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- Barcelone/PSG (3-1)
Les leçons tactiques de Barcelone-PSG
Alors que le Barça est en plein chantier, Luis Enrique a décidé d'innover en prenant des risques. Après tout, s'il n'arrive pas à équilibrer sa propre équipe, autant tout faire pour déséquilibrer au maximum son adversaire. Une stratégie payante symbolisée par le « coup d'État tactique » de Neymar. En face, Laurent Blanc pouvait compter sur un équilibre déjà tout trouvé. Mais comme à Stamford Bridge au printemps dernier, le technicien français n'a pas réussi à le conserver, cédant à la tentation de (dé)jouer bas et d'attendre.
Le schéma blaugrana et le courage de Luis Enrique
Quand il était joueur, Luis Enrique pouvait commencer un match avant-centre et le finir en latéral droit. Alors, quand les compositions officielles annoncent que Pedro pourrait jouer défenseur, l’effet de surprise fait sourire : si Luis Enrique ne fera jamais de cette équipe une formation guardiolesque, il est peut-être en train de réussir à en faire un groupe à son image. Offensif, un peu fou, déséquilibré, mais confiant. Courageux, le Mister ne titularise ni Xavi ni Jordi Alba. Sans parler de la position de Leo Messi, la composition laisse imaginer tous les schémas possibles : une paire Mascherano-Busquets au milieu et une défense à trois Bartra-Piqué-Mathieu, ou alors une défense à quatre avec la charnière Mascherano-Piqué, et un milieu Iniesta-Busquets-Pedro.
Finalement, dès les premiers mouvements, Bartra et Mathieu écartent au maximum une défense à trois protégée par un Mascherano qui joue les pompiers devant un Piqué très reculé. Schématiquement, il est difficile de dire s’il s’agit plutôt d’un 1-3 à l’ancienne ou d’un 3-1, mais le rôle de Masche est à part : ni défenseur ni milieu. Au milieu justement, Busquets et Iniesta jouent le rôle classique de milieux intérieurs, ce qui ne va pas bien au grand Sergio. Sur les côtés, Neymar écarte à gauche, Pedro à droite (avec un rôle plus défensif), tandis que Suárez joue comme un avant-centre sur la dernière ligne parisienne, et que Messi se balade derrière l’Uruguayen. S’il faut des chiffres, il faudrait dessiner un 3-5-1-1, ou plus précisément un 3-1-4-1-1.
Un nouveau Stamford Bridge pour Laurent Blanc
En visiteur et avec un point d’avance, Laurent Blanc refait le coup de Stamford Bridge : abandon de la possession (et de Javier Pastore), bloc bas et confiance aveugle en « la vitesse des contres » de Lucas et Cavani. Finalement, le 4-3-3 se transforme en 4-4-2 avec Verratti-Motta devant la défense, Lucas dans le couloir droit, Matuidi à gauche, et le duo Zlatan-Cavani en liberté dans l’axe. Cette défaite sonne comme une confirmation : le jeu rapide et vertical, c’est aussi une « philosophie » à part entière, et non l’absence d’idées de jeu. Non, on ne peut pas transformer une équipe construite pour contrôler le jeu en une équipe de contre du jour au lendemain en fonction des joueurs alignés.
Ainsi, Paris évolue d’emblée très bas, et attend pas moins de huit minutes pour sortir vraiment de son camp. Avec Ibra et Cavani dans la zone de Mascherano, Paris s’appuie sur cette supériorité numérique pour respirer et lancer ses ailiers Matuidi et Lucas. Mais même face à un Barça en chantier, c’est toujours difficile de se créer des occasions avec seulement quatre joueurs à vocation offensive, dont Matuidi et Cavani, peu à l’aise dans le jeu rapide en transition, et un Lucas peu concret. Derrière, entre la facilité géniale de Verratti, la lecture du jeu de Motta et les bons pieds de ses deux centraux brésiliens, le PSG semble a priori très résistant. A priori, seulement, comme à Londres…
Le coup d’État tactique de Neymar
Côté catalan, les premières minutes sont une belle représentation de la mort du « système barcelonais » . Auparavant, l’animation offensive blaugrana était un cocktail magique de mouvements incessants et d’habileté déconcertante à une touche de balle, le tout orchestré par deux cerveaux capables de prendre du recul face aux milieux défensifs les plus agressifs au monde. Oui, Iniesta et Xavi semblaient parfois « arrêter le temps » quand, face à un trafic monstrueux, ils trouvaient un joueur démarqué dans un timing parfait, alors que les défenseurs adverses regardaient dans tous les sens en essayant de conserver plus ou moins leur position. Mais si les milieux savaient arrêter le temps pour mieux dessiner le jeu, aujourd’hui les attaquants arrêtent le jeu pour mieux prendre leur temps.
