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Les leçons tactiques de Barça-PSG, avril 2015
« Héroïque » à Stamford Bridge, le PSG de Laurent Blanc aurait donc perdu tout son crédit en l'espace de six semaines ? La réalité est bien plus complexe. Si Paris a fini par tomber face à plus fort que soi à ce niveau de la compétition, ce qui n'avait pas été le cas en 2013 et 2014, le groupe parisien a pu enfin apprendre de son rival ce qui lui manque pour aller plus haut. Avec patience.
Alors que le soleil se couche sur Paris, une information traverse les Pyrénées. Laurent Blanc aurait choisi de disposer ses vedettes en losange pour contrer les offensives barcelonaises. Une heure plus tard au Camp Nou, la première minute de jeu est une longue conservation de balle barcelonaise et confirme la disposition tactique parisienne. Le ballon est ensuite récupéré, et la minute suivante permet aux Parisiens de développer leur propre longue possession. Paris et Barcelone, à armes égales, cette fois ? La scène est montée, et Blanc obtient enfin son duel philosophique contre le Barça. Pour ce qui est de la géographie, le Mister dispose ses pièces dans ce qui ressemble à un losange : Verratti en point défensive, Matuidi à gauche, Cabaye à droite, mais bien plus collé à Verratti, et Pastore devant avec un léger penchant à gauche. En face, Luis Enrique lance tous ses premiers rôles dans son 4-3-3, avec le retour majeur de Dani Alves.
3 minutes et déjà un jaune pour David Luiz
Lors de cette première phase de possession parisienne, parfaitement exécutée, le ballon remonte jusqu’à Ibrahimović, puis revient vers les centraux. Le PSG semble enfin montrer la force des idées dont parle toujours Blanc en conférence de presse. Et puis… Un contrôle manqué de David Luiz, un tacle en retard, un carton jaune. On joue la 3e minute et l’inaptitude du Brésilien à rester concentré au plus haut niveau porte déjà préjudice à l’organisation collective des siens. Le crime oublié, au bout de huit minutes, le PSG compte 55% de possession. Mais alors que ses phases offensives se montrent limitées par les interventions de Busquets sur un Pastore bien imprécis mardi soir, c’est sur la phase défensive que Paris montre ses plus grosses lacunes.
La possession sans le pressing ?
Guardiola avait fait d’une équipe de stars un groupe d’affamés. Mardi soir, Luis Enrique a réussi à nous rappeler cette impression d’intensité folle qu’on avait presque oubliée. Avec des nuances, bien sûr, mais autant de spectacle. Sauf que le Barça, ce n’est pas Disneyland : derrière les gentils discours d’envie, de courage et de caractère qui auraient soi-disant animé les jambes catalanes pour jouer avec plus d’intensité que le PSG, il y a surtout un énorme travail sur le jeu sans ballon. Le Barça sait faire circuler le ballon, mais il sait surtout le récupérer rapidement. Busquets monte d’un cran et part à l’abordage pour presser le porteur de balle, les latéraux grimpent aussi, Suárez – chef-d’œuvre de travail de l’ombre – et Neymar vont mettre en jeu leurs chevilles à chaque tentative de relance parisienne, et même Messi court après les Parisiens. La relance du PSG aura été agressée durant toute la première demi-heure. Mais en conférence de presse d’après-match, Blanc s’est montré satisfait des phases de possession de son équipe : « On n’a pas fermé le jeu. (…) On a joué notre propre jeu (…) On n’a pas dérogé à notre philosophie de jeu. (…) On ne s’est pas contenté de dégager sur Zlatan. » Et il a raison. Autour des pieds magiques de Verratti, le PSG a relancé au sol et a insisté sur la construction du jeu. Seulement, il manquait le ciment pour que tout tienne : le pressing. En clair, Blanc a essayé de résoudre une équation difficile : attaquer avec la possession tout en défendant en reculant.
Les limites du losange
On avait imaginé un PSG allant presser la relance de Ter Stegen, proposant de couper toutes les lignes de passes possibles aux centraux blaugrana, avec un infatigable Cavani, un Pastore crachant ses poumons, un Matuidi battant des records d’interceptions et un Verratti en maître du milieu. Un PSG défendant en avançant, très haut, et donc prêt à défendre trop haut et à confier quelques situations compliquées à ses centraux… Mais ça n’est pas arrivé. Le PSG a défendu en reculant, laissant le losange montrer ses limites sur les côtés : on a retrouvé un Cabaye courant (et mourant) seul dans le vide à droite contre Jordi Alba et Iniesta, par exemple. Ibrahimović, Cavani et Pastore n’ont jamais pressé de façon coordonnée, et seul Verratti a montré des talents exceptionnels de défenseur (ces tacles sur Messi et Iniesta, mamma mia). D’où l’impression suivante : le Barça a défendu à 11 de manière disciplinée, le PSG a tenté de « protéger » sa zone à 9 et s’est rapidement fait désorganiser par la circulation de balle barcelonaise. Cette désorganisation a naturellement donné envie à certains Parisiens de monter d’un cran, pour voir. Au quart d’heure de jeu, c’est surtout Iniesta qui a tout vu : après des années de justesse et de passes latérales, le capitaine décide enfin de laisser son talent courir vers l’avant pour une action de numéro 10 de génie qui trompe sans problème le niveau de vigilance peu élevé de David Luiz. But de Neymar, sur le premier tir de la rencontre. Alors, avec un avant-centre de 95 kilos (qui aura d’ailleurs réalisé une performance correcte dans le jeu, transformant ce qu’il recevait en bons ballons) et un autre attaquant aux pieds muets, Blanc s’est-il vraiment donné les bons moyens pour ce projet de jeu si exigeant en intensité ?
