- Ligue des champions
- 1/2 finales aller
- Barcelone/Bayern (3-0)
Les leçons tactiques de Barça-Bayern
Et si le résultat pouvait gâcher le jeu ? Et si le football devait se limiter à l'onctuosité des mouvements et à la grandeur de l'effort ? Il est toujours difficile d'oublier le résultat au cours d'une analyse du jeu. Il faut essayer de percevoir les intentions des deux entraîneurs, évaluer le degré de réalisation de ces dernières, et les juger, aussi, en fonction de celles de l'adversaire. Mais parfois, le résultat vient tout écraser comme un tsunami. Ou comme un coup de génie venu d'une autre planète. Ou même deux coups de génie, tiens. Ou trois... Là, les idées s'inclinent. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut les oublier ou les dénigrer pour autant.
Les entraîneurs s’étaient préparés durant des semaines. Les collectifs s’étaient rodés puis défiés durant 75 longues minutes d’intensité, de beau jeu et de bataille tactique. Et puis, Messi apparut. Pour analyser une telle rencontre, préparée par deux staff d’entraîneurs ultra compétents, mais décidée par le bout du pied d’un seul être, la nuance est indispensable. Peut-on analyser le jeu proposé par un match de football sans tenir compte de son résultat ? Ce serait l’idéal, mais est-ce possible ? Du 0-0 au 0-3, plusieurs grilles d’analyse sont bouleversées. Une défense solide devient une passoire, une possession intelligente devient une conservation stérile et un entraîneur brillant devient un entraîneur humilié. Alors, il faut savoir observer attentivement les deux côtés de la médaille : le 0-0 et le 0-3. Parce qu’à la 75e minute, le Bayern tenait un match nul intéressant, l’un de ces classiques zéro à zéro remplis de jeu, et avait proposé une attitude tactique courageuse, organisée, et même raffinée.
Mais aussi parce que durant ces 75 minutes, ce même Bayern était passé près de la rupture, subissant au total 15 tirs (contre 7 en moyenne en Bundesliga) dont 8 cadrés. « Le résultat est impressionnant, mais le match a été très équilibré » , a résumé Luis Enrique. Guardiola a aussi parlé de sa stratégie et de sa vision du match : « Le Barça est tellement en forme, en particulier ses attaquants, que la meilleure manière de les contrôler et de restreindre leur jeu. Si tu n’as pas la possession contre le Barça, c’est très difficile. Donc notre plan était de monopoliser le ballon et de les faire courir. Mais on n’a pas été assez dominants. Avec quatre défenseurs, on a été plus solides qu’à trois derrière. Puis on a perdu le contrôle dans les derniers moments du match : on est mal positionnés sur les deux premiers buts, et le troisième est presque inévitable » .
La guerre du ballon
Si Guardiola dit ne pas avoir eu la possession, c’est parce qu’il est habitué à transformer cette possession en domination. En réalité, le Bayern a bien eu la possession de balle contre le Barça au Camp Nou – ce qui est un exploit remarquable en soi –, mais il s’est bien trop battu pour espérer le transformer en attaques répétées : 54% seulement, rien à voir avec la moyenne de 70%. Alors que Pep avait annoncé des surprises, le Bayern se présente effectivement avec un schéma très ambitieux et risqué : une sorte de 3-4-2-1 où les centraux osent jouer de façon démentielle le hors-jeu dans l’immensité du Camp Nou et face à l’appétit de longs ballons de Suárez et Neymar. Face à l’intensité du pressing barcelonais, prêt à transformer toute maladresse technique ou demi-mètre d’espace en occasion, le Bayern est rapidement contraint à développer son jeu dans son propre camp. Il faut attendre la 12e minute pour voir les Allemands s’installer avec le ballon dans le camp barcelonais, mais même cette situation aboutit seulement sur un centre. Entre-temps, Suárez s’est déjà retrouvé seul face à Neuer et le Barça a eu deux positions de hors-jeu. Après 15 minutes de sueurs froides essuyées par les gants de Neuer, Guardiola recadre sa formation à partir d’une défense à quatre.
Bonne domination du ballon, mauvaise maîtrise du territoire
Une statistique permet de rendre compte des difficultés de la possession de Guardiola mercredi soir : la comparaison du nombre de ballons touchés dans chaque camp. Côté allemand, le cœur du jeu est sans surprise Xabi Alonso, avec déjà 47 ballons touchés au bout d’une demi-heure, et 102 au total. Côté blaugrana, en revanche, c’est Messi qui mène la danse. À la demi-heure de jeu, Busquets a d’ailleurs eu à participer seulement 23 fois au jeu des siens. Explication : le barycentre du match est situé dans le camp du Bayern, au niveau de la zone d’Alonso, qui insiste pour relancer au sol face à un pressing pourtant dangereux. En face, lorsque Mascherano et Piqué sont mis en difficulté, ils n’hésitent pas à envoyer un méchant pelotazo (une pratique bannie au Camp Nou sous la présidence de Laporta) vers Suárez pour respirer, et pourquoi pas conquérir des seconds ballons. Une belle façon d’illustrer la différence entre la domination du ballon et la notion de maîtrise du territoire, très chère aux équipes de José Mourinho et plus généralement à la Premier League. À eux deux, Piqué et Mascherano auront réalisé seulement 68 passes (preuve que l’élaboration barcelonaise s’est jouée bien plus haut sur le terrain), contre 97 pour Boateng-Benatia, très souvent forcés à jouer dans leur surface.
