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- Bétis-Real Madrid (1-2)
Les leçons tactiques de Bétis-Real Madrid
Deux mois après la victoire de son Bétis au Camp Nou, Quique Setién s'est heurté dimanche soir au pragmatisme froid d'un Solari qui aura réussi à mettre à la porte l'esthétisme afin de le remplacer par la quête du résultat brut (1-2). Ce dimanche soir a ainsi accouché d'un drôle de dialogue tactique.
Pourquoi ça, monsieur Setién ? Pourquoi comme ça ? « Vous savez, je ne vais jamais au cinéma pour voir un film d’horreur. Tout simplement parce que je n’aime pas ça » , répond-il. Chez cet homme de 60 ans, les notions de style et de beau ne sont pas de simples mots. Quique Setién est comme ça : il n’oublie pas, ne laisse rien passer, ne voit aucun élément comme un détail insignifiant et place l’esthétisme au-dessus de tout. Du moins, l’esthétisme comme il le définit. Ainsi, donc : « Aujourd’hui, il y a de moins en moins de choses à voir dans le football. La plupart du temps, je préfère jouer aux échecs. En attaque comme en défense, les pièces sont connectées, tout est une question d’organisation. J’aime l’ordre. C’est fondamental, et aux échecs comme en football, il est vital de dominer le centre de l’échiquier.(…)Moi, je comprends le football à travers le ballon. Il y en a d’autres qui interprètent le jeu sans le ballon. Je veux gagner, mais au fond, je défends aussi cette façon de jouer comme une question d’éthique, même si je respecte ceux qui ne sont pas comme moi. Pourquoi ? Parce que je sais à quoi ressemble le football. Je sais que certaines personnes pensent que notre façon de faire est risquée, qu’il est plus simple de défendre… » Il y a du Cruyff là-dedans et forcément un peu de Guardiola, qui avait demandé à ses joueurs lors de l’une de ses premières séances d’entraînement au Barça, en juillet 2008, de « courir comme l’équipe la plus humble du monde. Car sans ces courses, il serait ensuite impossible de jouer. Dans le foot, il faut courir. Avant la tactique, avant l’état d’esprit, il faut courir. » Ce qu’était venu parfaitement faire le Bétis de Sétien au Camp Nou, le 11 novembre dernier (3-4).
L’impossible ouverture et le casse-tête
Dimanche, c’était un nouveau test, un autre révélateur : le Real Madrid, chez qui le Bétis était allé gagner en septembre 2017 (0-1) avant d’exploser au Benito-Villamarín au retour (3-5), mais surtout le Real que les Sévillans n’ont plus battu à domicile en Liga depuis le 24 novembre 2012 (1-0). Cette fois, comment ne pas y croire ? Le triple champion d’Europe a, au coup d’envoi, les joues encore rougies par les mandales reçues une semaine plus tôt face à la Real Sociedad (0-2) et débarque en Andalousie avec une liste de blessés monstrueuse (Courtois, Kroos, Bale, Asensio, Llorente…). Résultat, Santiago Solari décide de changer de style et se présente sur scène avec une défense à trois – Varane, Ramos, Nacho – protégée par un milieu à quatre inédit, où Federico Valverde a l’occasion de croquer dans sa première titularisation en Liga avec le Real, et boostée par un triangle offensif dopé par Vinícius Junior. Et le Bétis ? Pas de révolution dans le fond, une petite retouche dans la forme, Quique Setién installant un 4-3-3 blindé de questions, dont les platines sont tenues par trois artistes techniques (Lo Celso, Guardado, Carvalho). Et c’est parti pour un rendez-vous casse-tête.
Rapidement, le scénario est clair et la soirée va se diviser en deux parties distinctes : un apéro qui s’étire, trop long, où le Real s’amuse à casser les petits circuits du Bétis jusqu’à la réaction de Sétien à la 65e ; puis, une conversation rendue possible par la fatigue des visiteurs et la verticalité enfin trouvée par les hôtes du soir. Ce dernier tableau a permis de retrouver, par séquences, ce Bétis capable de secouer n’importe quel adversaire X : il était déjà trop tard et l’histoire lui a déjà enseigné qu’il lui fallait être absolument parfait pour espérer réussir un coup, un vrai. Dimanche soir, il a alors été puni à deux minutes de la fin du temps réglementaire par un coup franc envoyé du pied d’un fiston de la maison (Dani Ceballos). Cruel ? C’est une lecture, mais le choc de cette dix-neuvième journée de Liga a surtout vu la naissance d’un Solari capable, lui aussi, de pousser ses idées au maximum.
