moment.
Le tube Martial
Si Martial a déjà démontré qu’il a une grande qualité de finisseur et une conduite de balle intelligente, on ne sait pas encore à quel point il peut se muer en pôle de création du jeu, ni pour l’équipe de France, ni pour Manchester United. Entouré de joueurs qui ont besoin de se nourrir de créativité dimanche soir – Giroud et Matuidi – , il a montré une belle capacité de création. Si ce n’est pas celle d’un numéro 10, évidemment, c’est plutôt celle d’un attaquant complet qui voit le jeu vers l’avant, mais sait regarder partout. Sa qualité de passe, sa faculté à faire participer le latéral et enfin son offrande pour Giroud annoncent le meilleur pour l’animation offensive française dans ce rôle d’ « attaquant extérieur » : la présence d’un troisième attaquant capable à la fois de faire vivre le jeu et de finir les actions. En clair, ses pieds tutoient ceux de Griezmann et Benzema, tandis que ceux de Giroud et Lacazette bégayent encore. De quoi donner un nouvel argument au 4-3-3 avec Valbuena au milieu. Un vrai tube : on l’entend tout le temps, on le voit partout, mais il ne déçoit jamais. Pour le moment.
Le cas Giroud
4e minute. Superbe appel en profondeur, frappe en déséquilibre et ouverture du score. 7e minute. Bel effort de démarquage dans la surface, où il fait toujours sentir sa présence, bonne prise de balle sur son premier tir et but sur le second. En quelques instants, Olivier Giroud vient de marquer ses 11e et 12e buts en bleu, répondant ainsi au doublé de Karim Benzema jeudi contre l’Arménie. Dans les charts imaginaires d’une partie du monde du football français, Giroud vient de marquer deux points cruciaux dans son combat invisible contre Benzema. Une heure plus tard, lancé parfaitement par Matuidi (récupération magnifique), Giroud pique son ballon et se trompe. Il manque le triplé et fait sourire ses détracteurs.
Dans le jeu, qui plus est, Giroud ne se montre pas à l’aise dans ce schéma de contre qui dévoile trop souvent ses maladresses à une touche de balle. Mais ces deux buts ne répondent à rien du tout, en fait. Et ce raté ne démontre rien du tout, non plus. Depuis toujours, Karim Benzema est le titulaire de la pointe de l’attaque française. Il en est même le joueur le plus important, comme l’a confirmé la dernière Coupe du monde. Mais comme l’a dit Deschamps dimanche soir, « on ne sait jamais ce qui peut arriver » . Benzema peut se blesser, d’une part. Et les Bleus peuvent avoir besoin d’autre chose dans la surface, d’autre part. En fonction de l’adversaire et du moment, Deschamps fera probablement appel au joueur d’Arsenal en juin prochain. Mais pas au coup d’envoi, peu importent ses doublés et ses triplés en amical.
Les passes de Lloris, les dégagements de Mandanda
Une belle parade et une sortie magnifique en fin de match. S’il s’est fait tromper par un tir d’illusionniste en fin de rencontre, Mandanda a encore été impeccable sur sa ligne à Copenhague. Seulement, la comparaison entre son jeu au pied contre le Danemark et celui de Lloris contre l’Arménie en dit long sur l’écart entre les deux dans la hiérarchie de Deschamps. Le gardien de Tottenham avait été sollicité 26 fois : 20 passes courtes et 6 tentatives de longues balles (4 réussies) pour 92% de passes réussies. Le portier de l’OM a été sollicité 25 fois : 5 passes courtes et 20 tentatives de longs ballons (8 réussies) pour 52% de passes réussies. Le bilan est clair.
Par Markus Kaufmann
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