Alors que le Barça faisait la différence sur le mouvement, il est devenu dangereux sur les dribbles virtuoses de ses génies offensifs. Alors que la création était la responsabilité de l’axe Xavi-Iniesta, et de Messi et Dani Alves quand les deux premiers étaient pris au piège, elle est tombée entre les mains très dangereuses de l’axe Neymar-Messi (151 ballons touchés à eux deux, presque autant que les 159 de Busquets-Iniesta/Xavi). D’une part, l’attaque a repris le pouvoir face au milieu, et la domination est donc logiquement moins constante. Alors que Busquets aura évolué au poste de milieu intérieur droit, celui de Xavi, il aura été le Barcelonais à toucher le moins de ballons après une première mi-temps de domination. D’autre part, Messi et Neymar n’évoluent pas dans la même zone, et la création est donc divisée, et non plus partagée. Hier soir, le Barça aura évolué dans une composition qui aurait dû lui permettre de profiter de sa supériorité numérique sur les côtés (Mathieu-Iniesta-Neymar face à Lucas-Van der Wiel et Bartra-Busquets-Pedro face à Matuidi-Maxwell). Mais à la place de créer du mouvement dans les couloirs, la caractéristique de ses joueurs les plus influents (Neymar hier) l’a forcé à miser sur une série improbable d’exploits dans l’axe. Après quatre mois de travail, le Barça de Luis Enrique n’est pas encore une équipe, mais plutôt l’association de quelques joueurs exceptionnels. Mascherano derrière, le trio devant. Un Barça moins réfléchi, plus précipité, plus ponctuel.
Un plan de jeu parisien inadapté à ses hommes
En voyant tourner en boucle les trois buts barcelonais, il est facile d’accabler les défenseurs centraux parisiens. Thiago Silva se fait avoir par Suárez, David Luiz ne suit pas Messi, personne ne monte sur Neymar, et puis David Luiz perd de nouveaux duels contre Suárez, encore. Certes. Mais à l’heure d’affronter trois Ballons d’or en puissance, cette charnière n’a pas été aidée par le plan de jeu de son entraîneur. En Ligue 1 cette saison, Thiago Silva et David Luiz réalisent en moyenne 69 et 62 passes par match. Hier soir, la mentalité tactique de l’équipe était si inhabituelle que les deux Brésiliens n’ont eu le droit qu’à 46 et 36 passes chacun. Défendant vingt mètres plus bas que d’habitude, ils ont perdu dans leur surface, se battant avec des armes qu’ils n’utilisent jamais. Comme contre Chelsea, le PSG a montré ses limites avec un bloc bas. Et ce n’est pas étonnant : Silva et Luiz sont loin d’être de mauvais centraux, mais ils ont été engagés pour jouer dans une défense conquérante, loin de leurs buts. Pour jouer bas, le PSG aurait mieux fait de conserver Alex, faire venir un Walter Samuel en fin de contrat, ou envoyer 50 millions d’euros sur Gary Cahill.
Mais alors, Blanc voulait-il vraiment défendre ainsi ? Ou a-t-il tout simplement été pris de vitesse par les premières offensives barcelonaises, qui ont forcé le camp parisien à reculer ? À la fin du match, le technicien a analysé le match de façon paradoxale. D’une part, il a admis ses erreurs : « Je pense que nous avons perdu tactiquement. » D’autre part, il a mis les buts barcelonais sur le compte d’un manque de « rigueur » : « Si défensivement nous avions été meilleurs, il y aurait eu la place pour faire un résultat positif. Nous sommes déçus car, avec un peu plus de rigueur, nous aurions pu obtenir un meilleur résultat. » Surtout, il a écarté la thèse qui avait été présentée après l’élimination contre Chelsea, à savoir celle d’une équipe parisienne qui joue contre sa volonté, recule, recule, recule et s’incline inévitablement. Après le match contre Chelsea, Thiago Silva avait déclaré : « Paris a fait un match non reconnaissable. Nous n’avons pas fait ce que nous faisons normalement : presser et jouer un bon football. » Hier, Blanc a dit : « Nous avons fait le match auquel nous nous attendions. »
Un plan de jeu parisien inadapté à son adversaire
Ainsi, le PSG n’a pas eu le ballon, et quand les Parisiens l’ont eu, il a été utilisé pour souffler plutôt que pour faire souffrir. Malgré les prouesses insolentes de Marco Verratti, le PSG n’a pas osé tester ses forces hier soir et s’est contenté de tenter des coups. En fait, Laurent Blanc a joué comme s’il avait l’ancien Barça en face de lui. Pourtant, les déséquilibres du schéma blaugrana étaient nombreux. Comme souvent, le duo Matuidi-Lucas a montré de belles choses, mais a aussi rappelé son incapacité totale à jouer avec du recul, que ce soit par un long ballon ou un renversement. Et la seule fois où Lucas est parvenu à lever la tête et jouer un long ballon décent, Ibrahimović a été injustement signalé hors-jeu. Et si Pastore avait été là pour insister ? Les espaces dans le dos de Bartra et Mathieu ne demandaient que ça.
En deuxième mi-temps, alors que le PSG devait aller chercher un but pour obtenir la première place du groupe, les idées ont changé. Mais qu’il est difficile de changer de plan en cours de match : les défenseurs sont déjà entrés dans une certaine zone de confort face à leurs vis-à-vis, les déplacements sont déjà calculés, il faut réordonner tous les marquages… Or, ce PSG n’est pas un caméléon mourinhesque, malgré la capacité d’adaptation impressionnante d’Ibra et Cavani. Enfin, quand Blanc décide de faire sortir le joueur le plus brillant de la rencontre – Marco Verratti – à l’heure de jeu, il a le malheur d’aller trop loin et de rompre un nouvel équilibre : le 4-1-3-2 n’a pas fait long feu. Luis Enrique n’en demandait pas tant.
Par Markus Kaufmann
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