De Dani Alves à Mourinho
Alors que les réponses collectives du PSG paraissent de plus en plus décousues, celles du Barça sont de plus en plus claires. La semaine dernière, le match aller avait montré un Luis Enrique au profil mourinhesque : comme le Real de Mourinho, le Barça utilisait la possession pour user son adversaire et l’éloigner de ses cages, sans montrer l’intention d’en faire une arme offensive (Les leçons tactiques de PSG/Barça). Au lieu de ça, il préférait confier ses armes lourdes au talent génial de ses trois flèches. Mais la semaine dernière, Dani Alves était remplacé par Montoya et le côté droit semblait anesthésié. Avec le Brésilien, meneur de jeu du côté droit, le Barça a retrouvé de l’élaboration, et a construit pour marquer. À la demi-heure de jeu, c’est bien la possession barcelonaise qui fait reculer les défenseurs parisiens dans leur surface, laissant Dani Alves servir Neymar, avec l’accord du marquage de David Luiz et Marquinhos. Pas de vitesse, pas de talent fou : seulement une bonne position.
L’influence de Busquets, et celle de Thiago Motta
55e minute. Sergio Busquets cède sa place à Sergi Roberto sous l’ovation du Camp Nou. Le stade le sait bien, celui qui avait forcé Guardiola à se passer de Yaya Touré a été primordial. En phase offensive, comme d’habitude. Mais surtout en phase défensive, où ses montées pressantes ont fait souffrir Paris, et ont offert un beau duel du futur avec Verratti. Il est certain que les identités de jeu, aussi collectives soient-elles, reposent toujours sur quelques talents, et les déboires du Barça post-Xavi en début de saison nous l’ont rappelé. Aujourd’hui, le joueur le plus important du Barça, c’est Sergio : les dix minutes qui ont suivi sa sortie ont constitué le plus gros temps fort parisien. Car le Barça sans Busquets s’est mis à défendre comme… le PSG sans Motta. Si Rabiot a montré ses talents de constructeur, aucun Parisien n’a démontré le leadership, la science et le génie défensif de Thiagone. Celui qu’on appelait « le Talisman » à l’Inter est tout simplement irremplaçable à Paris. Mais il a déjà 32 ans et des cuisses en vrac.
« La première fois qu’on perd sur deux matchs et que l’adversaire est plus fort »
Le PSG roi du monde à Stamford Bridge, et pathétique au Camp Nou ? Pour beaucoup, le jugement semble définitif sur cette génération du groupe parisien aux cadres vieillissants (Ibra, Motta, Maxwell). Mais est-ce vraiment un problème d’hommes ? Au-delà des méformes et des blessures, cette double confrontation nous a surtout rappelé qu’on n’a jamais revu l’identité de jeu parisienne en Europe depuis le brillant huitième face au Bayer Leverkusen. L’an dernier, on l’a vue durant seulement une partie de l’aller contre Chelsea, avant de la voir se faire recaler aux portes de Stamford Bridge. Cette saison, elle n’est apparue ni en poule (Barça, Ajax, APOEL), ni à l’aller contre Chelsea. Finalement, la seule fois où on l’a aperçue, c’est à 10 à Londres. Mais contre Chelsea, le PSG n’a pas été pressé et n’a lui-même jamais eu besoin de presser. Les bénéfices de cette cruelle défaite sont donc essentiels : le PSG a essayé avec les moyens qu’il avait, mais a montré de vraies carences dans la philosophie de jeu travaillée par Blanc depuis deux saisons. « C’est la première fois qu’on perd sur deux matchs et que l’adversaire est plus fort » , a dit Sirigu. Comme l’a dit Pastore, il aurait été intéressant de voir les Parisiens contre « les autres équipes » : le Real Madrid, la Juve, l’Atlético, Manchester City ou Dortmund.
Le bilan blanc
Évidemment, le PSG a dû faire face à des obstacles importants lors ce quart de finale : les absents, la blessure de Thiago Silva, la forme du Barça, les trois « finales » jouées en deux semaines… Mais cette double confrontation était aussi l’occasion de se rendre compte des progrès du groupe parisien : le vrai niveau de l’idée de jeu sans ses cadres et la compétitivité des remplaçants… Force est de constater que c’est un échec : des idées de jeu abandonnées en l’absence de Verratti et/ou Motta, et des individualités en retrait : Cavani, Cabaye, Van der Wiel, Rabiot, Lavezzi n’ont jamais apporté. Finalement, le PSG s’est réduit au génie de Verratti, aux appels intelligents de Matuidi, aux (nombreuses à l’aller, rares au retour) inspirations de Pastore et aux erreurs de David Luiz. À ce niveau de la saison, et alors que le PSG pourrait laisser une marque historique sur le football français en gagnant un triplé, la progression européenne semble stagner. Mais Blanc a raison de parler de « besoin de patience » . Parce que la C1 est « difficile et compliquée » , et qu’elle requiert du temps : cinq ans pour le projet du Real Madrid (2009-14), quatre ans pour celui du Bayern (2009-13), huit ans pour Chelsea (2004-12), six ans pour l’Inter (2004-10). Maintenant qu’un véritable échec a été essuyé, le PSG peut enfin ajuster la mire en se posant les bonnes questions.
Par Markus Kaufmann
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