Un Bayern sans fantaisie
Si le Barça a réussi à transformer 46% de possession en une grosse intensité offensive, la cause dépasse largement le cadre de la mise en place tactique. Un chiffre éclaircit le manque d’activité offensive du Bayern : le nombre de dribbles réussis. 3 pour les hommes de Guardiola (les 3 de Juan Bernat sur l’aile…), 28 pour ceux de Luis Enrique. « Avec Messi, la vie est plus facile » , a déclaré l’entraîneur asturien en fin de match. Ça ne fait aucun doute : 10 dribbles réussis pour l’Argentin ! Et s’il ne l’a pas déclaré, Guardiola a certainement pensé que la vie aurait aussi été plus facile avec les 10 dribbles réussis par match de Robben, Ribéry et Alaba. Ses 4 meilleurs dribbleurs n’étaient pas titulaires mercredi soir (Robben, Ribéry, Götze, Weiser) et Schweinsteiger s’est perdu entre les lignes, comme au Bernabéu la saison dernière. À titre de comparaison, le PSG en avait réussi 25 contre le Barça, et subi 26. Ce n’est donc pas que les Catalans ont tout réussi, c’est que les Bavarois n’avaient pas la fantaisie indispensable à ce genre de rencontre, où le talent entre en jeu lorsque les idées se neutralisent. Avec un trequartista plus créatif que Schweinsteiger, les courses de Müller auraient eu bien plus de sens. Enfin, ce manque de création est aussi l’occasion de se souvenir d’un phénomène observé à Barcelone : l’attitude défensive des équipes de Guardiola lors des matchs aller à l’extérieur en C1.
Un Guardiola aussi prudent que Mourinho
Le Bayern tire en moyenne 17 fois par match en Bundesliga. Mais cette saison, il a montré un tout autre visage lors de ses déplacements à l’extérieur en C1 : 66% de possession à Donetsk et 65% à Porto, pour seulement 8 et 5 tirs ! Idem mercredi soir : 8 tirs, 0 cadré. Après tout, si la domination du ballon renvoie à une certaine vision esthétique du jeu – « la seule façon de jouer que je peux considérer » disait Pep mercredi soir – elle n’a jamais été un style particulièrement « offensif » . Le contrôle du ballon devient une arme offensive lorsqu’intensité, pressing et circulation de balle atteignent un niveau exceptionnel. Mais en règle générale, contrôle du ballon rime avec gestion prudente. Paco Seirul-Io, préparateur physique du FC Barcelone de 1993 à 2014, explique clairement la distinction entre possession offensive et défensive : « Au moment où nous avons le ballon, nous pouvons décider de maintenir la possession sans risque de perte de balle. Dans ce cas-là, nous défendons. Si nous jouons le ballon avec un risque de le perdre, alors nous attaquons » . D’où un bilan intéressant : « L’identification de la défense et de l’attaque ne dépend pas de la maîtrise du ballon : c’est l’intention de chaque joueur qui change l’attitude de l’équipe » . Mercredi soir, cette attitude offensive a seulement été aperçue chez Schweinsteiger (83% de passes réussies), Müller (75%) et Lewandowski (57%) : le reste de l’équipe était pensé pour maintenir la possession, faire courir et pourquoi pas faire souffrir Mascherano et Piqué. Et jusqu’à la 77e minute, ça a bien fonctionné. Mais comme toujours, il faudra s’attendre à voir une attitude complètement différente à l’Allianz Arena. Et si Guardiola et Mourinho se rejoignaient dans cette préférence pour la lecture défensive des matchs aller ? (cf José Mourinho, la patience gagnante)
Le vol de Messi
Les premières minutes de la rencontre auront dessiné les traits d’un début d’histoire passionnant : la prise de pouvoir de Luis Suárez. Une activité sans limite, des déviations bien senties, des ballons cherchés dans les chevilles des défenseurs adverses et surtout des prises de responsabilité importantes. Pendant les quinze premières minutes, Suárez aura été le patron du Camp Nou. Un rôle qu’Alexis Sánchez et David Villa n’avaient jamais envisagé, par ailleurs. On aurait alors pu croire à une prise de pouvoir, une concentration de ballons vers le numéro 9 et de nouveaux numéros dantesques rappelant les performances de Manchester et Paris. Mais non : comme si le défi avait nourri son envie de ballons, ce début de match a plutôt transformé le jeu de Messi. Omniprésent (74 ballons touchés, leader côté Barça), dribbleur (10 dribbles réussis), passeur audacieux (4 passes clés), Messi n’a plus jamais arrêté de demander le ballon. Une belle preuve de leadership au moment le plus décisif, qui aboutira une heure plus tard sur ces trois minutes de marche au-dessus du soleil. À la mi-temps, on pouvait observer que c’était son côté droit qui dominait le jeu barcelonais : 44 ballons touchés pour lui, 42 pour Rakitić et 40 pour Dani Alves, son plus fidèle associé. Car s’il pleut des dissertations sur l’histoire des trios barcelonais, il serait temps d’écrire une thèse sur la relation footballistique unique qui lie cet Argentin effacé et ce Brésilien burlesque.
Par Markus Kaufmann
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