La première a été d’installer Luka Modrić aux côtés de Vinícius Junior, juste derrière Karim Benzema, afin de verrouiller l’intérieur du jeu. En 2017, Guardiola comparait la sortie de balle au foot à « l’ouverture aux échecs » et l’entraîneur de City expliquait alors : « C’est la phase à la fois la plus subtile et la plus difficile du jeu, mais c’est elle qui conditionne tout le reste. » C’est par exemple elle qui avait permis au Bétis de souiller le Barça il y a deux mois. C’est elle qui, dimanche, a longtemps été détruite par le dispositif de Solari, où Valverde a eu un rôle déterminant (3 interceptions, 3 dégagements, 10 ballons récupérés) et où le duo Modrić-Vinícius Junior a gratté énormément de ballons, notamment en première période. Le Brésilien a, par exemple, réussi tous ses tacles (4/4) et a gêné certaines relances du précieux William Carvalho. Ainsi, le Bétis a souffert face au pressing du Real et a peiné à relancer efficacement, Francis et Barragán présentant également des profils peu aventureux et peu efficaces offensivement (aucun centre réussi sur quatre tentés à la mi-temps par le Bétis). Conséquence ? Le septième de Liga a été logiquement puni par une frappe somptueuse de Modrić au quart d’heure de jeu, a empilé les passes – 332 à la pause contre 141 côté Real (!) – inefficaces et aurait pu tomber plus vite avec un Valverde, parfaitement lancé par Vinícius Junior (30e), plus tueur. Navas, lui, a été tranquille, trop même, à l’exception d’une cuillère de caviar glissée par Lo Celso dans la bouche d’un Canales maladroit avant la pause.
Show Celso et éthique
Une pause fatale à Karim Benzema, et ainsi à une partie de l’animation offensive du soir du Real, l’attaquant français se fracturant l’auriculaire avant de rentrer aux vestiaires. Bousculé par la perte d’un nouveau soldat, Solari décide de ne pas toucher à un 3-4-3 travailleur et capable de se projeter très rapidement (peu de passes dans le premier tiers, une petite douzaine d’échanges latéraux seulement) : Isco et Marcelo restent scotchés sur le banc, Cristo González, lui, s’offre son premier envol chez les grands en Liga. Problème, le petit format de Tenerife n’est pas Benzema et le bloc madrilène voit le vieux Joaquín décrocher davantage que lors du premier acte, histoire d’offrir un peu de vie à un Bétis sans mouvement et trop prévisible. Lo Celso, lui, donne une hauteur supplémentaire à un nouveau récital – 91,4% de passes réussies, 33/38 dans le dernier tiers, 3 ballons récupérés, 3 frappes, 4 tacles réussis, 3 interceptions, entre autres – et profite des espaces laissés par un Casemiro intermittent. L’égalisation de Canales ? Lo Celso, spécialiste en brisage de lignes, en est le grand bâtisseur.
Ce 1-1 est surtout la conséquence directe d’un Real moins accrocheur, alors que Setién installe Tello en arrière gauche et que le Bétis conjugue enfin son nombre de passes élevé (380 en seconde période, 76,2% de possession de balle) à des frappes au but. En vain : Solari remélange les pions, repose une défense à quatre, Modrić au milieu et tente le pari Brahim Diaz pour cimenter l’affaire. De là, c’est la confirmation d’une soirée pas comme les autres, où un triple champion d’Europe se déplace à l’extérieur pour enfermer les assauts adverses, jouer le contre et laisser des cadres discutés sur le banc. Dimanche soir, le Real Madrid s’est surtout adapté à l’autre – une rareté – en bouchant les espaces et en empêchant toute installation sur la durée du football de possession à l’aide duquel le coach du Bétis respire. Pour le style, on repassera, mais ce n’est pas le chantier du moment de Solari : le coach du Real avait besoin d’un résultat, pas d’un chef-d’œuvre, ce qu’il a réussi à attraper grâce à une équipe qui a réussi à gagner en retournant « l’éthique » d’un Quique Setién apparu sans solution. Le football n’est pas toujours un bon film. « Nous retiendrons les trois points » , a conclu Solari dans la soirée de dimanche. Une autre guerre.
Par Maxime Brigand
Propos de Quique Setien tirés d'ESPN.